Du 12 décembre 2011 au 2 janvier 2012 Youthink! -- le site jeunesse de la Banque mondiale -- a recueilli les questions soumises sur sa page facebook à l'attention du romancier algérien Yasmina Khadra. Auteur incontournable (plus de 500 000 exemplaires vendus en France rien que pour l’année 2008 avec son roman Ce que le jour doit à la nuit), Yasmina Khadra est connu dans le monde entier (ses ouvrages sont édités en 33 langues différentes dans plus de 40 pays)p our ses romans engagés en faveur de la paix en Afrique et au Moyen-Orient.
Aujourd’hui, Youthink! publie les réponses de Yasmina Khadra en deux parties.
La première partie est dédiée aux questions sur l'écriture, sa vocation et son engagement d'écrivain. La deuxième réunit une sélection (parmi les nombreuses qui ont été soumises) de questions liées au Printemps arabeet à l'actualité africaine, dont voici un extrait.
Question posée par Yosra Chebbi (Tunisie) : Comment jugez-vous l'avancée de la pensée arabe depuis les révolutions ?
Y. Khadra : D'abord, il ne s'agit pas derévolutions, mais de soulèvements, d'insurrections. Une révolution est incarnée par des acteurs singuliers, charismatiques, habités par un idéal, ayant une feuille de route, un discours détaillé et une orientation politique. Dans les pays arabes, les peuples, c'est-à-dire des masses anonymes, ont compris que la vraie force, ce sont eux qui l'incarnent, et qu'aucune autre puissance, aucune dictature, aucune tyrannie n'est en mesure de contenir la colère populaire.
Je suis très content de ce réveil -- tardif et inattendu, mais il s'est déclenché, et c'est tant mieux. Car les peuples arabes ne méritaient pas d'être malmenés et chosifiés. C'est une immense victoire sur la peur et la soumission chimérique.
Maintenant, il est question de construire les nations dans la justice, l'égalité et l'ambition saine et éclairée. S'agissant d'une victoire purement populaire, c'est au peuple que revient le choix de son destin. J'aimerais que ce choix se fasse dans l'intérêt de tous, sans exclusion et sans stigmatisation. La question est la suivante : avons-nous mesuré l'ampleur de notre malheur et sommes-nous capables d'épargner aux générations de demain ses torts ? L'avenir nous le dira.
Rime Jedidi (Maroc) : Quelle analyse faites-vous des évènements électoraux dans le monde arabe et leurs répercussions sur l'Algérie ?
Y. Khadra :Chez nous les élections ont perdu leur crédibilité. Les urnes n'accouchent que de désillusions. La supercherie a eu raison de nos engagements. Désormais on ne se bouscule plus aux portes des bureaux de vote, et les rares qui s'y présentent le font pour d'autres considérations. Les dernières élections observées dans les pays arabes au lendemain des soulèvements me rappellent celles des Algériens d'après octobre 1988 et l'avènement du multipartisme. Car, les gens ont tendance à oublier que ce sont les Algériens qui ont été les premiers à se soulever, et que ce sont les autres pays arabes qui ont attendu 23 ans pour suivre l'exemple des Algériens. J'espère de tout mon cœur que l'extraordinaire élan des peuples arabes ne connaîtra pas la dérive qui a failli dépeupler la nation algérienne.
Notre peuple a tellement donné qu'il est lessivé, et il a tellement sué larmes et sang qu'il est déshydraté. Déçu par ses dirigeants depuis l'indépendance, traumatisé par 15 ans de terrorisme et des dizaines de milliers de meurtres barbares, il ne sait plus où donner de la tête. Il ne croit plus en rien. Et c'est dangereux, le renoncement, pour un peuple. Cependant, toute nation est éternelle, et tout malheur a une fin. Il suffit d'une poignée d'hommes amoureux de leur patrie pour que l'espoir renaisse aux générations de demain.
Atika Ouhajjou (Maroc) : Est-ce que le printemps arabe s'est mué en automne islamiste?
Y. Khadra : Le défilé des saisons constitue la dynamique même du Temps. On passe de l'été à l'été en traversant l'automne, l'hiver et le printemps. Concernant l'évolution des nations, les choses se déroulent autrement. Ou peut passer sans préavis du malheur au bonheur, de la régression au progrès, ou sombrer dans les ténèbres. Et là, c'est l'homme qui décide. Son destin repose sur son choix. Nous sommes les artisans de notre salut et nous sommes les fossoyeurs de nos rêves. C'est aux révoltés de prouver qu'ils sont meilleurs que les tyrans qu'ils ont renversés.
Pour lire la suite des réponses de Yasmina Khadra, visitez Youthink! le site jeunesse de la Banque mondiale.
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