Publié sur Voix Arabes

Un programme d’action sur l'emploi pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord

Un programme d’action sur l'emploi pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord Femme en fauteuil roulant travaillant dans un bureau. (Shutterstock/Freeograph)

La nouvelle fiche de performance institutionnelle de la Banque mondiale fixe un objectif majeur : créer des millions d'emplois bien rémunérés. Un enjeu essentiel pour la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord (MENA), où près de 300 millions de jeunes devraient intégrer le marché du travail au cours des 25 prochaines années (graphique 1). Pourtant, le bilan régional des 25 dernières années montre que les efforts actuels ne suffiront probablement pas à générer suffisamment d'emplois pour les générations à venir. Il est donc impératif de mener une action d’envergure pour relever ce défi.

 

Graphique 1 : Tendances démographiques dans la région MENA

Graphique 1 : Tendances démographiques dans la région MENA

 

Source : Calculs des auteurs basés sur les Perspectives de la population mondiale des Nations unies.

 

La croissance démographique et économique de la région MENA

Depuis 2000, le produit intérieur brut (PIB) réel de la région MENA enregistre une croissance annuelle de 3,3 %. Pour évaluer son impact sur l’emploi, cette croissance peut être décomposée en trois éléments (a) : i) l’augmentation de la population, ii) la progression du taux d'activité et iii) l’amélioration de la productivité par travailleur. Les deux premiers éléments correspondent à des « emplois plus nombreux », tandis que le troisième favorise des « emplois de meilleure qualité », c’est-à-dire mieux rémunérés. 

Au cours des 25 dernières années, la croissance démographique de la région MENA a contribué à la croissance du PIB à hauteur de 1,9 point de pourcentage par an (graphique 2). Comme la population en âge de travailler a augmenté plus rapidement que la population totale, la hausse du taux d'activité a ajouté 0,4 point, tandis que les gains de productivité ont représenté 1 point. 

 

Graphique 2 : Objectif de croissance de la région MENA selon différents scénarios

 

Graphique 2 : Objectif de croissance de la région MENA selon différents scénarios
 

 

 

Source : Calculs des auteurs basés sur les Indicateurs du développement dans le monde et sur les Perspectives de la population mondiale des Nations unies

 

Comment ces résultats se comparent-ils par rapport à d'autres économies ? En 2000, le PIB par habitant de la région MENA représentait seulement 26 % de celui de la première économie mondiale. En 2023, il plafonne toujours autour de cette valeur. Ce constant est préoccupant, car les économistes s'attendent généralement à ce que les pays les plus pauvres enregistrent une croissance plus rapide, grâce à l’effet de convergence, qui repose sur un meilleur rendement des investissements lorsque le ratio capital/travail est initialement faible. Or, ce phénomène ne s'est manifestement pas produit dans la région MENA ces dernières décennies. Pire encore, avec l'évolution des dynamiques démographiques, les 25 prochaines années s’annoncent encore plus difficiles pour la région.  

Les arguments en faveur d'un programme d’action sur l'emploi pour la région MENA 

La région MENA pourrait-elle atteindre la moitié du niveau de l'économie de référence d'ici 2050 ? Selon les dernières estimations du Bulletin d'information économique de la région MENA, cela nécessiterait une croissance annuelle du PIB régional de 4,9 %, soit environ 1,5 fois le taux observé par le passé. En outre, avec le ralentissement de la croissance démographique, la contribution de ce facteur se limiterait à 1,1 point de pourcentage. Le reste de la croissance économique reposera donc sur des politiques publiques. 

Considérons tout d'abord un scénario de « statu quo » où le taux de participation au marché du travail et le taux de chômage restent constants, et où le taux de participation économique est uniquement déterminé par les évolutions démographiques. Au cours des 25 prochaines années, la croissance de la population en âge de travailler de la région MENA devrait être légèrement inférieure à l’accroissement démographique. En conséquence, le taux d'activité aura un impact limité sur la croissance — sa contribution sera même légèrement négative et négligeable. Dès lors, d'où viendra la croissance ? La seule réponse possible réside dans la productivité. Pour que le PIB par habitant atteigne la moitié de celui de l’économie de référence, la productivité de la région MENA devrait augmenter de 3,8 % par an au cours des prochaines décennies, soit près de quatre fois le taux atteint au cours des 25 dernières années. Cela impose une pression considérable sur la création d’« emplois de meilleure qualité », plus productifs et mieux rémunérés. Heureusement, ce scénario, difficilement atteignable n'est pas la seule option possible. Un autre scénario est envisageable, basé sur un programme d'action volontariste pour l'emploi, structuré autour de deux axes : i) relever le taux d'activité et ii) renforcer la productivité. Actuellement, la région MENA affiche le taux le plus faible au monde de participation des femmes au marché du travail (16 %). Si ce taux progressait progressivement pour atteindre celui des hommes (74 %) d'ici 2050, le ratio emploi/population contribuerait à hauteur de 2 points de pourcentage à l'objectif de croissance régionale (4,9 %). La pression sur les « emplois de meilleure qualité » serait ainsi réduite, nécessitant une amélioration de productivité de 1,8 point de pourcentage, un objectif bien plus atteignable. En définitive, une stratégie combinant création d’emplois plus nombreux et de meilleure qualité, soutenue par un programme ambitieux pour l'emploi, offrirait une trajectoire plus viable pour les pays de la région MENA.  

Adapter le programme d’action sur l'emploi à la situation de chaque pays 

La région MENA est loin d’être homogène. Les écarts avec l’économie de référence, les profils démographiques et les taux d'activité varient considérablement d'un pays à l'autre. C’est pourquoi les programmes d'action pour l’emploi doivent être définis à l’échelle nationale. 

Les pays en développement de la région MENA peuvent bénéficier d’« emplois plus nombreux » et d’« emplois de meilleure qualité » à des degrés similaires. Par exemple, combler l’écart de taux d'activité entre les sexes permettrait d’augmenter le ratio emploi/population de 1,7 % par an, allégeant ainsi la pression sur la productivité, qui devrait croître de 2,1 % par an jusqu'en 2050. En Égypte, où la croissance démographique est estimée à 1,3 % par an au cours des prochaines décennies, la réduction des disparités de participation entre hommes et femmes pourrait faire progresser le ratio emploi/population de 2,1 % par an. Avec une productivité en hausse de seulement 1,7 % par an, l'Égypte pourrait ainsi atteindre l'objectif de croissance régionale. 

À l’inverse, pour les pays du Conseil de coopération du Golfe, qui s’appuient sur une large main-d'œuvre migrante, le principal enjeu est l'amélioration de la qualité des emplois. Pour réduire de moitié l’écart avec l'économie de référence, ces pays devront accroître la productivité de l'emploi de 3,2 % par an, tandis que les la réduction des écarts entre hommes et femmes apporterait une contribution supplémentaire de 0,6 % par an. Par exemple, l’Arabie saoudite, dont la population devrait croître de 1,3 % au cours des 25 prochaines années, devra viser une hausse de 2,8 % par an de la productivité de l’emploi, complétée par une augmentation de 1 % par an du ratio emploi/population liée à l’amélioration de la participation féminine.  

L'avenir de la région MENA repose sur la mise en œuvre d’un programme d’action volontariste pour l'emploi. Chaque pays devra adapter ses politiques à son propre contexte économique et démographique, en mettant l'accent soit sur la création d'emplois, soit sur leur qualité. Avec des stratégies appropriées, le double objectif d’« emplois plus nombreux et de meilleure qualité » devient non seulement souhaitable, mais aussi réalisable. 

 

Ce billet est le deuxième d’une série consacrée à l'emploi dans la région MENA. Ne manquez pas les prochains billets.


Harun Onder

Économiste en chef adjoint, Région Moyen-Orient et Afrique du Nord, Banque mondiale

Nelly Elmallakh

Économiste, Bureau de l’économiste en chef pour la Région Moyen-Orient et Afrique du Nord, Banque mondiale

Diego Faurès

Consultant, Bureau de l’économiste en chef, Région Moyen-Orient et Afrique du Nord, Banque mondiale

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