Quand la croissance économique ne suffit pas?

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ImageL’économie africaine a progressé à un rythme annuel de 4,5 % entre 1995 et 2013. Cette croissance économique alerte est allée de pair avec des avancées appréciables sur le plan du bien-être des populations : les Africains qui viennent aujourd’hui au monde vivront 6,2 ans de plus que les enfants nés en 2000 ; la prévalence de la malnutrition chronique chez les moins de cinq ans a reculé de six points de pourcentage ; et le nombre de décès dus à des violences politiques a fortement baissé, de 20 (à la fin des années 1990) à quatre par événement violent. De plus, l’émancipation des individus gagne du terrain, ce qui se traduit notamment par une participation accrue des femmes aux décisions du ménage.

Dans le même temps, deux adultes sur cinq sont toujours analphabètes, le compteur de l’espérance de vie est bloqué à 57 ans (dix ans de moins qu’en Asie du Sud) et la recrudescence des événements violents est manifeste depuis 2010. Le défi du développement humain reste donc considérable. D’autant que dans les pays riches en ressources, qui sont pour beaucoup dans cette renaissance de l’Afrique, les citoyens n’ont pas bénéficié d’une amélioration proportionnée de leur niveau d’éducation ou de santé, bien au contraire : les résultats présentés dans le dernier rapport de la Banque mondiale, Poverty in a Rising Africa, montrent que ces pays sont les moins performants quand il s’agit de convertir cette manne économique en gains de développement humain.

Avec l’effondrement récent des cours des matières premières, le défi du développement humain en Afrique devient encore plus inextricable. La plupart des pays africains tirant désormais parti de leurs ressources naturelles, les parties prenantes doivent se préoccuper de la manière dont ces richesses peuvent être déployées pour développer le capital humain de l’Afrique. Deux pistes contribueraient certainement à améliorer la situation : installer une croissance plus durable et diversifiée et mieux répartir les avantages découlant des ressources naturelles entre les générations.

Un développement humain pénalisé

Le handicap relatif des ressortissants des pays riches en ressources sur le plan des performances éducatives et sanitaires est, dans les faits, important. Une analyse systématique des données disponibles met en évidence les contreperformances de ces populations (compte tenu du niveau de développement du pays et d’autres caractéristiques des ménages) : taux d’alphabétisation inférieur de 3,1 points ; espérance de vie plus courte (de 4,5 ans) ; malnutrition plus fréquente (de 3,7 points chez les femmes et de 2,1 points chez les enfants de moins de cinq ans) ; et violences domestiques accrues (de 9 points) (figure 1). Autrement dit, ces hommes et ces femmes subissent une sanction inacceptable sur le plan du développement humain. Mais c’est aussi le signe d’un immense potentiel encore inexploité.

Figure 1: Quand le fait de vivre dans un pays riche en ressources est un handicap pour le développement humain
 

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Source: Beegle, Christiaensen, Dabalen, and Gaddis, 2016

Ces résultats décevants s’expliquent à la fois par un niveau (relativement) inférieur de dépenses (a) et un certain manque d’efficacité. En termes nominaux, les dépenses publiques d’éducation et de santé tendent à être plus élevées dans les pays africains riches en ressources. Mais en part du produit intérieur brut (PIB), elles sont inférieures de 20 à 40 % aux efforts consentis dans les pays pauvres en ressources. En outre, malgré un niveau nominal supérieur de dépenses, les résultats ne sont pas au rendez-vous : que ce soit pour le taux d’achèvement du cycle d’enseignement primaire ou pour la mortalité infantile, il n’y a pas de différences, ce qui traduit le manque d’efficacité des dépenses.

Ces piètres résultats tiennent en partie aux caractéristiques des flux de revenus tirés des ressources naturelles : premièrement, il ne s’agit pas de revenus donnant lieu à imposition mais de rentes (des revenus non gagnés), ce qui n’incite ni à la responsabilité ni à la prudence ; ensuite, la volatilité des cours des matières premières, parfois très marquée, rend l’exercice de planification budgétaire plutôt difficile ; enfin, le volume de ces flux (parfois soudains) met à l’épreuve les capacités d’absorption de l’État. Conjugués, ces facteurs sont souvent propices à une mauvaise gouvernance.
 
Il ne s’agit pourtant pas de problèmes insurmontables, comme en témoigne l’expérience du Botswana, du Chili ou de la Malaisie. Pour cela, il faut des dispositifs institutionnels (des lois) adaptés pour gérer les flux de ressources ; des incitations à la performance en direction des prestataires de services publics (à travers par exemple un financement basé sur les résultats) ; et une politique d’accès libre et transparent aux informations, pour favoriser la responsabilité sociale. Cela peut passer par l’adhésion à des initiatives comme celle mise en place dans les industries extractives (ITIE). Une autre solution efficace peut consister à transférer à la population, en espèces sonnantes et trébuchantes, une partie de la rente tirée des ressources naturelles. Le fait d’intéresser directement les citoyens à l’évolution des flux de revenus et de desserrer les contraintes sur le plan du crédit et des assurances permet de stimuler la demande de redevabilité et de services sociaux.
 
Pourtant, comme le souligne une étude régionale à paraître de la Banque mondiale, From Mines to Mind (de la Brière et al), la mise en place de telles mesures prend du temps. Or, le temps nous est compté. Si l’Afrique ne parvient pas à exploiter plus judicieusement ses immenses ressources naturelles pour doper son capital humain, elle aura bien du mal à engager la transformation structurelle indispensable pour offrir des emplois productifs à sa jeunesse, toujours plus nombreuse. Ses dirigeants doivent faire preuve de détermination et de courage.

D’ailleurs, l’effondrement récent des cours des produits de base n’est-il pas une occasion idéale pour passer à la vitesse supérieure et s’atteler enfin à ce défi ? L’avenir nous le dira.


Ce billet s’inscrit dans le cadre d’une série de posts consacrés aux conclusions du rapport de la Banque mondiale intitulé « Poverty in Rising Africa ». Le prochain billet, à paraître le 29 février 2016, analysera l’analphabétisme en Afrique. Voir les billets précédents :

Auteurs

Luc Christiaensen

Lead Agricultural Economist, Eastern and Southern Africa

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