Gravir les échelons : créer de l’emploi pour libérer le potentiel de la jeunesse africaine

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Gravir les échelons : créer de l’emploi pour libérer le potentiel de la jeunesse africaine Une bénéficiaire d’un filet de protection sociale devant son commerce de détail, Togo. Crédit : Christophe Mawunou

L’Afrique subsaharienne connaît une transition démographique d’ampleur mondiale. La population de la région devrait passer de 1,5 milliard d’habitants en 2024 à 2,5 milliards en 2050, avec plus de 600 millions de personnes rejoignant la population en âge de travailler. D’ici là, une personne sur trois âgée de 15 à 34 ans dans le monde sera africaine. Cette jeunesse offre au continent une formidable opportunité de récolter les bénéfices du dividende démographique, associé à une croissance économique plus forte propulsée par une population en pleine expansion. Cependant pour réaliser les bénéfices du dynamisme démographique, les jeunes doivent avoir accès à des opportunités d’emploi productif. L’emploi est la voie vers la prospérité. Et c’est là le nœud du problème : alors que l’Afrique subsaharienne a besoin de créer 15 millions d’emplois chaque année pour suivre le rythme, le nombre d’emplois créés dans les économies de la sous-région est souvent bien moindre et ces emplois sont souvent mal rémunérées. 

Aujourd’hui, de nombreux jeunes sont sans occupation : ni scolarisés, ni employés, ni en formation (NEET) (a). Les adolescentes en particulier abandonnent trop souvent l’école en raison d’un mariage précoce ou d’une grossesse. L’urgence en la matière est réelle.
 

De nombreuses nuances d’oisiveté : proportion de jeunes ni scolarisés, ni en emploi, ni en formation
(% de la population jeune)

Image Organisation internationale du Travail. « Base de données sur les statistiques de la population active (LFS) », ILOSTAT. Consulté le 18 juin 2024. https://ilostat.ilo.org/data/


Pour répondre aux besoins des jeunes des pays en développement, le président du Groupe de la Banque mondiale, Ajay Banga, a appelé à la création d’une « échelle d’opportunités professionnelles », sur laquelle chaque échelon représente un pas vers de meilleurs emplois et davantage d’autonomie. Ce cadre attrayant et axé sur les personnes vise à conduire une réflexion exhaustive sur les actions à mettre en place pour stimuler les opportunités d’emploi à grande échelle et rapidement. Cette initiative reconnaît que la voie vers une croissance inclusive en Afrique réside dans la création d’emplois de meilleure qualité, l’augmentation des revenus du travail représentant le principal moteur pour réduire la pauvreté. Pour résoudre ce défi en Afrique, une stratégie à plusieurs volets est indispensable, qui vise d’une part l’augmentation de l’emploi salarié dans le secteur privé formel d’aujourd’hui, souvent restreint, et d’autre part l’augmentation de la productivité du travail indépendant et des micro-entreprises, dans le vaste secteur informel africain. Les programmes de gestion des migrations peuvent également améliorer la mobilité productive de la main-d’œuvre au sein des pays et à l’échelle internationale, y compris vers les économies confrontées à un vieillissement rapide. (a)

Gravir les échelons...

Pour que les jeunes puissent avancer sur l’échelle des opportunités, ils doivent d’abord y accéder.  L’extrême pauvreté et l’insécurité alimentaire font souvent obstacle à cette première étape. Dans toute l’Afrique, les programmes de protection sociale se sont avérés efficaces pour aider les pauvres à accéder aux opportunités. Ils permettent d’assurer aux bénéficiaires qu’ils aient de quoi se nourrir, que leurs enfants puissent accéder à l’éducation et aux services de santé – essentiels pour établir une main-d’œuvre solide pour demain – et que les ménages puissent investir dans des actifs productifs comme le bétail ou les stands de vente ambulante. La protection sociale offre également un filet de sécurité à ceux qui dévissent de l’échelle des opportunités, à la suite de chocs comme la pandémie de COVID-19 ou les événements climatiques de plus en plus graves et fréquents. 

Au cours des deux dernières décennies, l’Afrique a été à l’avant-garde de programmes de protection sociale « productifs », à commencer par le programme phare de filets sociaux productifs en Éthiopie.  Ces initiatives ne se limitent plus à l’aide au revenu et intègrent à présent des emplois dans les travaux publics favorisant l’atténuation du changement climatique et la résilience, l’accompagnement des bénéficiaires dans l’entrepreneuriat et la formation aux compétences de vie, l’ouverture de comptes bancaires et la promotion de plans d’épargne de groupe, en plus de l’aide au revenu.  Des programmes tels que le programme urbain Yook Kom Kom au Sénégal, le programme de filets sociaux productifs du Ghana ou le programme de soutien aux moyens de subsistance des femmes en Zambie (a) ont considérablement augmenté les revenus et l’épargne des ménages. Ces programmes sont particulièrement efficaces auprès des femmes qui se déterminent souvent elles-mêmes comme moteur entrepreneurial du ménage.

Les programmes d’emploi pour les jeunes sont en pleine expansion, avec l’objectif d’aider les jeunes Africains à trouver un emploi valorisant. Au Kenya, par exemple, le programme d’emploi et d’opportunités pour les jeunes (KYEOP) (a) a aidé 155 000 jeunes à lancer 86 000 entreprises, qui ont permis de créer 125 000 emplois et d’augmenter leurs revenus de 50 %. S’appuyant sur ce succès, le nouveau programme national d’opportunités pour la promotion des jeunes au Kenya (NYOTA, de son sigle anglais) vise à atteindre 800 000 jeunes, soit 35 % des 18-29 ans inactifs, sans emploi ou faiblement rémunérés. 

Au Bénin, le programme Azôli (dont le nom signifie « chemin vers l’emploi ») soutient également les jeunes en leur offrant une formation professionnelle, des services de placement et un appui au développement de l’entrepreneuriat. Ces programmes démontrent que l’intensification de ce type d’efforts peut avoir un impact significatif sur l’emploi des jeunes, en créant des voies vers l’inclusion économique et la résilience.

… et passer à l’échelle supérieure

Pour que l’échelle des opportunités puisse soutenir des millions de travailleurs en devenir, les gouvernements doivent investir dans des systèmes robustes. Les registres sociaux numériques des ménages défavorisés et vulnérables, étayés par des systèmes d’identification, constituent la plate-forme permettant d’orienter l’aide vers ceux qui en ont le plus besoin. Les systèmes de paiement numériques de gouvernement à personne (G2P) peuvent être utilisés pour transférer des subventions d’aide aux revenus ou des subventions de démarrage aux bénéficiaires et servir de point d’entrée pour accéder au financement. Les systèmes du marché du travail sont essentiels pour permettre aux programmes de se développer. Le Sénégal est ainsi en train de mettre en place un système d’apprentissage informel avec une validation formelle des compétences acquises, délivrant des qualifications aux jeunes formés par des entreprises informelles. L’Agence nationale pour l’emploi du Bénin joue un rôle clé dans la mise en relation des jeunes demandeurs d’emploi avec les opportunités d’emploi dans le secteur privé en pleine expansion, comme le textile dans la zone industrielle de Glo-Djibbé.

La réalisation du dividende démographique de l’Afrique d’ici 2050 nécessite un développement dynamique du secteur privé pour créer des emplois productifs. Pour que le secteur privé investisse et crée des emplois, il faut donner la priorité aux réformes pour améliorer l’environnement des affaires, stimuler l’accès aux marchés, attirer les investissements et améliorer le commerce ainsi que les performances des secteurs et des entreprises. Dans le même temps, les systèmes d’éducation et de développement des compétences doivent préparer la main-d’œuvre aux exigences d’un secteur privé formel en pleine croissance. Bien que certaines de ces réformes mettent du temps à porter leurs fruits, l’expansion des programmes d’emploi des jeunes peut produire des résultats immédiats, aidant des millions de personnes à accéder à l’échelle des opportunités.

L’urgence est réelle, mais l’opportunité l’est tout autant. Avec les bons investissements et les bons partenariats, la jeunesse africaine peut gravir l’échelle des opportunités et conduire le continent vers un avenir meilleur.

 


Christian Bodewig

Chef de division au pôle Protection sociale et emploi pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre,

Camilla Holmemo

Cheffe de division, protection sociale et emploi

Suleiman Namara

Chef de division de la protection sociale et de l’emploi

Robert S. Chase

Chef de division de la protection sociale et de l’emploi pour la région Afrique de l’Est de la Banque mondiale

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