Les banques centrales ont obtenu des progrès substantiels dans la lutte contre l’inflation. En juillet 2022, le taux d’inflation médian dans le monde était de 9,4 %, soit le plus élevé depuis 2008, mais le mois dernier, il était tombé à 2,9 %. Cette baisse de l’inflation est générale, elle est désormais inférieure à son niveau de juillet 2022 dans 90 % des pays.
Pourtant, la guerre n’est pas encore gagnée. L’inflation mondiale est supérieure de 0,7 point de pourcentage au taux antérieur à la pandémie de COVID-19, début 2020. En juillet 2022, elle excédait les fourchettes cibles dans tous les pays dont les banques centrales fixent des objectifs d’inflation. La proportion est aujourd’hui beaucoup plus faible, mais l’inflation dépasse toujours les fourchettes cibles dans plus de 40 % de ces pays.
En résumé, les banques centrales des grandes économies pourraient avoir de bonnes raisons de commencer à baisser leurs taux d’intérêt dans les mois à venir. Il est peu probable toutefois qu’elles réduisent fortement leurs taux directeurs tant qu’elles ne seront pas convaincues que le niveau d’inflation est nettement en passe de revenir vers les fourchettes cibles. Par conséquent, la politique monétaire restera restrictive, ce qui signifie que les marchés émergents et les économies en développement (EMDE) risquent de subir un resserrement des conditions de crédit à l’échelle mondiale pendant un certain temps.
Par ailleurs, les possibles perturbations des chaînes d’approvisionnement et des marchés mondiaux de l’énergie pourraient prolonger le dilemme de nombreuses banques centrales : ramener l’inflation dans les fourchettes cibles, mais aussi ménager un atterrissage en douceur.
Ralentissement de la désinflation
Depuis le pic atteint en 2022, l’inflation a reculé à l’échelle mondiale, se rapprochant des objectifs des banques centrales dans de nombreuses économies avancées et dans les EMDE. L’effondrement des cours des matières premières, qui ont chuté de près de 40 % entre mi-2022 et mi-2023, a contribué pour plus de 2 points de pourcentage à la réduction globale (a) de l’inflation mondiale entre 2022 et 2023. Depuis le début de l’année, les prix des produits de base sont restés dans une fourchette assez large, ce qui a limité la pression désinflationniste. Parallèlement, la hausse des prix des services aux consommateurs est restée obstinément forte cette année dans les économies avancées, même si de récentes études ont montré que l’inflation globale diminuait un petit peu plus vite dans certaines grandes économies.
La dynamique de l’inflation a connu des variations significatives dans les régions des EMDE. L’Europe et l’Asie centrale ont enregistré à la fois la plus forte hausse de l’inflation et son plus fort recul. La plupart des pays de la région ont été fortement exposés à l’invasion de l’Ukraine par la Russie et aux pressions qui en ont résulté sur les prix des denrées alimentaires et de l’énergie. En revanche, l’inflation est restée faible et stable dans la région Asie de l’Est et Pacifique, où les subventions ont atténué l’impact de la baisse des cours mondiaux des produits de base et où les capacités excédentaires ont persisté.
Figure 1. L’inflation recule
Source : Eurostat, Réserve fédérale de St Louis, Haver Analytics et Banque mondiale.
Note : a. Le graphique montre l’inflation médiane des prix à la consommation en glissement annuel, hors alimentation et énergie. L’échantillon porte sur 31 économies avancées et 46 EMDE. Dernières données disponibles : juin 2024. b. L’IPC désigne l’indice des prix à la consommation. Le graphique montre l’inflation médiane en glissement annuel par région. L’échantillon comprend 108 économies des régions Asie de l’Est et Pacifique (EAP), Europe et Asie centrale (ECA), Amérique latine et Caraïbes (LAC), Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA), Asie du Sud (SAR) et Afrique subsaharienne (SSA). Dernières données disponibles : juin 2024.
L’inflation devrait reculer et atteindre les cibles des banques centrales en 2026
L’inflation devrait continuer à baisser, passant de 4,9 % en moyenne en 2023 à 3,5 % en 2024, avant de revenir à des niveaux globalement conformes aux objectifs d’inflation moyenne des pays en 2025-26. De même, les enquêtes sur les anticipations d’inflation laissent supposer une désinflation mondiale progressive au cours des deux prochaines années.
L’inflation sous-jacente devrait faiblir à mesure que la demande de services ralentira, ce qui atténuera la hausse des prix des services au moment même où la désinflation des biens sera la plus marquée. La baisse de la demande de services devrait également contribuer à modérer la hausse des salaires, en particulier dans les économies avancées. Les perturbations de l’approvisionnement devraient elles aussi continuer à s’estomper. Enfin, le niveau élevé des taux directeurs réels dans les grandes économies devrait contenir les composantes de la demande sensibles aux taux d’intérêt.
Figure 2. Composantes de l’inflation et projections
Source : Haver Analytics ; Oxford Economics ; Banque mondiale
Note : a. Taux médians d’inflation annualisés sur trois mois par composante ; moyennes calculées sur les mois des premier et deuxième semestres de 2023, et en cumul pour 2024. L’échantillon comprend 36 économies avancées et 101 EMDE. b. Projections de l’inflation des prix à la consommation pondérée par le PIB, basées sur des modèles utilisant le modèle économique mondial d’Oxford Economics. L’échantillon porte sur 65 pays, dont 31 EMDE. Hors Argentine et Venezuela. Les fourchettes de confiance sont issues de Consensus Economics.
Tensions géopolitiques et autres risques inflationnistes
Les tensions géopolitiques pourraient créer des chocs inflationnistes (a), soit en faisant grimper les cours du pétrole, soit en perturbant la logistique ou la production au sens large. Bien que l’impact sur l’inflation mondiale du conflit au Moyen-Orient ait été limité jusqu’à présent, une escalade pourrait entraîner une forte hausse des prix du pétrole, étant donné que la région assure près de 30 % de la production pétrolière mondiale (a).
Quand les prix du pétrole augmentent de 10 %, l’inflation mondiale bondit en général de 0,35 point de pourcentage (a) en l’espace d’un an. En cas d’effets de second tour importants sur les salaires et les coûts de production en général (a) ou si les anticipations d’inflation sont plus élevées, de fortes hausses des prix de l’énergie pourraient également faire grimper l’inflation sous-jacente.
Les conflits en cours ont déjà désorganisé les routes maritimes et provoqué une forte augmentation des coûts de fret. La montée des mesures protectionnistes affecte les réseaux commerciaux, en particulier les chaînes d’approvisionnement mondiales, et risque d’augmenter les coûts de production. Bien que leur impact sur la hausse des prix à la consommation ait été limité jusqu’ici, la persistance de coûts de transport et de production élevés pourrait aussi inciter les producteurs à les répercuter sur les consommateurs.
Ces risques d’augmentation des prix surviennent à un moment où l’inflation reste supérieure aux objectifs dans plus de 40 % des pays, mais avec des variations importantes selon les niveaux de revenu. Dans les économies avancées, où les banques centrales ont généralement mis plus de temps à réagir à la poussée inflationniste, près de 50 % des pays affichaient encore une inflation supérieure aux objectifs à la fin du mois de juin. En revanche, des progrès plus importants ont été réalisés dans les EMDE, où l’inflation demeure supérieure aux objectifs dans un peu moins de 40 % de ces économies.
Figure 3. Scénarios et cibles d’inflation
Source : Oxford Economics ; Haver Analytics ; Ha et coll., 2024.
Note : a. Les lignes pointillées bleues indiquent les prévisions de référence de l’inflation mondiale des prix à la consommation pondérée par le PIB, exprimées en moyenne annuelle. Les lignes orange et rouge représentent les résultats en cas de perturbations modérées et plus graves de l’approvisionnement en pétrole liées au conflit, survenant à la mi-2024. Projections pondérées du PIB basées sur des modèles utilisant le modèle économique mondial d’Oxford Economics. b. Le graphique montre la proportion d’EMDE où l’inflation est supérieure à la cible. L’échantillon comprend 31 EMDE et 31 économies avancées. Dernières données disponibles : juin 2024.
De la lumière au bout du tunnel ?
Plusieurs facteurs sont désormais en place pour faire baisser l’inflation mondiale au cours des prochains mois. Cependant, compte tenu de l’expérience des deux dernières années, une chose est presque certaine : le processus de désinflation mondiale réservera quelques surprises.
Les banques centrales de la plupart des économies avancées sont désormais favorables à un assouplissement de leur politique monétaire. Cependant, la baisse de leurs taux sera mesurée, car elles attendent une plus grande modération des prix des services, qui évoluent lentement. Par ailleurs, elles doivent se garder une marge de manœuvre au cas où les risques inflationnistes se concrétiseraient. Pour les économies émergentes et en développement, dont beaucoup continueront d’être en butte à des conditions de crédit mondiales difficiles, les politiques monétaires et budgétaires doivent rester suffisamment souples pour s’adapter à de possibles chocs associés au processus de désinflation. Le monde est peut-être en passe de gagner la bataille contre l’inflation, mais il est trop tôt pour crier victoire.
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