Les zones frontalières de la Corne de l’Afrique sont souvent associées à la marginalisation économique, sociale et politique, à la pauvreté endémique, aux conflits persistants, aux déplacements forcés et à la dégradation de l’environnement. Pourtant, ces régions fournissent aussi des moyens de subsistance et des opportunités à plus de 100 millions de personnes grâce au pastoralisme et au commerce. Elles sont étroitement connectées aux circuits du commerce régional et mondial, et entretiennent des contacts sociaux très structurés, fondés sur des liens claniques et ethniques transnationaux.
Groupes régionaux transnationaux recensés par l'Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD), sur la base de leur importance avérée en termes de mouvements transfrontaliers d'hommes et d'animaux, et de la nécessité d'une coopération régionale.
Consciente que les menaces, les vulnérabilités et les solutions ne sont pas confinées à l'intérieur des frontières nationales, la Banque mondiale vient de publier un rapport intitulé De l’isolement à l’intégration : Panorama des régions frontalières de la Corne de l’Afrique, qui appelle les dirigeants politiques à adopter une « perspective transfrontalière ». Ce rapport souligne la nécessité de tenir compte des contextes historiques, politiques, sociaux et économiques propres à ces zones frontalières pour définir des politiques et prendre des décisions d’investissement. Par exemple, les projets d'infrastructure liés aux routes, aux chemins de fer, aux communications ou encore à l'irrigation ne concernent pas seulement des biens publics qui permettent aux « régions à la traîne » de rattraper leur retard sur le reste du pays. Ils ont également des répercussions importantes sur les moyens de subsistance et les relations commerciales transnationales des communautés vivant dans les zones frontalières.
L'insécurité et la violence généralisées résultant des conflits entre États, des activités criminelles, des contentieux locaux sur les ressources et de l'extrémisme violent sont parmi les principaux problèmes qui se posent dans la Corne de l'Afrique. Sans surprise, les conflits ont des effets très différenciés selon le sexe. Les jeunes hommes sont plus susceptibles d'être concernés par les pratiques traditionnelles liées aux vols de bétail, car soit ils y participent, soit ils protègent les troupeaux. Les femmes, quant à elles, peuvent être particulièrement affectées par les difficultés rencontrées lors de la collecte de bois de chauffage, d'eau et de nourriture, par les violences sexistes résultant d'une forte insécurité, ainsi que par les structures patriarcales qui limitent notamment leur accès aux moyens de production. Les hommes et les femmes ne subissent pas non plus de la même manière les problèmes que concentrent les zones frontalières : déplacements forcés, insécurité alimentaire, dégradation de l'environnement, vulnérabilité au changement climatique et risques de catastrophe naturelle.
Néanmoins, il existe des sources de résilience, qui reposent en grande partie sur le franchissement des frontières nationales. Les zones frontalières de la Corne de l’Afrique se caractérisent par des activités commerciales florissantes, en particulier les exportations de bétail (a), qui alimentent les marchés d'Égypte et du Moyen-Orient même en période de conflit et en cas de crise climatique ou de choc externe des marchés. Le petit commerce transfrontalier, dominé par les femmes, joue également un rôle majeur dans toute la région. L'influence des institutions communautaires traditionnelles et informelles (souvent fondées sur le clan ou l'ethnie), bien qu'affaiblie, demeure néanmoins essentielle pour réglementer le commerce du bétail, gérer les relations commerciales et résoudre les litiges dans les zones où la présence de l'État est limitée.
Les enjeux régionaux requièrent une action régionale dans les zones frontalières et trois grandes conclusions s'imposent :
- une collaboration régionale des échelons politiques et institutionnels est indispensable pour faciliter les flux transfrontaliers de capitaux, de main-d'œuvre, de biens et de services ;
- pour atténuer l'impact de l'isolement géographique et de la marginalisation, il faut investir dans les infrastructures de base et les services sociaux, tels que les routes, l'énergie, l'éducation, la santé, l'eau, les technologies de l'information et de la communication, et l'accès aux financements ;
- la capacité des institutions officielles et informelles à gérer les conflits et à prévenir la violence doit être renforcée, en particulier en ce qui concerne l’impact sexospécifique des conflits, de l'insécurité et de la violence .
Une perspective transfrontalière n’aboutit à des prescriptions politiques simples. Toutefois, en soulignant la nécessité de prêter attention au contexte, à l'histoire et à la dynamique spatiale de ces régions, elle offre une approche analytique qui peut aider les acteurs du développement à définir de meilleures politiques et des investissements plus judicieux.
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