Avant l’introduction de systèmes de pension et d’allocations de veuvage à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle dans les économies occidentales, les veuves faisaient généralement partie des catégories les plus pauvres et les plus vulnérables. De nos jours, on pourrait s’attendre à une situation analogue dans les pays en développement où les filets de protection sociale et les mécanismes d’assurance sont encore insuffisants, et où il existe toujours de fortes inégalités entre hommes et femmes en ce qui concerne les droits fondamentaux, le développement humain et l’accès aux actifs et à l’emploi. Pourtant, même si le veuvage a probablement d’importantes répercussions sur la vie des femmes en Afrique, force est de constater que l’on en sait peu, à ce jour, sur les conditions de vie des veuves sur ce continent.
Ce déficit d’informations tient en partie au fait que, le plus souvent, on prend comme unité d’observation le ménage pour mesurer la pauvreté et la vulnérabilité. Or, les sources de données standard ne renseignent pas spécifiquement sur la situation des personnes potentiellement défavorisées, telles que les veuves remariées, les veuves jeunes ou âgées et leurs enfants. Nous avons donc décidé d’explorer ces aspects dans une contribution destinée au dernier rapport en date du Groupe de la Banque mondiale sur la pauvreté en Afrique, Poverty in a Rising Africa, en nous appuyant sur les enquêtes démographiques et de santé (DHS) (a) réalisées sur le continent. Les résultats que nous avons obtenus sont édifiants.
Nous constatons tout d’abord qu’en Afrique, l’expérience du veuvage est très différente selon que l’on est un homme ou une femme (voir le graphique ci-dessous). Alors que plus de 80 % des hommes âgés de 30 à 80 ans environ sont mariés, la proportion de femmes mariées atteint son plus haut niveau vers 30 ans, avant de tomber rapidement à moins de 80 % après l’âge de 40 ans. Ensuite, la baisse s’accélère et la proportion de veuves ne cesse de s’accroître. À l’âge de 65 ans, les veuves sont aussi nombreuses que les femmes mariées et, à l’âge de 80 ans, 80 % des femmes sont veuves.
L’expérience du veuvage diffère entre les hommes et les femmes
Ces tendances sont imputables à plusieurs facteurs : le taux de remariage nettement plus élevé des hommes veufs ou divorcés, l’espérance de vie plus grande des femmes et, dans certains cas, les ravages causés par le VIH et la guerre. En Afrique, une femme sur 10 âgée de 15 ans et plus est veuve. Et 72 % des veuves sont chefs de famille.
En outre, alors que l’on pense habituellement que les veuves sont âgées, en réalité, beaucoup sont plutôt jeunes. En Afrique, 3 % des femmes de 15-49 ans sont veuves à un moment donné. Si l’on inclut les nombreuses veuves jeunes qui se remarient, on dénombre plus de 5 % de femmes de moins de 49 ans qui ont été veuves.
Mais les veuves sont-elles particulièrement défavorisées dans cette région du monde, comme l’étaient autrefois les veuves dans les pays occidentaux ? On sait que le choc du veuvage entraîne la perte de ressources économiques associées au mariage, telles que l’accès à des actifs productifs (par exemple des terres), ainsi que de la protection et du statut conférés par le mari. Sans parler de la longue période de réclusion et des rituels dégradants encore fréquemment imposés aux veuves (dans certaines sociétés). Parfois, les femmes sont accusées d’avoir causé la mort de leur époux. Il va sans dire que les veufs ne sont pas soumis à de telles exigences et ne font pas l’objet de telles accusations.
Quelques études récentes contournent les problèmes de données en recourant à des mesures individuelles du bien-être économique qui se fondent, par exemple, sur l’état nutritionnel, ou à des mesures innovantes de la consommation individualisée, avec une ventilation des données en fonction de la situation matrimoniale. Les constats de ces études sont les suivants :
- Au Mali, les ménages les plus pauvres sont souvent dirigés par une veuve. De plus, l’état nutritionnel des veuves est moins bon que celui des autres catégories de femmes, quel que soit leur âge. Ce désavantage subsiste lorsqu’une veuve se remarie, et il a des répercussions sur la santé et sur les résultats scolaires de ses enfants.
- Au Nigeria, les veuves présentent un moins bon état nutritionnel qui peut s’expliquer par les pratiques successorales, ainsi que par les comportements et normes culturels dont pâtissent les veuves dans certains groupes ethniques ou religieux.
- Au Sénégal, et ailleurs, l’opportunité d’un remariage peut offrir une certaine protection aux veuves. Dans ce pays, ce sont les veuves les plus pauvres qui se remarient, tandis que celles qui ont davantage de moyens peuvent se permettre de ne pas se remarier. La moitié des veuves qui se remarient épousent un parent de leur mari décédé. Dans des environnements où les droits des femmes et leur accès aux biens sont encore contrôlés par les hommes, le remariage peut constituer une véritable bouée de sauvetage. On observe en outre que, parmi les Sénégalaises dont le mari a déjà des enfants issus d’autres unions, lesquels sont donc des « rivaux » dans la succession si le père de famille vient à décéder, les naissances sont plus rapprochées et le nombre de grossesses atteint un niveau potentiellement dangereux pour la santé de ces femmes qui tentent désespérément d’avoir un fils car celui-ci représente une assurance en cas de veuvage.
Ce billet s’inscrit dans le cadre d’une série de posts consacrés aux conclusions du rapport de la Banque mondiale intitulé Poverty in a Rising Africa (2016), sur la pauvreté dans une Afrique en plein essor. Le prochain billet, qui sera publié le 18 janvier, s’intéressera aux violences domestiques. Billets précédents :
- L'Afrique est en plein essor ! Mais le sort des Africains s'est-il amélioré ?
- Qui financera les enquêtes sur la pauvreté dans les pays « Volkswagen » ?
- The European refugee crisis: What we can learn from refugees in Sub-Saharan Africa
- En Afrique, la pauvreté décroît plus rapidement dans les ménages dirigés par une femme
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