Adapter le système alimentaire africain au changement climatique est un impératif : il est temps d’agir

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Kilissi experimental field for seeds production. Labors work at farming in the experimental field. Photo credit: Vincent Tremeau /World Bank Kilissi experimental field for seeds production. Labors work at farming in the experimental field. Photo credit: Vincent Tremeau /World Bank

La sécurité alimentaire et le changement climatique comptent parmi les grands défis de notre temps. En Afrique, la transformation du système alimentaire n'avance pas comme elle le devrait, tandis que le climat connaît de profonds dérèglements. En 2020, plus d’une personne sur cinq en Afrique souffrait de la faim — c’est deux fois plus que partout ailleurs dans le monde — et environ 282 millions d’habitants sont actuellement sous-alimentés. Rien qu’en Afrique de l’Ouest, plus de 27 millions de personnes ont eu besoin d’une aide alimentaire immédiate en 2021  sous l’effet d’une conjugaison de facteurs : sécheresse, pauvreté, hausse des prix des importations alimentaires, dégradation de l’environnement, déplacements de population, faible intégration commerciale, conflits...

Adapter le système alimentaire africain au changement climatique n’est pas une option, c’est un impératif. En Afrique subsaharienne, chaque inondation ou sécheresse fait reculer la sécurité alimentaire recule de 5 à 20 points de pourcentage, tandis que le changement climatique est responsable d’une réduction d’environ 1,4 % par an des calories alimentaires issues des principales cultures vivrières de base. Et même si les exportations agricoles sont en hausse, le continent reste un importateur net de produits alimentaires, ce qui correspond à une dépense annuelle de 43 milliards de dollars, et qui pourrait atteindre 110 milliards d’ici 2025 si rien ne change.

Les actions menées actuellement en Afrique dans le but de renforcer la résilience des systèmes alimentaires aux chocs climatiques sont prometteuses, mais loin d’être suffisantes pour répondre à l’ampleur du problème. Si les températures mondiales augmentent en moyenne de 3 °C, comme le laissent à penser les tendances actuelles, les systèmes alimentaires subiront des dommages catastrophiques et profonds qui menaceront la survie de millions de personnes.  Et même si l’on parvient à limiter la hausse des températures à 1,5 °C, l’adaptation nécessitera la mise en œuvre urgente d’interventions plus ambitieuses pour prévenir les risques de famine à grande échelle.

Que faut-il faire pour adapter le système alimentaire africain aux dérèglements du climat ?

Les principales mesures d’adaptation dans le domaine de l’agriculture sont bien définies et elles s’appuient sur des données probantes et sur la pratique. Il s'agit de solutions qui se déclinent autour des politiques publiques, des chaînes de valeur alimentaires et des moyens de subsistance, des activités agricoles et des paysages productifs. Selon un rapport du Global Center on Adaptation (GCA) sur l’état et les tendances de l’adaptation en Afrique en 2021 (a), les investissements du secteur public en Afrique devraient donner la priorité à la recherche et à la vulgarisation agricoles, à la gestion de l’eau, aux infrastructures, à la restauration des terres et aux services d’information sur le climat, afin de renforcer la résilience des petits agriculteurs, des éleveurs nomades, des pêcheurs et des petites entreprises.

Un nouveau projet doté de 60 millions de dollars entend précisément soutenir les activités de recherche et de renforcement des capacités menées par le Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (CGIAR) et les organisations partenaires, dans le but d’améliorer l’accès à des services d’information climatique et des technologies agricoles climato-intelligentes éprouvées en Afrique. Intitulée Accélérer l’impact de la recherche climatique du CGIAR en Afrique (a) (ou AICCRA selon son acronyme en anglais), cette initiative adopte une approche novatrice pour combler le « chaînon manquant » entre, d’une part, les organisations qui produisent et fournissent des connaissances sur le climat et des technologies climato-intelligentes et, d’autre part, les organisations et les individus qui utilisent ces connaissances et technologies. Les investissements de l’AICCRA se concentreront sur six États — Éthiopie, Ghana, Kenya, Mali, Sénégal et Zambie — mais leurs bénéfices s’étendront à d’autres pays africains, dans la mesure où le projet s’attache à collaborer avec les communautés économiques régionales et les réseaux de recherche associés. Des partenariats ont ainsi été forgés à travers le continent afin de diffuser des services d’information climatique et de renforcer les capacités d’adoption de technologies agricoles adaptées aux enjeux du climat.

Le Soudan du Sud a récemment bénéficié de deux nouveaux projets représentant au total 116 millions de dollars et visant à renforcer les capacités des agriculteurs, à améliorer la production agricole et à rétablir les moyens de subsistance et la sécurité alimentaire. Le projet pour des moyens de subsistance agricoles résilients (a), d’un montant de 62,5 millions de dollars, soutient la formation des agriculteurs afin de les aider à gérer efficacement leurs organisations, à adopter les nouvelles technologies et à recourir à des pratiques agricoles climato-intelligentes pour augmenter leurs rendements. Par ailleurs, le projet d’intervention d’urgence contre les invasions acridiennes (a), d'un montant de 53,7 millions de dollars, a pour objectif d'intensifier la lutte contre les criquets pèlerins en restaurant les moyens de subsistance des populations les plus pauvres et en renforçant les systèmes qui permettront au Soudan du Sud de mieux se préparer à cette menace. Le projet fournira un revenu direct aux ménages les plus vulnérables afin de leur permettre de produire plus de nourriture pour leur propre consommation et pour les marchés locaux. Le projet soutient en outre la restauration des pâturages et des systèmes agricoles et contribue à rétablir la production sur 35 000 hectares de terres, en aidant 135 000 agriculteurs à relancer leurs activités et en procurant une aide de subsistance à 48 300 ménages.

En Afrique de l’Ouest, la Banque mondiale a récemment approuvé un programme à phases multiples de 570 millions de dollars dans le but d’améliorer la résilience des systèmes alimentaires, de promouvoir les chaînes de valeur intrarégionales et de renforcer les capacités régionales de gestion des risques agricoles. La première phase du programme, dotée d’un budget de 330 millions de dollars, réunit quatre pays — Burkina Faso, Mali, Niger et Togo — et trois organisations régionales : la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), le Comité permanent inter-États de lutte contre la sécheresse dans le Sahel (CILSS) et le Conseil ouest et centre africain pour la recherche et le développement agricoles (CORAF). Une deuxième phase est en préparation, qui associera trois autres pays : le Ghana, le Tchad et la Sierra Leone. Le programme s’attachera simultanément à accroître la productivité agricole grâce des pratiques climato-intelligentes, à promouvoir les chaînes de valeur et le commerce intrarégional et à renforcer les capacités régionales de gestion des risques agricoles. En investissant dans ces trois domaines et en ciblant des territoires prioritaires, le programme établira une infrastructure régionale durable qui permettra de mettre fin à la succession perpétuelle de chocs et de périodes de redressement qui caractérise les systèmes alimentaires de la région.

On peut soutenir l'adaptation des systèmes alimentaires avec des investissements dans le secteur agricole qui améliorent la productivité, la résilience et l’efficacité de l’utilisation des ressources. Il sera plus rentable de financer l’adaptation au changement climatique que de financer des crises de plus en plus graves et fréquentes et les opérations de secours et de relance qui les accompagnent.  En effet, le coût de l’action en faveur de l’adaptation climatique des systèmes agricoles et alimentaires représente moins d’un dixième du prix de l’inaction : 15 milliards de dollars, contre 201 milliards de dollars par an.

L’adaptation des systèmes alimentaires africains au changement climatique fait l’objet d’une mobilisation croissante, qui se manifeste par la multiplication d’investissements climato-intelligents dans l’ensemble du continent. Cet élan doit toutefois encore s'amplifier pour mieux venir en aide à des petits producteurs qui occupent une place centrale pour le renforcement de la résilience des populations africaines. Pour accroître et orienter les flux de capitaux vers les agriculteurs, éleveurs, pêcheurs et petites entreprises d’Afrique, il faudra concevoir de nouveaux mécanismes de financement et remédier à des obstacles techniques et institutionnels tenaces, à savoir notamment le manque de moyens pour gérer les risques de production, de commercialisation et de prix, et le coût élevé des frais de transaction pour les prêts aux agriculteurs.


Auteurs

Holger Kray

Chef de service au pôle Agriculture et alimentation

Chakib Jenane

Responsable du Pôle d'expertise mondiale en agriculture pour l'Afrique de l'ouest à la Banque mondiale

Shobha Shetty

Chef de service au sein du Pôle d'expertise en agriculture de la Banque mondiale

Ademola Braimoh

Spécialiste principal en gestion des ressources naturelles, Pôle mondial d’expertise en agriculture, Banque mondiale

Paavo Eliste

Lead Rural Development Specialist

Elliot W. Mghenyi

Économiste principal pour l'agriculture, Pôle d'expertise de la Banque mondiale dédié au développement durable

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