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Réformer le financement des systèmes alimentaires pour guérir la planète

Une marchande de fruits et légumes au Pakistan - Photo : Flore de Preneuf/ Banque mondiale Une marchande de fruits et légumes au Pakistan - Photo : Flore de Preneuf/ Banque mondiale

En un siècle, le système alimentaire mondial a porté des fruits extraordinaires. Grâce à tous ses acteurs, des agriculteurs aux détaillants en passant par les transformateurs et négociants, il est parvenu à nourrir une population planétaire qui est passée de 1,6 milliard d'individus en 1900 à près de 7,6 milliards en 2020, tout en réduisant le prix réel des denrées. Les quatre dimensions de la sécurité alimentaire ont progressé : disponibilité, accès, fiabilité et qualité nutritive.

Voilà, du moins, ce qui apparaît en surface.

Les systèmes alimentaires représentent une valeur commerciale d'environ 10 000 milliards de dollars par an.  Mais ils pèsent aussi 6 000 à 12 000 milliards de dollars annuels en coûts sociaux, économiques et environnementaux cachés (a). Extinction de la faune, malnutrition, pollution, pathologies d'origine alimentaire : si rien n'est fait, ces coûts vont inévitablement continuer de s'élever à mesure que la population à nourrir augmentera. Sans compter que les difficultés seront aggravées par les risques qui, des effets du changement climatique aux pandémies, découlent de la dégradation des écosystèmes, de régimes alimentaires nocifs et d’une densité urbaine croissante.

« Réformer la production, le transport, la transformation, le commerce, l'investissement, la réglementation et la consommation dans le domaine alimentaire permettrait de surmonter les défis les plus cruciaux qu'affronte notre génération.  »

Le Sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires, qui se déroule cette semaine, offre l'occasion ou jamais de promouvoir et de développer des initiatives et solutions propres à transformer les systèmes alimentaires, au bénéfice de la planète comme de l'humanité. En effet, il faut rapidement transformer ces systèmes pour qu'ils deviennent plus régénératifs, résilients et inclusifs, tout en assurant l'approvisionnement en nourriture de deux milliards d'êtres humains supplémentaires d'ici à 2050.

Réformer la production, le transport, la transformation, le commerce, l'investissement, la réglementation et la consommation dans le domaine alimentaire permettrait de surmonter les défis les plus cruciaux qu'affronte notre génération. 

Parmi les solutions techniques, beaucoup sont bien connues. Les chercheurs du CGIAR, entre autres, ont mis au point des méthodes destinées à réduire les émissions de méthane générées par la riziculture et par l'élevage (a) ou à stocker davantage de carbone dans le sol grâce à une meilleure gestion des terres cultivées et des pâturages. L'ajout d'arbres et d'arbustes dans les exploitations agricoles fournit de l'engrais organique et du fourrage, ce qui limite l'utilisation d'intrants chimiques. Dans le même temps, cela a pour effet d'augmenter le rendement des cultures, de fournir un habitat à des insectes utiles et de capter le carbone. Par ailleurs, les investissements affectés à l'amélioration des routes, au stockage au froid et à l'économie circulaire offrent des moyens prometteurs de réduire les pertes et gaspillages de produits alimentaires.

Mais ce qui peut changer la donne plus que tout, c'est la façon dont on finance les systèmes alimentaires, que ce soit par des fonds publics ou privés.  En effet, le financement est autant un facteur d'inefficacité de ces systèmes qu'un moteur essentiel de leur transformation.

Partie prenante du Sommet des Nations Unies, la Banque mondiale a collaboré avec l'Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI) et avec la Food and Land Use Coalition pour repenser les modes de financement des systèmes alimentaires. Ensemble, nous avons identifié cinq impératifs financiers propres à ouvrir de nouveaux débouchés commerciaux équivalant à 4 500 milliards de dollars par an. En recensant les solutions possibles et en traçant une feuille de route à l'intention des différents acteurs du système financier, nous espérons que ces impératifs accéléreront des changements vitaux pour la population mondiale et pour la planète.

La transformation du financement des systèmes alimentaires devra reposer sur une démarche systémique, consistant notamment à réorienter les politiques et aides publiques dirigées vers le secteur agroalimentaire , et ce, dans le but de résoudre les problèmes sanitaires et climatiques. Selon une analyse de la Banque mondiale portant sur les aides publiques dans 79 pays, les gouvernements allouent environ 570 milliards de dollars par an à la production alimentaire, principalement sous forme de soutien des prix, de subventions aux intrants agricoles et de versements directs aux producteurs. Certes, une partie de ces fonds est affectée à la recherche-développement, à la sécurité sanitaire des aliments et aux programmes de préservation de l'environnement. Mais il ne s'agit que d'une fraction limitée des montants en jeu et la dépense publique pourrait s'axer de manière beaucoup plus volontaire sur les objectifs de développement. La Banque mondiale, qui aide déjà à optimiser les politiques agricoles dans de nombreux pays, prévoit d'aider d'autres pays où se manifeste une demande de changement.

Le secteur privé a lui aussi un rôle important à jouer pour atténuer les risques environnementaux et sociaux. Par exemple, les banques peuvent réorienter les investissements vers des entreprises aux activités plus durables. De même, les grands groupes agroalimentaires peuvent investir dans les actifs naturels nécessaires pour poursuivre la production alimentaire — une terre saine, l'eau, les pollinisateurs, l'ombre — tout en éliminant la déforestation de leurs chaînes d'approvisionnement. La transformation de l'architecture financière du secteur alimentaire pourrait au total rediriger 2 000 milliards de dollars de capitaux privés vers des investissements plus sains. 

« Le potentiel de changement positif est tellement vaste que nous ne pouvons continuer à omettre l’enjeu du financement des systèmes alimentaires dans nos efforts en faveur d’un développement vert, résilient et inclusif. »

Cela consisterait par exemple à mettre en place un pacte mondial pour le financement des systèmes alimentaires entre États et secteur privé. Dans ce cadre, le financement public aiderait à réduire le risque associé aux investissements privés, dès lors qu'ils répondraient à des critères plus stricts en matière sociale et environnementale et qu'ils seraient consacrés à des activités plus saines, plus inclusives et plus résistantes au changement climatique.

Une telle réforme du financement des systèmes alimentaires serait une source de bénéfices immenses.  En effet, en plus de créer de nouvelles possibilités d'investissement à hauteur de milliers de milliards de dollars, cela réduirait considérablement les maladies causées par la malnutrition. De nouveaux modèles de financement contribueraient à atténuer le réchauffement planétaire de telle sorte qu'il reste inférieur à 1,5°C, en inversant le mouvement de déforestation et de dégradation d'écosystèmes riches en carbone. De plus, en s'attaquant directement aux facteurs qui conduisent à la pauvreté et à la faim, un meilleur financement des systèmes alimentaires renforcerait la résilience des familles et des pays face aux chocs.

Le potentiel de changement positif est tellement vaste que nous ne pouvons continuer à omettre l’enjeu du financement des systèmes alimentaires dans nos efforts en faveur d’un développement vert, résilient et inclusif.


Auteurs

Juergen Voegele

Vice-président pour le Développement durable, Banque mondiale

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