Selon les dernières statistiques, 51 % des Africaines considèrent que leurs maris ont raison de les battre quand elles sortent sans leur autorisation, ne s’occupent pas bien des enfants, argumentent, refusent d’avoir un rapport sexuel ou laissent brûler le repas. Voilà qui donne à réfléchir.
Certes, ce chiffre rend compte des mentalités, pas de l’incidence des violences : un tiers des Africaines environ disent avoir été victimes de violences domestiques (physiques ou sexuelles). Mais les mentalités sont probablement encore plus pernicieuses, car elles façonnent les comportements, traduisent des normes sociales vis-à-vis de la résolution des conflits, au sein mais aussi en dehors du cercle familial, et pourraient avoir des conséquences sur le développement et la réduction de la pauvreté. Les mentalités sont par ailleurs corrélées à l’incidence des violences. Si l’on veut apprécier le niveau de pauvreté et de bien-être des populations, il faut donc aborder de façon beaucoup plus systématique ce problème de l’acceptation et de l’incidence des violences conjugales.
Comment ont évolué les mentalités féminines vis-à-vis de ce type de violence, dans le sillage du redressement économique de l’Afrique et des espoirs dont il est porteur ? Vingt ans de collecte systématique de données à travers les enquêtes démographiques et de santé (a) permettent d’en avoir une idée précise. La dernière édition du rapport Poverty in a Rising Africa en présente les conclusions.
À certains égards, les nouvelles sont bonnes : la prévalence de l’acceptation et de l’incidence des violences domestiques en Afrique a reflué d’environ 10 points de pourcentage entre le début des années 2000 (2000-06) et la deuxième période considérée (2007-13). Mais ce progrès ne peut être considéré que comme un début. Avec un taux de 51 %, l’acceptation de cette forme de violences reste étonnamment élevée et est deux fois supérieure à la moyenne des autres régions en développement. En outre, quand on sait que 20 % des Américaines du Nord se disent victimes de violences domestiques, on voit que ce problème touche le monde entier.
En regardant les chiffres de plus près, on observe cependant que l’acceptation varie d’un pays africain à l’autre. Si elle semble profondément ancrée dans certaines sociétés (avec un taux de 77 % au Mali et en Ouganda), elle ne concerne plus qu’une minorité ailleurs (13 % au Malawi et 21 % au Mozambique).
Comme le montre la figure ci-dessous, la corrélation avec le niveau de développement du pays (ou le niveau de revenu des ménages) est faible : le taux d’acceptation n’est inférieur que de 7,6 points dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieur et les pays à revenu élevé (compte tenu d’autres caractéristiques nationales). La figure indique aussi que le taux d’acceptation des violences conjugales est plus élevé chez les jeunes femmes, les femmes sans instruction et les femmes vivant dans des États fragiles et riches en ressources.
Plus particulièrement, le taux d’acceptation est 16 points supérieur dans les pays riches en ressources. Un résultat qui souligne bien le handicap associé au fait de naître dans un tel pays sur le plan du développement humain : l’espérance de vie y est inférieure de 4,5 ans et l’analphabétisme supérieur de 3,1 % ; et les femmes adultes et les enfants y ont respectivement 3,7 et 2,1 % plus de risques de souffrir de malnutrition (compte tenu d’autres caractéristiques du pays et des ménages).
La tolérance vis-à-vis des violences domestiques est également supérieure de 9,2 points chez les femmes vivant dans des États fragiles. Les normes sociales vis-à-vis des violences conjugales et politiques ne doivent pas être abordées séparément, car le coefficient de corrélation avec l’incidence des victimes de violences politiques est de 0,4.
Et demain ? Sans surprise, l’éducation est le principal facteur de différence dans l’acceptation des violences domestiques, loin devant le revenu et même l’âge. Les femmes les plus instruites ont 31 % de probabilités de moins de tolérer ces violences que les femmes non instruites, sachant que pour celles qui ont fait des études secondaires, ce taux est de 16 %.
Mais l’éducation ne se traduit pas automatiquement par une incidence moindre des violences conjugales. De fait, les femmes ayant fait des études primaires et secondaires ont plus de risques de subir ces violences que les femmes non instruites parmi lesquelles le taux d’incidence est (toutes choses égales par ailleurs) semblable à celui des femmes ayant fait des études supérieures. Un constat étonnant qui mérite que l’on approfondisse l’analyse.
Le revenu réduit aussi la tolérance vis-à-vis des violences domestiques même si celle-ci est supérieure chez les femmes les plus jeunes — ce qui est inquiétant — tandis que la tolérance diminue avec l’âge. Cela pourrait-il s’expliquer par une hausse de l’incidence avec l’âge des femmes ? Les données montrent en effet que les violences domestiques sont plus fréquentes dans la cohorte des 20-35 ans que dans celle des 15-19 ans.
Cette question des violences à l’encontre des femmes s’impose progressivement dans l’ordre du jour politique depuis quelques années, ne serait-ce que parce nous disposons de données collectées plus systématiquement. Ce qui corrobore clairement l’un des arguments sous-jacents du rapport, à savoir que ce qui n’est pas mesuré n’est pas étudié. Reste à espérer que ces données seront désormais plus méthodiquement exploitées pour faire la lumière sur l’évolution des mentalités et de l’incidence des violences domestiques, et que ces questions seront effectivement intégrées à part entière dans toute évaluation de la pauvreté, à l’échelle nationale, régionale ou mondiale.
On ne peut comprendre la pauvreté en analysant ses seuls aspects monétaires. D’autant que les normes sociales qui excusent les violences contribuent à les perpétuer. Face au degré d’acceptation des violences domestiques observé chez les jeunes femmes, on ne peut hélas que constater qu’il faudra encore attendre longtemps avant d’assister à un changement radical des mentalités. Ce n’est pas encore demain que les coups du mari ne seront plus considérés comme du miel, comme le voudrait un dicton amharique...
Ce billet s’inscrit dans le cadre d’une série de posts consacrés aux conclusions du rapport de la Banque mondiale intitulé « Poverty in Rising Africa ». Le prochain billet, qui sera publié le 25 janvier 2016, analysera les écarts de pauvreté entre ménages africains. Voici les précédents billets de la même série :
- L’Afrique est en plein essor ! Mais le sort des Africains s’est-il amélioré ?
- Qui financera les enquêtes sur la pauvreté dans les « pays Volkswagen »?
- The European refugee crisis: What we can learn from refugees in Sub-Saharan Africa
- En Afrique, la pauvreté recule plus rapidement dans les ménages dirigés par une femme
- Être veuve en Afrique : le lien entre situation matrimoniale et pauvreté
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