Transformer la douleur en force : trois leçons sur les liens entre handicap et violence de genre

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A customized wheelchair with bicycle-like wheels designed for easier navigation on rough terrain in Rural Tanzania. An example of how families with persons with disabilities are innovating around inaccessible infrastructure. Photo: World Bank A customized wheelchair with bicycle-like wheels designed for easier navigation on rough terrain in Rural Tanzania. An example of how families with persons with disabilities are innovating around inaccessible infrastructure. Photo: World Bank

Amina vit à Zanzibar. Maman de deux enfants, elle est handicapée. Elle subit des violences incessantes de la part de son mari, mais ses parents lui conseillent de ne pas le quitter. L’homme entretient sa famille et, en raison de la stigmatisation associée au handicap, il est difficile pour une femme dans la situation d’Amina de trouver un mari.

Contre l'avis de ses parents, elle met fin à cette relation délétère et se lance dans la fabrication de henné afin de subvenir aux besoins de ses enfants. Aujourd’hui, sa vie est certes toujours difficile, mais la volonté d'Amina de se libérer d’un mariage violent nous offre de précieuses leçons.

Alors que la Journée internationale des personnes handicapées vient se croiser avec les 16 Jours d’activisme contre la violence basée sur le genre, l’occasion nous est donnée de revenir sur les enseignements tirés d’une année d'engagement et d'écoute auprès de personnes vivant avec un handicap en Tanzanie.

Les femmes et les filles handicapées déclarent subir des niveaux élevés de violence sexuelle et sexiste. Les violences de genre représentent un immense enjeu du développement. Selon des données récentes (a), 35 % des femmes tanzaniennes ont subi des violences physiques au sein du couple. En outre, les femmes représentent l’essentiel des quelque 5,3 millions de personnes handicapées en République-Unie de Tanzanie.

Leur degré de vulnérabilité varie en fonction du type de handicap. Il existe par exemple des croyances locales selon lesquelles le fait d’avoir des relations sexuelles avec une personne atteinte d'albinisme permet de guérir du VIH/sida, ce qui expose davantage les personnes souffrant de cette anomalie congénitale aux abus sexuels et aux maladies infectieuses. Des études régionales à plus petite échelle établissant des liens entre le handicap et la probabilité de violences sexuelles et entre partenaires intimes aboutissent à des conclusions similaires. Il est donc nécessaire de collecter plus systématiquement des données sur les violences de genre dont sont plus particulièrement victimes les personnes handicapées.

L'accès aux services et à la justice est difficile. Les personnes handicapées hésitent souvent à signaler officiellement les violences dont elles sont victimes, en raison de la stigmatisation dont elles font l'objet. Les femmes qui le font expliquent que du fait de leur handicap, elles ne sont pas crues ou elles sont humiliées lorsqu'elles dénoncent des faits. Même si des services existent, ils sont souvent inadaptés aux besoins des personnes handicapées. Par exemple, l'interprétation en langue des signes n'est pas disponible dans certains tribunaux. Les adolescents handicapés (notamment les déficients intellectuels) sont vulnérables et plus exposés à la violence, parfois en raison d'une stigmatisation profondément ancrée. Il arrive également que les prestataires de services ne soient pas suffisamment formés ou dotés de ressources suffisantes pour fournir des services centrés sur les victimes.

 La politique sur le genre récemment approuvée en Tanzanie continentale et celle à venir à Zanzibar, ainsi que les plans d'action nationaux visant à mettre fin aux violences faites aux femmes et aux enfants, fournissent une feuille de route sur la manière d'améliorer la qualité et l’accessibilité des services. Personne ne doit être laissé pour compte sur la voie de l'égalité hommes-femmes. Les pouvoirs publics, la société civile, les systèmes de santé et juridiques, le secteur privé et les citoyens doivent, pour y parvenir, déployer des efforts concertés.

Les femmes handicapées veulent être au centre des solutions et des mesures de riposte. Une phrase est souvent revenue dans la bouche des personnes interrogées : « Rien qui nous concerne ne se fera sans nous ». Les personnes handicapées veulent être associées à la prise de décision. Leur voix doit être entendue et amplifiée afin que les changements de politique leur soient bénéfiques.

Que faut-il faire concrètement ?

Il faut écouter ce que disent les femmes et les filles en situation de handicap et intégrer les personnes handicapées dans les équipes des prestataires de services formées à la lutte contre les violences de genre. Il faut également leur permettre d'occuper des postes de direction afin de lutter contre les inégalités hommes-femmes.

Le gouvernement tanzanien nous montre à tous la voie à suivre dans ce domaine ! Les femmes handicapées nous ont montré qu'il faut sortir de l’angle caritatif ou de l’ornière médicale qui considèrent le handicap comme un problème de santé qu'il faut « réparer », pour au contraire opérer des changements socio-environnementaux et penser le handicap dans une approche de droits humains. Les personnes ayant survécu à la violence, quelles que soient leurs capacités, méritent d'avoir accès à des services leur permettant de mener une vie épanouie.

À la Banque mondiale, nous nous employons à faire preuve d’ambition et à intégrer ces préoccupations dans notre travail. La nouvelle version de notre Cadre de responsabilité et d’inclusion du handicap offre une feuille de route pour l’ensemble de nos politiques, opérations et travaux d'analyse, avec l’objectif d'aider nos clients à mettre en place des programmes qui prennent en compte cet enjeu.

La Banque a pris dix engagements pour accélérer les initiatives en faveur d’un développement intégrant pleinement les personnes handicapées La 20e reconstitution des ressources de l’IDA (IDA-20), qui régit l’actuel programme de financements de la Banque pour les pays les plus pauvres du monde, comprend un engagement spécifique visant à intégrer l’inclusion du handicap dans l’ensemble des services essentiels. Les normes en vigueur tendent à considérer les personnes handicapées comme des fardeaux, mais ensemble, nous devons faire en sorte que des personnes comme Amina soient considérées comme des piliers de résilience qui renforcent le tissu de la société tanzanienne. Ensemble, nous pouvons faire mieux - Pamoja tunaweza !


Auteurs

Nathan Belete

Country Director for Malawi, Tanzania, Zambia and Zimbabwe, The World Bank

M. Yaa Oppong

Sector Leader, Sustainable Development, Lead Social Development Specialist

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