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Comment les plateformes de travail en ligne locales connectent les jeunes à l’emploi

Comment les plateformes de travail en ligne locales connectent les jeunes à l’emploi Les plateformes en ligne locales ou régionales réduisent les obstacles à l’insertion des jeunes travailleurs indépendants et autres chercheurs d'emploi dans les pays en développement. Photo : Shutterstock

Plus d’un travailleur sur dix dans le monde est un travailleur de plateforme numérique, et plus de 75 % de ces plateformes ont un ancrage local ou régional.

C’est une réalité souvent méconnue : à côté des Uber, Upwork et consorts, des plateformes locales mettent en relation employeurs et travailleurs dans les pays en développement. On peut citer par exemple Workana en Amérique latine-Caraïbes, Wowzi en Afrique, Truelancer en Asie du Sud ou encore B.O.T. dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord.

Ces plateformes jouent même un rôle essentiel sur les marchés du travail régionaux, comme nous le montrons dans une publication récente (a) du programme Solutions for Youth Employment (S4YE) (a) de la Banque mondiale. En effet, les plateformes en ligne locales ou régionales réduisent les obstacles à l’insertion des jeunes travailleurs indépendants et autres chercheurs d'emploi dans les pays en développement, avec des retombées positives pour les entreprises locales et les pouvoirs publics. Voici, dans les grandes lignes, ce qu’il faut retenir de cette étude.

Les plateformes locales et régionales contribuent à élargir l’accès au travail en ligne payé à la tâche

Trouver un emploi dans l'économie des plateformes n’a rien d'évident. Bien que les grandes plateformes de connexion entre entreprises et indépendants — comme Fiverr par exemple — ouvrent des horizons professionnels au-delà des frontières, les travailleurs à la tâche se heurtent à de nombreux obstacles. Parmi les principales difficultés figurent la maîtrise de l’anglais, mais aussi l’accès à des moyens de paiement internationaux et une concurrence féroce entre free-lances. Lors de l’enquête menée par la Banque mondiale pour les besoins de son rapport Travailler sans frontières : Promesses et périls du travail à la demande en ligne, 57 % des réponses obtenues auprès des travailleurs de plateforme étaient rédigées dans une langue autre que l’anglais. Un constat qui tendrait à suggérer que les plateformes mondiales n’offrent probablement pas des possibilités d’emploi appropriées aux non-anglophones. Dans ce contexte, comment lever les obstacles et faire en sorte qu’un plus grand nombre de jeunes free-lances aient un accès égal à ces nouveaux débouchés ?

L'entreprise Workana (a), née en Amérique latine en 2012, s’y est attelée. Sa fondatrice, Eliana Bracciaforte, a mis au jour un vivier régional de talents exclus de ce marché mondialisé en raison des barrières linguistiques et autres contraintes locales. En créant une plateforme disponible en espagnol et en portugais et tournée vers les marchés locaux, Workana a permis aux travailleurs en ligne latino-américains de bénéficier de débouchés auxquels ils n'auraient pas eu accès sur les plateformes mondiales.

Selon le rapport de la Banque mondiale, les plateformes numériques locales sont en mesure de :

1. Offrir des débouchés aux non-anglophones : En proposant ses services en espagnol et en portugais, une plateforme comme Workana ouvre les portes de l’emploi indépendant à des travailleurs du web qui ne maîtrisent pas l’anglais. C’est ce que confirme une enquête menée auprès des free-lances inscrits sur Workana, qui révèle que la maîtrise de l’anglais est la compétence la moins déterminante pour réussir dans le travail sur plateforme (48 % seulement des personnes interrogées l’ont citée), loin derrière la gestion du temps (85 %), la communication (83 %) et la maîtrise de l’espagnol (65 %).

Figure 1. Les principales compétences nécessaires pour réussir dans le travail sur plateforme selon les free-lances inscrits sur Workana

Les principales compétences pour réussir dans le travail sur plateforme selon les free-lances inscrits sur Workana

 

Source : Analyse de l’équipe de l’étude à partir des données de l’enquête Workana.
Note : Les chiffres correspondent au pourcentage de répondants ayant sélectionné une compétence donnée, sachant que ces derniers pouvaient sélectionner plusieurs réponses.


2. S’adapter aux contraintes locales, telles que les réglementations en matière de paiement en ligne.
Dans des pays où des moyens de paiement internationaux comme PayPal ne sont pas disponibles, les plateformes locales peuvent intégrer d’autres options de paiement et se conformer aux réglementations nationales en vigueur. Au Nigéria par exemple, où PayPal n'est arrivé qu’en 2014, Jolancer (a), une plateforme qui s’adresse aux travailleurs indépendants qualifiés en Afrique, a donné aux free-lances la possibilité de se faire rémunérer par virement bancaire. Elle permet également à leurs clients d’effectuer des paiements via le système Flutterwave, une solution de paiement en ligne née au Nigéria.

3. Mettre les start-up et les PME en relation avec des travailleurs qui comprennent mieux l’environnement local. Les travailleurs de plateforme locaux disposent de connaissances contextuelles qui réduisent d’autant les coûts d’apprentissage pour les start-up et autres petites entreprises utilisant leurs services. Une tâche comme le marketing, par exemple, nécessite une connaissance du terrain, et les travailleurs free-lance peuvent représenter, pour ces entreprises aux ressources limitées, une source précieuse de main-d’œuvre qualifiée et à moindre coût. Un potentiel que démontre notamment la plateforme de marketing d’influence Wowzi (a), basée au Kenya, qui permet à des entreprises de toutes tailles de concevoir des campagnes sur les réseaux sociaux ancrées dans le local.

4. Soutenir les pouvoirs publics dans leurs politiques pour l’emploi. Les plateformes régionales et locales peuvent collaborer avec les gouvernements nationaux à la réalisation de leurs objectifs d’action publique. Elles peuvent, grâce à des programmes de formation ciblés, accompagner les efforts déployés par les pouvoirs publics en faveur de l’insertion professionnelle des travailleurs défavorisés ou encore contribuer à étendre les programmes d’assurance sociale et de pension aux travailleurs informels. Par exemple, dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, la plateforme web Ureed a lancé un programme de formation (a) en coopération avec la Société financière internationale (IFC), dans le but d’accroître la participation des femmes à l’économie des plateformes en Jordanie et au Liban.

Quelles perspectives pour les plateformes locales et régionales ?

Le rapport de la Banque mondiale montre que la plupart des plateformes locales ont du mal à établir un modèle commercial viable.

La taille réduite de leur base d’utilisateurs limite leur capacité à exploiter les effets de réseau, ce qui les oblige à rechercher d'autres modèles économiques, en s’orientant par exemple vers une activité de cabinet de recrutement. La plupart des propriétaires de plateformes régionales et locales sont des entrepreneurs ayant une formation en technologie, mais une expérience financière ou commerciale limitée.

Cependant, malgré ces difficultés, les plateformes qui survivent sont appelées à jouer un rôle important dans le développement du secteur privé et l’inclusion. De par leur taille et leur envergure, les plateformes mondiales de travail en ligne peuvent tirer parti de vastes réseaux, mais de leur côté, les plateformes régionales peuvent soutenir la main-d’œuvre locale, appuyer les petites entreprises et les start-up, et favoriser l’accès d’un plus grand nombre de personnes aux programmes gouvernementaux. Pour en savoir plus, consultez notre note de synthèse (a).


Ce billet accompagne une série de notes de synthèse consacrées au rapport
Travailler sans frontières : Promesses et périls du travail à la demande en ligne

 

Lire aussi

Digital pathfinders: The role of youth in the online gig economy
What drives demand for online gig workers? NASA’s drive for innovation
Beyond 9 to 5: How online gig work can create more jobs for women


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Auteurs

Namita Datta

Responsable de programme, Solutions for Youth Employment (S4YE)

Catalina Rodriguez Tapia

Consultante, Solutions for Youth Employment (S4YE), Banque mondiale

Nadina Iacob

Consultante en économie numérique, Banque mondiale

Oliver Azuara

Économiste senior, Marchés du travail et sécurité sociale, Banque interaméricaine de développement

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