Le pouvoir des médias et de la communication pour faire évoluer le discours sur le mariage des enfants en Afrique du Sud

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Dimpho Lekgeu, Blog4Dev South Africa winner Dimpho Lekgeu, Blog4Dev South Africa winner

Selon un rapport de la commission pour l’égalité des sexes en Afrique du Sud, ce pays compte environ 91 000 jeunes qui ont précocement connu mariage, divorce, séparation ou concubinage. Les chiffres les plus élevés s’enregistrent dans la province rurale du KwaZulu-Natal, et dans celle du Gauteng, cœur économique du pays, où se trouvent respectivement 27 % et 16 % des enfants concernés.

En mars 2019, les téléspectateurs sud-africains ont fait la connaissance d’une fille et d’un garçon, tous deux âgés de 15 ans, Thando Msomi et Siyacela Dlamuka, lors d’une émission diffusée en prime time et intitulée Isencane Lengane (« cet enfant est trop jeune »). La télévision a suivi le quotidien des deux adolescents pendant les préparatifs de leur mariage, selon les rites zoulous. Comme il était prévisible, cette production polémique a déchaîné les réactions des militants des droits humains, qui ont accusé la chaîne d’entériner le mariage des enfants et des normes culturelles oppressives.

Sans empêcher la diffusion de l’émission, cela a permis de lancer le débat dans le pays sur les réalités du mariage précoce, sur ses effets délétères sur le développement socioéconomique et sur les normes culturelles régressives. Sur les réseaux sociaux, l’émission a suscité d’énergiques prises de position, propres à inspirer des actions et à faire évoluer les mentalités. Cela démontre l’indéniable pouvoir des médias et de la mise en récit pour remettre des idées en question, révéler des vérités cachées et amplifier la voix de ceux que l’on rendait muets.

De telles histoires, qui ne peuvent laisser indifférents, éveillent les consciences aux réalités de cette maladie chronique de la société qu’est le mariage des enfants. Cette mise en récit médiatique a en outre des vertus éducatives, car elle met en évidence les graves conséquences des unions précoces sur les individus, les familles, la communauté, le système scolaire et l’économie. Et elle devrait amener un changement du langage utilisé, car l’expression « mariage précoce » ne reflète pas ce qui n’est autre que rapt, commerce, esclavage et maltraitance. Une information scrupuleuse doit aussi attirer l’attention sur le fait que les filles ne sont pas les seules victimes des mariages d’enfants : selon une enquête de l’UNICEF (a), 115 millions d’hommes et de garçons de par le monde ont été mariés avant l’âge de 18 ans, dont 23 millions avant 15 ans.

Enfin, la couverture médiatique permet une représentation plus variée des femmes en mettant en lumière celles qui, membres éduqués de la société, y occupent les fonctions les plus diverses, et pas seulement celles de mères et d’épouses. Né d’un récent partenariat entre Gucci, géant de la mode, Vice Studios et Gloria Steinem, journaliste et militante féministe américaine, le film Sitara raconte l’histoire d’une jeune fille contrainte au mariage par sa famille alors qu’elle rêve de devenir pilote d’avion. Le but recherché est de diffuser le message le plus largement possible et, par là, de susciter le débat et l’action. Des projets comme celui-ci, qui soulèvent des questions pertinentes par une mise en récit créative, représentative et propice à l’échange d’idées, sont efficaces et portent loin.

Je propose en outre la mise en place de subventions, bourses et formations destinées aux journalistes afin qu’ils soient en mesure d’informer le public sur les unions précoces et sur les progrès réalisés en la matière, en rappelant la responsabilité des législateurs quant à l’application des lois en vigueur. Je recommande une collaboration avec des publications économiques reconnues, comme Forbes ou The Economist, afin qu’elles diffusent davantage d’articles sur la question. En effet, le mariage des enfants est un grave problème économique qui mériterait en tant que tel une plus large couverture, car il entraîne une augmentation des grossesses prématurées, amoindrit la productivité et empêche des jeunes de faire profiter la collectivité de leur bagage scolaire ou universitaire. Enfin, il faut des programmes d’éducation ciblés sur les populations rurales, pour contrer les idées traditionnalistes et les normes oppressives là où le mariage forcé des jeunes est une pratique culturelle. 

 


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