Published on Africa Can End Poverty

Exposer la « corruption discrète » au grand jour

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Photo:Arne Hoel

En Ouganda, le taux d’absentéisme des enseignants dans les écoles primaires est de 27 %. Au Tchad, moins de 1 % des dépenses ordinaires non salariales parvient aux cliniques fournissant des soins de santé primaire. En Afrique de l’Ouest, environ 50 % des engrais ont déjà été dilués avant d’arriver entre les mains des agriculteurs.

Voici quelques exemples de « corruption discrète » que nous illustrons dans le rapport sur les Indicateurs du développement en Afrique 2010. Ce rapport a été abondamment relayé par les médias (voir notamment les articles sur lemonde.fr et rfi.fr), et les idées qu’il développe semblent avoir touché une corde sensible chez de nombreux observateurs. Divers intervenants nous ont également fait part de leurs commentaires, extrêmement attentifs, lors de séminaires.

  • Philippe Montigny du CIAN s’est tout d’abord demandé si ces phénomènes pouvaient être qualifiés de « corruption », celle-ci désignant en général une action effectuée en échange d’une rétribution financière. Dans notre cas, nous décrivons plutôt une absence d’action, rétribuée par une somme dérisoire. P. Montigny a finalement conclu que les deux phénomènes correspondaient à des déviations par rapport à l’éthique ou aux normes professionnelles ou judiciaires, et donc que l’emploi du terme « corruption » était bel et bien justifié.
  • Youssou N’Dour (« sans doute le meilleur chanteur du monde », a déclaré Bono dans une tribune publiée dimanche dernier dans le New York Times) a décrit les relations de pouvoir qui existent entre les citoyens pauvres et les représentants du gouvernement et qui entraînent la « corruption discrète ». Le citoyen s’adresse au représentant en l’appelant « chef », et il porte son plus beau costume lorsqu’il va le voir. Bien que le citoyen paie le salaire du fonctionnaire par le biais de ses impôts, en fin de compte c’est toujours l’État qui demande quelque chose au citoyen. Et si l’État ne fournit pas les services qu’il est censé fournir, le citoyen n’ose pas même écrire une lettre de réclamation.
  • Joel Kibazo, du groupe de réflexion Chatham House, a peut-être posé la question la plus importante : à présent que le diagnostic a été établi, que pouvons-nous faire pour remédier à la corruption discrète ?

J’apporterai deux réponses à cette question. Tout d’abord, nous pouvons essayer de modifier les incitations, afin que les professeurs et les médecins estiment qu’il est dans leur intérêt d’aller travailler. Au Rwanda, la mise en place d’un programme de primes pour les médecins, attribuées en fonction du nombre d’enfants qu’ils vaccinent ou du nombre de femmes enceintes qu’ils examinent, contribue à améliorer les résultats dans le secteur de la santé. De plus, ces performances peuvent être liées au dispositif de « financement basé sur les résultats » qui a introduit les primes.

Cependant, ce système n’est possible que si les hommes politiques acceptent de modifier les incitations (et, parfois, de réduire les émoluments des fournisseurs de services absentéistes). Et si les hommes politiques ne sont pas disposés à le faire ? L’une des alternatives consiste à rendre publiques les informations sur la corruption discrète, pour que la population puisse faire pression en faveur d’une réforme du système.

C’est la raison pour laquelle nous avons choisi de mettre en avant la corruption discrète dans les Indicateurs du développement en Afrique, une base de données comportant 1 600 variables et couvrant 53 pays africains.

Les chiffres peuvent s’avérer un outil puissant lorsqu’il s’agit d’arriver à un consensus autour des réformes, notamment des réformes qui bénéficient aux populations pauvres. Dans cet objectif, la Banque mondiale rend aujourd’hui gratuit l’accès à toutes ses bases de données.

Nous espérons que ces efforts permettront d’exposer au grand jour la corruption discrète et de la réprimer.
 


Authors

Shanta Devarajan

Teaching Professor of the Practice Chair, International Development Concentration, Georgetown University

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