Crise alimentaire et inflation persistantes en Afrique de l'Ouest : une occasion à saisir pour le Bénin ?

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The Persistent Food Crisis and Inflation in the West Africa Region. The Persistent Food Crisis and Inflation in the West Africa Region.

L'évolution rapide de la situation alimentaire, des prix et des marchés

Le déficit vivrier croissant et la hausse de la demande au Nigéria, au Niger et au Burkina Faso exercent des pressions considérables sur les marchés alimentaires locaux et régionaux. Le déficit brut de céréales en Afrique de l'Ouest a été estimé à 9,5 millions de tonnes, dont près de quatre millions pour le seul Nigéria (figure 1). Face à la crise alimentaire en cours, le gouvernement béninois a essentiellement pris des mesures de court terme, depuis l'interdiction d'exporter des céréales vers les pays voisins et l'imposition de droits de douane à l'exportation, en passant par la fourniture d'intrants subventionnés aux agriculteurs. Toutefois, ces mesures ont rapidement montré leurs limites : le gouvernement a été dépassé par l'inflation persistante, l'augmentation rapide des prix des intrants et des biens de consommation importés (provoquée par le conflit entre la Russie et l'Ukraine), et, par ailleurs les taxes à l'exportation mises en place n'ont pas réduit les flux sortants de céréales vers le reste de la région. Ces dernières années, le Bénin n'a produit qu'un faible excédent alimentaire, alors que le déficit vivrier régional se prolongera probablement, augmentant encore les pressions sur les prix des aliments sur les marchés locaux et régionaux. Le pays peut donc trouver là une occasion idéale de produire davantage de cultures vivrières et de développer le commerce de denrées alimentaires avec les pays de la sous-région qui accusent des manques importants dans ce domaine. 

Figure 1 - Déficit céréalier brut attendu dans la sous-région de l'Afrique de l'Ouest

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Figure 1 - Expected cereal deficit in West Africa
Source: Food Crisis Prevention Network (2021)

Les agriculteurs béninois ont d'ailleurs tenté d'exploiter les débouchés possibles sur le marché local et régional en augmentant leur production (figure 2). Cependant, leur action a été bridée par l'incohérence de la politique commerciale et, par conséquent, n'a pas conduit à une montée en puissance significative leur permettant de tirer pleinement parti des perspectives offertes par le marché régional dans un contexte de crise alimentaire persistante en Afrique de l'Ouest.

 

Figure 2 - Superficies cultivées, production et rendements moyens des principales céréales au Bénin

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Figure 2 - Areas cultivated, production, and average yields of major cereals in Benin
Source: FAOSTAT and Agriculture Statistics Directorate (2021)

Exploiter les opportunités croissantes du marché régional pour les cultures vivrières : la voie à suivre

  • Améliorer l'accès aux semences à haut rendement

Le système de gestion des semences du Bénin pâtit de plusieurs faiblesses, tant sur le plan de la coordination et de l'estimation de la demande que du manque de compréhension des réglementations et donc du respect des normes, ou encore du contrôle de la qualité et des capacités. La plupart des agriculteurs n'ont pas accès aux variétés à haut rendement et aux semences certifiées qui permettraient une augmentation généralisée de la productivité. Selon le rapport sur les performances du secteur agricole, en 2020 par exemple, seuls 4,7 % des besoins en semences certifiées ont été satisfaits pour le maïs, 22,2 % pour le riz et 6,8 % pour le soja.

L'adoption récente de la stratégie de développement du secteur des semences (2022-2026) est un pas positif vers le développement d'une industrie semencière dynamique dans le pays. Ce sous-secteur pourrait contribuer de manière significative à la compétitivité et au développement des filières céréalières à condition d’agir rapidement sur les aspects essentiels suivants : renforcement des capacités humaines et des infrastructures des entités publiques et privées ; diversification de la production de semences ; amélioration de la communication et du partage des connaissances sur les réglementations et les normes relatives aux semences ; renforcement du système de recherche - y compris le développement de semences hybrides ; établissement de liens commerciaux entre les producteurs et les entreprises semencières ; et ouverture du secteur des semences aux acteurs régionaux ayant démontré leur capacité à fournir des produits de haute qualité, conformes aux réglementations harmonisées de la CEDEAO. De nombreux enseignements et bonnes pratiques peuvent être tirés du Programme de productivité agricole en Afrique de l'Ouest (PPAAO), financé par la Banque mondiale, et qui a permis de développer plusieurs variétés prêtes à être diffusées à l'échelon régional.

  • Faciliter l'accès aux intrants chimiques, engrais notamment, à un prix abordable

À la suite du conflit entre l'Ukraine et la Russie, il est essentiel d’apporter une réponse régionale à la flambée des prix des engrais et des problèmes d'approvisionnement afin de satisfaire les besoins en fertilisants des différents pays de la sous-région, à moyen et à long terme. Le Bénin importe la majeure partie de ses engrais de Russie, importations freinées par le conflit et les sanctions commerciales. Les prix de ces produits devraient encore augmenter dans un avenir proche, mais le gouvernement béninois a déjà annoncé qu'il ne serait pas en mesure de maintenir les subventions actuelles en raison d'une marge budgétaire limitée.

Le renforcement de la production d'engrais en Afrique de l'Ouest est par conséquent essentiel pour la transformation de l'agriculture sur tout le continent. La création d'une usine de fabrication d'engrais est un investissement coûteux, difficile à justifier dans un pays donné si les ressources sont abondantes et que la demande globale est faible, et vice-versa. Le Nigéria a réussi à surmonter le problème du coût de l'investissement : le pays a récemment inauguré sa méga-usine d'engrais sur fond de guerre en Ukraine. La proximité de cette nouvelle usine offre aux responsables politiques et au secteur privé béninois une occasion unique de travailler avec leurs homologues nigérians dans le cadre de la Communauté économique des États d'Afrique (CEDEAO), de la Zone de libre-échange continental africaine (ZLECAf) et d'autres accords bilatéraux, afin de fournir des engrais aux agriculteurs pour augmenter la production alimentaire. Ce serait un moyen de répondre à la demande régionale croissante de denrées, tout en abandonnant les restrictions commerciales qui démotivent les producteurs. 

  • Favoriser la généralisation de la mécanisation dans l'agriculture

 Le Bénin manque aujourd'hui d'engins mécanisés pour les travaux agricoles. Selon la FAO, 9 159 tracteurs seraient nécessaires pour répondre aux besoins de la main-d'œuvre du secteur agricole. Le gouvernement s'efforce de fournir des tracteurs aux agriculteurs, mais il faut faire davantage pour inciter le secteur privé à investir durablement et à grande échelle dans la mécanisation, notamment en lui confiant l'importation et la fourniture d'engins agricoles. Il convient aussi de mettre en place un modèle commercial viable pour la fourniture de services de location d'engins et de favoriser l'implication du secteur privé dans ce domaine. Les efforts de promotion de la mécanisation doivent également s’attacher à garantir la formation adéquate des conducteurs de tracteurs, la disponibilité permanente de pièces de rechange abordables et l'amélioration des compétences en matière de réparation et de travaux mécaniques.

  • Soutenir l'irrigation à petite et moyenne échelle

L'irrigation est fondamentale pour la production alimentaire future, en raison du changement climatique et de la fluctuation de la disponibilité en eau qui en résulte. Elle contribue directement à la hausse des rendements, tout en facilitant l'adoption d'autres intrants favorisant la productivité, tels que l’utilisation de semences améliorées, l’apport d’engrais appropriés et l'adoption de meilleures pratiques de culture. Le potentiel d'irrigation du Bénin est estimé à 375 000 hectares, mais 6,4 % (24 181 hectares) seulement de cette surface étaient irrigués par le passé. Les efforts actuels visent à créer 50 000 hectares de terres irriguées. Pour augmenter la production de riz de manière significative et durable, il est essentiel de promouvoir l'irrigation là où il y existe un potentiel avéré, en facilitant la fourniture par le secteur privé de technologies d'irrigation modernes à petite et moyenne échelle, ainsi que le partage des connaissances par la vulgarisation et des démonstrations aux agriculteurs sur le terrain. Les technologies d'irrigation modernes sont facilement disponibles dans la sous-région et ne demandent qu'à être déployées dans tout le pays. 


Auteurs

Erick Abiassi

Senior Agriculture Economist

Chakib Jenane

Directeur régional pour le développement durable, Afrique de l’Ouest et du Centre

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