C’est aujourd’hui que se joue l’avenir d’un secteur agroalimentaire résilient, permettant d’améliorer la sécurité alimentaire et nutritionnelle en Afrique de l’Ouest. Avec plus de 400 millions d’habitants, la région est confrontée à d’importants défis en matière de productivité agricole et de sécurité alimentaire. Malgré son vaste potentiel agricole, elle est aux prises avec une baisse de la fertilité des sols, le changement climatique et des défis socio-économiques qui menacent la production alimentaire. Une récente étude financée par Progreen1 sur la santé et la fertilité des sols met en lumière ces questions et propose une feuille de route pour transformer les pratiques de gestion des sols afin d’améliorer la productivité agricole, de renforcer la résilience des paysages et d’assurer la sécurité alimentaire et nutritionnelle à long terme dans la région.
Le défi de la santé des sols
L’agriculture génère plus de 30 % du PIB d’Afrique de l’Ouest et plus de 55 % de la population régionale vit en zone rurale. Avec de telles caractéristiques, la santé et la fertilité des sols jouent un rôle critique pour la région et méritent d’être suivies de près. Pourtant, les sols d’Afrique de l’Ouest sont intrinsèquement pauvres en éléments nutritifs, très altérés et dégradés. Des années d’extraction de nutriments et de réapprovisionnement limité en matières organiques et inorganiques ont fait des ravages. Une situation aux conséquences économiques négatives pour la région, comme le montrent ces quelques données révélatrices :
- Plus de 80 % des terres agricoles africaines sont dégradées, en raison de contraintes biophysiques ou chimiques qui limitent la production alimentaire.
- La dégradation des sols affecte les moyens de subsistance de millions de personnes et coûte chaque année à la région des milliards de dollars en importations alimentaires.
- L’Afrique subsaharienne perd l’équivalent de 4 milliards de dollars en nutriments pour les sols chaque année.
Cartographier l’adéquation des sols à l’agriculture dans la région
La carte de l’adéquation des sols en Afrique de l’Ouest révèle un contraste frappant dans la qualité des terres au sein de la région. La carte identifie six catégories en matière d’adéquation des sols, allant de très adaptés (S1) à irrémédiablement inadaptés (N3). Le Sahel apparaît comme la zone la moins adaptée, en proie à de faibles précipitations et à une forte évaporation, entrainant une désertification généralisée.
Cette évaluation complète permet d’optimiser la productivité agricole et l’aménagement durable des terres en Afrique de l’Ouest. La carte souligne le besoin urgent d’interventions ciblées dans les zones les moins adaptées pour améliorer la qualité des sols et lutter contre la désertification.
Le changement climatique : une menace croissante
Les enjeux sont encore plus importants si l’on considère le changement climatique. Le Sahel et l’Afrique de l’Ouest tropicale sont des points chauds climatiques, avec des températures en hausse et des événements météorologiques extrêmes dont la fréquence devrait augmenter dès 2040. Ces changements font déjà sentir leur impact sur la production agricole, exacerbant l’insécurité alimentaire dans la région. Des sols sains contribuent à l’adaptation climatique en retenant plus d’eau, ce qui améliore la résilience face aux sécheresses et aux précipitations irrégulières. Ils jouent également un rôle essentiel dans l’atténuation du changement climatique, par leur rôle de puits de carbone absorbant le CO2 atmosphérique.
Un nouveau modèle pour la santé des sols et la transformation de l’agriculture
L’étude sur la santé et la fertilité des sols préconise la gestion intégrée de la fertilité des sols (GIFS) comme l’une des solutions transformatrices à travers :
L’amélioration de la productivité agricole :
- Combine intrants organiques et inorganiques afin d’assurer la disponibilité et la structure des nutriments, favorisant une croissance soutenue des cultures et des rendements plus élevés.
- Favorise les pratiques d’agriculture de conservation, qui protègent contre l’érosion, améliorent la rétention d’eau et maintiennent la biodiversité des sols.
Le renforcement de la résilience climatique :
- Soutient l’adaptation au climat en renforçant la résilience des agriculteurs face aux aléas climatiques.
- Contribue à l’amélioration de la sécurité alimentaire des ménages en améliorant la productivité agricole et la disponibilité alimentaire.
L’atténuation du changement climatique :
Des sols sains peuvent séquestrer 2 à 5 milliards de tonnes de carbone par an à l’échelle mondiale à des coûts inférieurs à 100 dollars par tonne d’équivalent CO2, offrant ainsi une solution rentable contre le changement climatique.
La voie à suivre : de la politique à l’action
La transformation des pratiques agricoles dans la région de l’Afrique de l’Ouest exige de la collaboration, de l’innovation et des politiques bien orientées. Voici certaines étapes clés :
Tirer parti de la production locale d’engrais :
Les abondantes réserves de minéraux et d’hydrocarbures de la région pourraient soutenir la production locale d’engrais, réduisant ainsi le fardeau des importations coûteuses.
Mettre en œuvre la Feuille de route de la CEDEAO sur les engrais et la santé des sols :
- Favoriser les partenariats multipartites pour fournir des services groupés dans le cadre de la GIFS.
- Cibler les interventions au niveau de la région, des exploitations et de la chaîne de valeur dans le cadre d’évaluations spécifiques au site pour une utilisation optimisée des engrais.
S’appuyer sur les initiatives continentales :
- Le Sommet de Nairobi sur les engrais et la santé des sols de 2024 a introduit de nouvelles cibles, avec l’ambition de restaurer la santé des sols sur 30 % des terres dégradées d’ici 2033.
- L’Initiative en faveur des sols en Afrique (SIA) fait progresser les engagements visant à inverser la dégradation des terres et à promouvoir des pratiques agricoles durables.
Adopter des solutions innovantes avec la participation du secteur privé avec :
- Des outils comme le portail AKILIMO (a) pour étendre la GIFS.
- Des interventions fondées sur la nature telles que l’agroforesterie, la restauration des écosystèmes et les engrais alternatifs.
- Des techniques avancées, comme la cartographie des sols, le suivi et les pratiques de réhabilitation adaptées.
En résumé, la revitalisation des sols ouest-africains ne se résume pas à l’amélioration de la productivité agricole. Il s’agit de transformer l’ensemble du système agroalimentaire pour le rendre plus résilient, durable et équitable. En adoptant une approche intégrée qui combine des technologies innovantes, des politiques de soutien et des investissements stratégiques, l’Afrique de l’Ouest peut libérer son potentiel agricole et ouvrir la voie à un avenir de sécurité alimentaire.
Le processus permettant d’assurer des sols plus verts en Afrique de l’Ouest est complexe mais réalisable. Il nécessite des efforts concertés de la part des gouvernements, des organisations internationales, du secteur privé et des agriculteurs. Avec les bonnes stratégies et les bons investissements, l’Afrique de l’Ouest peut transformer les défis en matière de santé des sols en opportunités de croissance, de résilience et de prospérité.
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1 Progreen est un fonds fiduciaire multidonateurs administré par la Banque mondiale qui appuie la gestion des écosystèmes terrestres, le changement d’affectation des terres agricoles et des paysages touchant certains secteurs.
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