Le développement, c’est aussi et toujours de savoir lire et écrire

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ImageAujourd'hui, en Afrique, quatre enfants sur cinq en âge de fréquenter l’école primaire sont effectivement scolarisés, sachant en outre que d’autres commencent l’école plus tardivement. Il s’agit d’un changement majeur et d’une grande avancée, et cela devrait être de bon augure pour les générations futures du continent. Il y a seulement deux décennies, à peine la moitié des enfants africains allaient à l’école. Les progrès ont été encore plus rapides pour les filles, puisque l’écart avec les garçons en matière de taux de scolarisation en primaire n’est plus que de quatre points de pourcentage (contre huit en 1995).

L’attention portée à l’éducation s’est accrue considérablement à la suite de l’adoption des objectifs du Millénaire pour le développement en 2000. Les progrès de la scolarisation ont été tels que l’éducation a perdu la place prioritaire qu’elle occupait auparavant dans l’ordre du jour des instances internationales. Depuis 2000, on s’attelle aux solutions, le problème de l’analphabétisme semble sous contrôle, et l’attention s’est portée ailleurs.

Or, comme l’a montré récemment la Banque mondiale dans son rapport intitulé Poverty in a Rising Africa, 42 % des adultes en Afrique sont toujours analphabètes (contre 46 % en 1995), soit près de deux adultes sur cinq, ce qui correspond au nombre colossal de 215 millions de personnes. En outre, cela ne signifie pas que le reste de la population maîtrise la lecture et l’écriture. Les tests utilisés pour évaluer ces aptitudes sont rudimentaires, et le taux brut de scolarisation dans le secondaire n’est toujours que de 46 %.

Ces chiffres devraient donner lieu à une prise de conscience majeure. Il est clair que le problème de capital humain que connaît l’Afrique, l’un des ingrédients clés d’une transformation structurelle réussie, est loin d’être résolu et qu’il compromet la modernisation et la diversification économiques dont le continent a grand besoin.

L’une des raisons de la lenteur de ces progrès réside dans le fait que, en l’absence de campagnes d’alphabétisation des adultes, seules les cohortes les plus jeunes peuvent contribuer à l’amélioration de la situation. De fait, leurs taux d’alphabétisation sont bien plus élevés, avec par exemple un écart de 11,5 points de pourcentage entre les jeunes femmes âgées de 15 à 19 ans et celles âgées de 35 à 39 ans. Toutefois, du fait de l’héritage de faibles niveaux initiaux, les progrès prennent du temps. Et si les campagnes d’alphabétisation des adultes faisaient partie de la solution ? Malheureusement, les campagnes de ce type qui ont été couronnées de succès sont jusqu’à présent restées peu nombreuses et peu fréquentes. Surtout, comme le montre l’UNESCO (rapport 2015, chapitre 4), les efforts consacrés à ces campagnes ont toujours été largement insuffisants.

De plus, même au niveau de l’alphabétisation des cohortes les plus jeunes, beaucoup reste à faire parce qu’il est indispensable de soutenir l’effort sur des périodes prolongées et que, hélas, il ne suffit pas d’améliorer les taux de scolarisation pour que ces avancées se traduisent automatiquement par de meilleurs acquis scolaires. En dépit (ou en raison) de meilleurs taux de scolarisation, les apprentissages réels sont en réalité assez limités : au sein d’un échantillon de 15 pays d’Afrique australe et orientale (a), 36 % des élèves en sixième année de scolarité échouent aux tests de lecture de base, selon les scores standardisés les plus récents disponibles. Ce chiffre grimpe à 53 % dans un échantillon de 11 pays francophones d’Afrique de l'Ouest et centrale. Cela montre clairement qu’aller à l’école n’est pas suffisant.

L’analphabétisme est particulièrement élevé en Afrique de l'Ouest

Ces chiffres alarmants s’accompagnent d’importantes disparités d’un pays à l’autre. Certes, c’est en partie une question de niveau de revenu, mais pas seulement. Avoir des taux d’analphabétisme élevés n’est pas une fatalité, bien au contraire.

Dans sept pays africains, plus de la moitié de la population est analphabète, et ces pays se trouvent presque tous en Afrique de l'Ouest. Le Niger (où le taux d'alphabétisation des adultes n’est que de 15 %) et la Guinée (où ce taux est de tout juste 25 %) ont les taux les plus faibles. À l’autre bout du spectre, les taux d'alphabétisation sont supérieurs à 90 % en Guinée équatoriale et en Afrique du Sud, et ils dépassent 70 % dans certains pays pauvres et fragiles tels que l’Érythrée et le Zimbabwe. L’écart entre les hommes et les femmes reste élevé (25 % en moyenne), particulièrement en Afrique de l'Ouest, ce qui constitue l’une des raisons des forts taux d’analphabétisme qui y sont enregistrés.


Figure: Les taux d'alphabétisation varient fortement d’un pays à l’autre

Pour aller un peu plus loin, une analyse de régression basée sur les taux d’analphabétisme chez les femmes tirés des enquêtes démographiques et sanitaires (DHS), ainsi que sur les caractéristiques des ménages et des pays, suggère que les taux d’analphabétisme sont considérablement plus élevés dans les pays à faible revenu (d’environ 32 points de pourcentage par rapport aux pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure et aux pays à revenu élevé, et d’environ 14 points de pourcentage par rapport aux pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure). Mais, comme cela a été mis en lumière la semaine dernière sur ce blog, ils sont également supérieurs de trois points de pourcentage dans les pays riches en ressources par rapport à ceux qui ne le sont pas (indépendamment du niveau de revenu du pays, de son enclavement et de sa fragilité), ce qui montre que la gouvernance est aussi un paramètre important. Par ailleurs, il existe de fortes disparités entre les femmes des ménages ruraux pauvres et celles qui vivent en ville dans des ménages plus riches, avec une probabilité d’analphabétisme supérieure de 36 % chez les premières. Il en est probablement de même chez les hommes, mais à des degrés différents. Enfin, on observe un taux d’analphabétisme inférieur chez les personnes divorcées, veuves ou célibataires (avec une probabilité inférieure de 20 %).
 
L’heure n’est pas à l’autosatisfaction
 
Cette analyse confirme également le fait que le taux d'alphabétisation décline avec l’âge, ce qui suscite des espoirs en termes de parité hommes-femmes et de taux globaux. Pourtant, étant donné l’importance du déficit restant, et le temps et les efforts à long terme qui sont nécessaires pour bâtir le capital humain d’une nation, il est plus que temps que l’ensemble des parties prenantes concentrent à nouveau leur attention sur les problèmes d’éducation de l’Afrique. Au fond, tout commence par là : par la capacité à lire, à comprendre et à écrire. Sans compter que le monde avance, avec l’émergence d’autres compétences plus rentables qui nécessitent une solide éducation de base.
 
Aspect positif, un certain nombre de signes montrent que la communauté internationale est en train de se réveiller. Ainsi, un Cadre d’action a déjà été adopté par l’UNESCO. De plus, en septembre 2016, la Commission sur le financement de l’éducation dans le monde publiera ses conclusions concernant la marche à suivre pour trouver les 39 milliards de dollars d’aide extérieure indispensables chaque année pour pouvoir atteindre l’Objectif de développement durable n° 4. Enfin, le prochain Rapport sur le développement dans le monde de la Banque mondiale se demandera comment « concrétiser les promesses de l’éducation pour le développement » (selon son titre préliminaire) en analysant en profondeur la manière dont les interventions peuvent être développées à grande échelle et dont les pays peuvent s’améliorer.
 
Eh oui, le développement, c’est aussi et toujours savoir lire et écrire, et il est plus que temps de s’en préoccuper de nouveau. On pourrait avoir tendance à l’oublier à l’ère des robots et des emplois numériques.
 
Ce billet s’inscrit dans le cadre d’une série consacrée aux conclusions du rapport de la Banque mondiale intitulé « Poverty in Rising Africa ». Le prochain billet, à paraître le 7 mars, s’intéressera à la pauvreté et à l’inflation en Afrique. Billets précédents :


Auteurs

Luc Christiaensen

Lead Agricultural Economist, Eastern and Southern Africa

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