Pourquoi y a-t-il si peu d'utilisateurs d’internet mobile en Afrique de l'Ouest ?

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A seller in Koba Guinea checks his phone while waiting for customers in his shop along the road
L'accès à l'internet et la connectivité sont des moteurs essentiels de la transformation économique dans les pays en développement.
 © Crédit photo : Vincent Tremeau / Banque mondiale

L'accès à internet est devenu une nécessité de la vie quotidienne et plus de la moitié de la population mondiale est connectée (a). Cependant, la pandémie de COVID-19 a révélé une réalité criante : se connecter à internet est toujours une mission impossible pour beaucoup. C'est particulièrement vrai en Afrique subsaharienne, où un quart de la population ne dispose toujours pas de couverture mobile à haut débit (a), contre seulement 7 % à l'échelle mondiale. Et même quand cette couverture existe, le nombre d'utilisateurs des services mobiles est faible. 

Alors pourquoi ? Qu'est-ce qui empêche un plus grand nombre de personnes de naviguer sur internet ? Certains individus sont-ils moins susceptibles que d'autres d'adopter cette technologie ?

Nous avons examiné les principaux moteurs et freins à l'utilisation de l'internet mobile haut débit chez les particuliers en Afrique de l'Ouest (a) dans un document de travail destiné au Rapport sur le développement dans le monde 2021 : Des données au service d'une vie meilleure. La situation de l'Afrique de l'Ouest est intéressante, car la plupart des pays de la sous-région se situent au bas du classement mondial en matière de taux de pénétration internet, à l'exception de la Côte d'Ivoire qui se rapproche de la moyenne mondiale. Parallèlement, les réseaux mobiles à haut débit et les écosystèmes technologiques y enregistrent une croissance rapide. Par exemple, la couverture mobile au Sénégal est passée de 66 à 98 % entre 2015 et 2020 (a). 

Nous nous intéressons au haut débit mobile, car la plupart des habitants des pays en développement, et notamment d'Afrique subsaharienne, accèdent à internet au moyen de téléphones mobiles plutôt que par des connexions fixes à large bande . En outre, l'Afrique de l'Ouest est l'une des régions les plus pauvres du monde, et la transformation numérique pourrait contribuer à stimuler une croissance inclusive et à réduire la pauvreté (a). En raison du manque de données, la sous-région a été l'une des parties du monde où les déterminants de l'accès à internet ont été les moins étudiés.

Nos travaux s'appuient sur les enquêtes harmonisées relatives aux conditions de vie des ménages de sept pays de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) pour 2018-2019. Nous combinons ces données avec des informations sur la couverture du réseau mobile à haut débit pour déterminer le taux d'adoption d'internet. Outre les caractéristiques démographiques et socio-économiques, nous étudions également les principales variables résultant des politiques qui influent sur les décisions des individus, telles que le coût de l'internet mobile et l'accès à l'électricité.

Quelles sont les conclusions de notre étude ? Dans toute la sous-région, les deux principaux obstacles à l'adoption du haut débit mobile sont liés à l'accessibilité financière, à savoir le prix élevé des services mobiles et un pouvoir d'achat limité , comme l'indique la faible consommation des ménages. Et en effet, le prix des données mobiles dans la sous-région, ajusté au coût de la vie, est parmi les plus élevés au monde. Par exemple, selon l'Union internationale des télécommunications (UIT) — l'agence des Nations Unies pour les TIC —, le Niger et la Guinée-Bissau se classent parmi les dix pays les plus chers au monde en ce qui concerne le prix des données mobiles haut débit (a). Plus précisément, nous constatons que si la consommation des ménages était supérieure d'environ deux dollars par jour et par habitant, la probabilité d'adoption de l'internet mobile gagnerait 6,5 points de pourcentage. Par ailleurs, une baisse du prix des services mobiles de 5,5 points de pourcentage (en part des dépenses moyennes des ménages par habitant) augmenterait la probabilité d'adoption d'internet de 2,4 points de pourcentage. 

Les caractéristiques démographiques et socio-économiques jouent également un rôle dans l'utilisation d'internet, comme le montrent des recherches précédentes (voir graphique ci-dessous). Les résultats mettent en évidence des écarts entre les sexes et entre zones urbaines et rurales : les femmes ont une probabilité plus faible de 6 points de pourcentage d'utiliser internet, tandis que le fait de vivre dans un environnement urbain accroît l'accès de 4,5 points . Les personnes plus jeunes (jusqu'à 40 ans) et plus instruites sont plus susceptibles d'adopter le haut débit mobile que les personnes employées dans le secteur des services. En revanche, le fait de travailler dans l'agriculture diminue cette probabilité. Les compétences linguistiques sont importantes également : les personnes qui savent lire et écrire en français — l'une des principales langues disponibles en ligne — ont davantage de chances d'accéder à internet au moyen de téléphones mobiles. Enfin, l'accès à l'électricité est corrélé à un plus grand nombre d'internautes, ce qui souligne l'importance d'investir dans des infrastructures complémentaires.
 

Principaux déterminants de l'adoption de l'internet mobile, Afrique de l'Ouest, 2018-19

Principaux déterminants de l'adoption de l'internet mobile, Afrique de l'Ouest, 2018-19

Note : Estimations ponctuelles avec des intervalles de confiance de 95 %. La catégorie de référence pour l'âge correspond à la population de 41 ans ou plus. « Peu qualifié » désigne les personnes ayant suivi un enseignement primaire et secondaire ; « hautement qualifié » désigne les personnes ayant suivi un enseignement post-secondaire ou supérieur. La catégorie de référence pour les niveaux de qualification correspond aux personnes ayant un niveau d'éducation inférieur au primaire. La catégorie de référence pour le secteur d'emploi correspond aux personnes au chômage. Pour plus d'informations, consulter l'étude correspondante de la Banque mondiale (a).


Ces résultats montrent que le fait de vivre dans des zones couvertes par la 3G+ ne garantit pas l'accès à l'internet mobile. La disponibilité du haut débit mobile doit s'accompagner de mesures politiques destinées à éliminer d'autres obstacles majeurs afin de réduire la fracture numérique et d'augmenter sensiblement l'utilisation d'internet, en particulier ceux liés à l'accessibilité financière, en ciblant les interventions sur les groupes socio-démographiques défavorisés. Ces mesures sont les suivantes :

  • accroître la disponibilité des infrastructures numériques, en particulier dans les zones rurales, et généraliser la couverture mobile 3G ;
  • promouvoir l'accessibilité financière des services en encourageant la concurrence dans le secteur des TIC et en améliorant les réglementations sur l'attribution des bandes de fréquence ainsi que les systèmes de tarification progressive, y compris l'offre de forfaits de données à bas coût pour une utilisation limitée ;
  • lever les barrières auxquelles se heurtent les femmes et d'autres groupes, notamment les personnes travaillant dans l'agriculture, ainsi que les obstacles liés aux compétences numériques et à l'accès à l'électricité ;
  • assurer une coordination sectorielle afin de proposer des offres groupées incluant des services complémentaires qui permettent une utilisation productive du haut débit mobile, notamment les paiements dématérialisés et les plateformes numériques.

L'accès à l'internet et la connectivité sont des moteurs essentiels de la transformation économique dans les pays en développement, notamment ceux d'Afrique de l'Ouest. La mise en œuvre de ces mesures peut contribuer à réduire la fracture numérique et permettre aux groupes socio-économiques jusque là exclus de récolter les fruits de la transformation numérique.

Ce programme de recherche est financé par le Partenariat pour le développement numérique (DDP), administré par le Groupe de la Banque mondiale. Le DDP constitue une plateforme pour l'innovation numérique et le financement du développement, en réunissant des partenaires des secteurs public et privé pour faire progresser les solutions numériques et favoriser la transformation numérique dans les pays en développement. www.digitaldevelopmentpartnership.org


Auteurs

Rogelio Granguillhome Ochoa

Consultant, Poverty and Equity Global Practice

Samantha Lach

Consultant, Poverty and Equity Global Practice

Takaaki Masaki

Senior Economist, Poverty and Equity Global Practice

Carlos Rodríguez Castelán

Économiste principal au sein du pôle mondial d'expertise sur la pauvreté et l'équité

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