Auteurs: Richard Akresh, Damien de Walque et Harounan Kazianga
Dans une récente étude, nous présentons les impacts sur l’éducation d’un projet-pilote de transferts monétaires au Burkina Faso1, dans la Province du Nahouri. Ce projet-pilote est accompagné d’une évaluation d’impact expérimentale randomisée pour mesurer et comparer, dans le même contexte en zone rurale au Burkina Faso, l’efficacité de transferts monétaires conditionnels et non-conditionnels qui ciblent les ménages pauvres. Les programmes de transferts monétaires conditionnels (TMC), comme les transferts monétaires non-conditionnels (TMNC), transfèrent des ressources monétaires aux ménages pauvres à intervalles réguliers. Mais la différence principale c’est que les TMC imposent des conditions aux ménages, telles que l’inscription et la fréquentation scolaire pour les enfants d’âge scolaire.
Avec les TMC, si les conditions ne sont pas respectées pour une période donnée, les transferts ne sont pas payés pour cette période. Au contraire, avec les TMNC, il n’y pas de conditions à respecter.
La question-clef de l’étude est donc celle du rôle joué par les conditions dans les programmes de TMC : ces conditions influencent-elles les comportements qu’elles cherchent à améliorer? Notre étude se concentre sur les différents impacts que les deux types de transferts monétaires ont sur l’éducation des enfants de 7 à 15 ans.
Les TMC ont un impact plus fort que les TMNC pour les enfants « marginaux »
Nous développons et testons de manière empirique l’hypothèse que les TMC sont plus efficaces que les TMNC pour améliorer l’inscription scolaire des enfants “marginaux”, ceux qui sont moins susceptibles d’y aller, tels que les filles, les enfants plus jeunes et les enfants moins doués. Notre point de départ est l’observation que dans cet environnement souvent les parents choisissent de manière stratégique d’investir davantage dans l’éducation de certains de leurs enfants. Dans ce papier et cet autre papier, ainsi que dans ce post de blog en Français, utilisant notre enquête de base, nous avons documenté que les parents décident de manière stratégique, lesquels de leurs enfants ils vont inscrire à l’école en se basant sur les capacités cognitives de ceux-ci. Notre échantillon de recherche comprend tous les enfants (garçons et filles de 7 à 15 ans), et donc nous pouvons comparer de manière explicite les impacts différents des conditions sur les enfants « marginaux » comparés aux autres.
Nos résultats indiquent que les TMC sont plus efficaces que les TMNC pour augmenter l’inscription scolaire des enfants “marginaux”, les filles, les enfants plus jeunes (7 à 8 ans), et les enfants moins doués. Avec des transferts annuels de 8000 Francs CFA ($17,6) pour les enfants de 7 à 10 ans et de 16000 Francs CFA ($35,2) pour les enfants de 11 à 15 ans, nous trouvons les résultats suivants:
- Les TMC entraînent une augmentation statistiquement significative de l’inscription scolaire de 20,3 pourcent pour les filles, de 37,3 pourcent pour les jeunes enfants, et de 36,2 pourcent pour les enfants moins doués.
- Pour les mêmes catégories d’enfants, les TMNC n’ont, soit pas d’impact significatif sur l’inscription scolaire, soit un impact qui est significativement moindre que l’impact des TMC.
Cependant, nous trouvons que les TMC et les TMNC ont des effets similaires pour augmenter le taux d’inscription des enfants que les parents privilégient généralement pour l’inscription, tels que les garçons, les enfants plus âgés (9 à 13 ans) et les enfants plus doués.
- Les TMC et les TMNC augmentent respectivement l’inscription de 21,8 et 22,2 pourcent parmi les garçons, 17,4 et 14 pourcent parmi les enfants plus âgés, et 27 et 28,5 pourcent parmi les enfants plus doués.
Nous illustrons ces résultats par les figures 1 et 2 dans lesquelles nous comparons l’augmentation en pourcent de l’inscription scolaire dans les villages TMC et TMNC par genre (figure 1) et par groupe d’âge et niveau de capacité (figure 2).
Les transferts monétaires que nous avons étudiés au Burkina Faso couvrent garçons et filles dans un large groupe d’âge et ont un impact sur les deux aspects de l’inscription scolaire: amener les enfants non-inscrits à fréquenter l’école et diminuer le décrochage scolaire. Cela nous permet d’investiguer pourquoi les conditions liées aux TMC fonctionnent et pour quels enfants elles sont les plus efficaces. Dans des environnements aux ressources limitées, tant les TMC que les TMNC augmentent le budget des ménages et permettent à ceux-ci d’inscrire davantage d’enfants qu’ils ont tendance à traditionnellement favoriser en matière d’investissement éducatif. Mais les conditions liées aux TMC jouent un rôle critique pour améliorer la situation scolaire des enfants pour lesquels les parents ont moins tendance à investir.
Implications pour la politique d’éducation
Les implications de ces résultats sont claires: le choix entre TMC et TMNC dépend des objectifs de la politique d’éducation :
- Si l’objectif est d’augmenter le taux d’inscription de manière générale, les TMNC ont sans doute des effets comparables à ceux des TMC.
- Mais si l’objectif comprend aussi un souci particulier d’améliorer la participation scolaire des enfants qui sont généralement moins bien intégrés au système scolaire, alors les TMC auront sans doute davantage d’impact et leur coût-efficacité sera plus grande. Cette conclusion prend toute sa valeur dans le contexte de l’Objectif du Millénaire 3 qui veille à réduire les inégalités de genre en matière d’éducation.
Mettre en œuvre des programmes de TMC dans un contexte africain
Une des contributions de cette étude est aussi de montrer que des programmes de transferts monétaires conditionnels peuvent être mis sur pied en Afrique sub-saharienne. En effet, les programmes de TMC doivent s’appuyer sur un certain degré de capacité administrative : capacité de cibler les ménages éligibles, de planifier des réunions les informant de leurs droits et obligations, de vérifier périodiquement que les conditions requises pour les transferts sont satisfaites par les ménages et de transférer les fonds aux bénéficiaires. Il y a dès lors débat sur la question de savoir si ce type de programmes, qui ont obtenu des succès en Amérique Latine, peuvent également être mis en œuvre effectivement par les administrations centrales ou locales en Afrique.
Le programme de transferts monétaires que nous avons étudié s’appuyait sur les structures gouvernementales existantes et a été mis en œuvre dans un environnement sans registre complet de la population et où une très faible partie de la population a accès aux services bancaires. Comme suggéré dans la photo ci-dessus, la logistique des transferts monétaires ne reposait pas sur des technologies avancées. Le gouvernement distribuait l’argent lors d’une réunion qui se tenait tous les trimestres au centre de chaque village. Dans les villages TMC, l’inscription et la fréquentation scolaire étaient vérifiées par la signature du maître d’école dans un carnet prévu par le programme, avec un audit aléatoire dans les registres scolaires pour une fraction des enfants. Même si cette étude est un projet de deux ans limité à une province et que le passage à l’échelle doit encore être étudié, elle indique toutefois que les TMC peuvent être mis en œuvre et avoir un impact dans le contexte africain.
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1 Un projet mis en œuvre par Secrétariat Permanent du Comité National pour la Lutte contre Sida et les Infections Sexuellement Transmissibles du Burkina Faso.
- Richard Akresh est Assistant Professor en Economie à l’Université d’Illinois à Urbana-Champaign, Etats-Unis.
- Damien de Walque est Economiste Principal au Groupe de Recherche en Développement de la Banque Mondiale.
- Harounan Kazianga est Assistant Professor en Economie au Département d’Economie de la William Spears School of Business, Oklahoma State University, Etats-Unis
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