Dans son village de Maar, Nyamal, 13 ans, rentre de l’école, toute proche. À peine a-t-elle le temps de souffler que son père l’appelle. Il est avec un autre quinquagénaire, venu d’un village éloigné, qui a l’air surexcité. Avant que son fils Nhial atteigne ses 15 ans, l’homme veut le marier à Nyamal.
Le frère aîné de Nhial, déscolarisé dès l’école primaire, est marié depuis trois ans. Alors qu’il n’a même pas encore 17 ans, il est déjà père de deux enfants. D’une famille modeste, qui possède peu de bétail, Nyamal n’a guère d’autre choix que de se marier jeune pour survivre. Il y a à peine un an, sa sœur s’est suicidée. La police n’a arrêté personne. Pourtant, le mariage forcé des enfants est un délit.
Cette fiction est riche d’enseignements. Tout d’abord, elle nous indique qu’au Soudan du Sud, les unions précoces ne sont pas qu’une question de législation, et qu'elles relèvent aussi de la tradition et des normes culturelles. En outre, cette histoire montre le peu de choix laissé aux enfants. Enfin, elle souligne le fait que la pauvreté contribue à perpétuer cette coutume. Mais surtout, elle nous révèle l’inaction de l’État.
Alors, où est la solution ?
Selon une conception einsteinienne des choses, monétisons le vice : si le mariage des enfants a pour cause la pauvreté, le problème doit se poser en termes financiers. Les chercheurs ont heureusement mis en évidence une corrélation négative entre mariage précoce et développement économique. Il faut faire comprendre aux pères de Nyamal et de Nhial qu’ils ne résoudront pas leurs difficultés en mariant leurs enfants de 13 et 14 ans. En fait, cela aura même pour effet d’aggraver leur situation économique.
Cette argumentation doit cibler les deux sexes, à l’inverse de la proposition actuelle, qui ne vise que les jeunes filles. La tradition que nous combattons est ancestrale, héritée du patriarcat. Exclure les pères de Nhial et de Nyamal ne résoudrait pas l’équation. Au contraire, cela ne ferait que la compliquer. C’est pourquoi une campagne d’éducation massive est absolument nécessaire.
Nous devons aussi éduquer les filles. Au Soudan du Sud, la coutume a sur elles une influence néfaste. S’il est démontré qu’une union précoce nuit aux deux sexes, ce sont elles qui paient le plus lourd tribut. Il faut donc que l’État et d’autres acteurs compétents, comme la Banque mondiale ou Oxfam, injectent des fonds dans la création d’établissements scolaires qui favorisent l’égalité des sexes. Car dès lors qu’une femme est instruite, le reste appartient au passé.
Pour terminer, l’État joue un rôle essentiel à deux égards : premièrement, il doit être plus réactif et plus proactif dans l’application des lois existantes. Jusqu’à présent, le gouvernement sud-soudanais est resté très passif. Cela s’explique notamment par l’existence de la dot, d’un montant élevé et variable. Le pays ne peut-il donc s’en passer ?
Deuxièmement, l’État doit accorder plus de place aux jeunes dans la société et les inclure dans les prises de décisions en matière d’égalité des sexes. Il faudrait par exemple qu’il attribue plus de ministères et autres portefeuilles à des femmes. Dans d’autres pays, cela fonctionne, comme le prouve l’exemple du Rwanda et du Libéria.
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