Publié sur Opinions

Quand les villes oublient les piétons, les mégadonnées et les technologies numériques peuvent montrer la voie…

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Photo:  Lazyllama/Shutterstock

Paraisópolis, un bidonville de São Paulo connu dans tout le Brésil, est l’un de ces endroits débordant d’activité où tout peut arriver. Bien qu’il soit situé en pleine ville, il est parvenu, contrairement à d’autres quartiers pauvres, à éviter d’être relégué à la marge pour faire de la place à des logements plus coûteux ou à des infrastructures publiques. Le quartier présente une vie associative florissante, avec plus de 40 ONG très actives dans des domaines aussi divers que la gestion des déchets, la santé, la danse ou la cuisine. Dernièrement, il a également bénéficié de plusieurs programmes de rénovation. Plus particulièrement, des investissements dans les axes routiers ont permis aux camions d’accéder au quartier, attirant ainsi des commerçants de toutes tailles, ce qui a généré une activité économique dynamique et créé des perspectives d’emploi pour ses résidents.

Dans le cadre des efforts que nous continuons à déployer pour accroître la mobilité des piétons (voir le billet précédent [a]), j’aimerais aujourd’hui mettre en lumière un projet que nous avons développé pour Paraisópolis.

Si l’essentiel de ses habitants disposent d’un accès aux services de base, et s’il existe des opportunités en termes de développement professionnel et d’activités culturelles, la mobilité et l’accès aux emplois demeurent problématiques. À l’heure actuelle, la répartition inégale de l’espace public privilégie les voitures particulières au détriment des transports en commun et des moyens de transport non motorisés. Cela crée des embouteillages massifs et ralentit les transports en commun. Les bus ont ainsi dû être déplacés dans des rues adjacentes parce qu’ils étaient constamment bloqués dans la circulation. Les piétons risquent en permanence de se faire renverser par un véhicule ou de trébucher sur les trottoirs quasi inexistants, tandis que les véhicules de secours n’ont aucune chance de pouvoir accéder au quartier en cas de besoin. Par exemple, au cours de l’année dernière, trois incendies ont ravagé des centaines de foyers (ce genre de sinistre est courant dans ces quartiers), sans que les secours ne puissent intervenir à temps à cause des voitures qui bloquaient le passage. Pour tenter de résoudre ces problèmes, notre équipe a collaboré avec LabGEO (a), le laboratoire de traitement des géodonnées de l’université de São Paulo, pour réaliser un diagnostic approfondi de la mobilité à Paraisópolis, avec des financements de l’ESMAP (a) par le biais de la composante transport du Programme pour des villes plus économes en énergie au Brésil (a). Cette étude a été menée à bien en collaboration étroite avec les membres de la population locale et s’est appuyée sur des données issues d’un large éventail de sources, notamment :

  • des enquêtes traditionnelles « origine-destination » ;
  • des données GPS sur l’emplacement des bus ;
  • les données des cartes d’abonnement fournies par la compagnie de bus locale ;
  • des données d’appel issues des opérateurs de téléphonie ;
  • des données géoréférencées sur les accidents de la route fournies par la compagnie d’ingénierie de la circulation de la ville de São Paulo (CET) ;
  • un « carnet de voyage » détaillé reposant sur une application pour smartphone, une initiative également financée par le projet.
 
Conçue pour collecter des données GPS haute fréquence, l’application a été installée sur les smartphones d’un échantillon représentatif de la population. Toutes les questions de confidentialité ont été expliquées en détail aux gens, et l’enquête a été soumise à l’approbation du comité d’examen institutionnel local chargé de la protection des personnes participant à des travaux de recherche ( Plataforma Brasil [en portugais]). Les données issues des smartphones ont ensuite été analysées et traitées pour identifier des informations telles que l’origine et la destination, les modes de transport, et le nombre de trajets. Ces informations ont également été complétées par une enquête traditionnelle au format papier.

Ces travaux d’analyse ont permis d’identifier plusieurs problématiques importantes. Par exemple, avec les données GPS des bus et celles issues des cartes d’abonnement, nous avons identifié le nombre de personnes du quartier qui utilisent les transports en commun, leurs temps de trajet et leurs destinations. Ces sources de données nous ont également appris que, si le temps de trajet moyen est plus court que dans les autres quartiers à faible revenu de São Paulo, l’imprévisibilité de ce temps de trajet y est largement supérieure. Le manque de fiabilité des transports oblige les usagers à prévoir une marge de sécurité (en portugais), ce qui signifie qu’ils doivent partir de chez eux plus tôt le matin pour être sûrs d’arriver à l’heure au travail, et qu’ils ont donc moins de temps à passer avec leur famille et à consacrer à des loisirs ou à des activités éducatives.
 
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Les données d’appel nous ont permis d’estimer le nombre total de trajets à 106 000 par jour. Ce sont sans doute les données recueillies via l’application pour smartphone qui ont donné lieu à la découverte la plus remarquable : si la motorisation a grimpé de 13,6 % à 26 % en une décennie (enquêtes origine-destination), la marche représente toujours plus de la moitié des trajets (application pour smartphone). Cela n’a rien de surprenant si l’on considère que 52 % des trajets sont réalisés dans le quartier ou aux alentours (application pour smartphone). Mais malgré la prévalence des déplacements à pied, la grande majorité de l’espace est allouée aux véhicules motorisés, comme l’illustre l’image ci-dessous.

Grâce aux méthodes modernes de collecte et d’analyse des données, nous avons désormais des preuves supplémentaires du fait que ce type de développement urbain ne correspond pas aux besoins de mobilité des quartiers à faible revenu. Espérons que ces conclusions pourront conduire à une prise de conscience à São Paulo, où tout tourne autour de la voiture, et qu’elles encourageront les urbanistes et les décideurs à privilégier les espaces ouverts aux piétons et le recours aux transports en commun durables.

L’équipe est actuellement en train de décortiquer toutes ces informations, de comparer les jeux de données entre eux, et de chercher à répondre à certaines questions fondamentales. À titre d’exemple, compte tenu du coût financier que représente l’acquisition de ces jeux de données, lesquels devons-nous cibler en priorité dans la suite de nos travaux ? Dans quels cas les données GPS et celles des cartes d’abonnement (généralement disponibles dans les systèmes de bus modernes) offrent-elles une représentation fidèle des obstacles à la mobilité, et que peuvent-elles nous apprendre exactement ? Les données d’appel identifient-elles les trajets piétons aussi bien que les autres sources ? Quel est le potentiel de la collecte de données sur smartphone, et comment tirer parti de cette nouvelle technologie ? 

À mesure que ces travaux progressent, nous entendons tirer pleinement parti des technologies numériques et des mégadonnées pour mieux appréhender la réalité de la mobilité urbaine et, plus important encore, mobiliser ces nouvelles connaissances pour proposer des mesures concrètes. Les informations que nous avons générées sont également utilisées pour d’autres actions, comme le projet SP Metro Lines (a), et nous espérons que ces travaux contribueront aussi à améliorer la méthodologie employée pour mettre au point les programmes de rénovation des bidonvilles en intégrant davantage de données sur la mobilité.

Au fait, saviez-vous que Paraisópolis est au cœur d’une série télévisée très populaire au Brésil (nommée « I ♥ Paraisópolis ») ? Mais ça, c’est une autre histoire…


Auteurs

Bianca Bianchi Alves

Urban Transport Specialist, World Bank

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