Publié sur Voix Arabes

Transparence et responsabilité des services publics, une solution en vue ?

Transparence et responsabilité des services publics : une solution en vue ? - Photo : Arne Hoel

Connaissez-vous des écoles ou des centres de santé qui garantissent des prestations de qualité, en dépit de l’adversité ?

« Kefaya ! » (« ça suffit », en arabe) a été l’un des mots d’ordre des manifestants des pays arabes en 2011 lorsqu’ils sont descendus dans la rue pour exiger une plus grande justice sociale. Si le changement a pris diverses formes dans la région, l’exigence d’une justice sociale demeure partout prioritaire.

La promotion de la justice sociale passe essentiellement par l’amélioration des services publics et, comme le montrent les enquêtes menées auprès des citoyens, elle est largement associée à des garanties d’égalité et de qualité dans l’accès à des services publics tels que la santé ou l’éducation.

Au cours des dernières décennies, les pays arabes ont accompli de remarquables progrès dans l’accès aux services publics de base. Pour nombre d’entre eux, le droit à l’éducation est désormais inscrit dans la Constitution, et les dépenses d’investissement public pour ce secteur atteignent 5 % du produit intérieur brut (PIB), ce qui représente un effort honorable. La scolarisation universelle au primaire est pratiquement devenue une réalité et les inscriptions vont croissant dans les établissements du secondaire et du supérieur. Les installations de santé en milieu urbain et rural offrent des soins de base, souvent gratuits (les plus défavorisés bénéficiant de dispenses de frais).

Cependant, à mesure que les pays se développent sur le plan économique, le simple accès à l’éducation et à la santé ne suffit plus aux usagers. Les citoyens veulent pouvoir accéder avec équité à des services de qualité, ce que de nombreux établissements scolaires et médicaux ne sont pas en mesure d’offrir.

Les compétences que transmettent les systèmes éducatifs de la région ne coïncident pas avec les attentes du marché du travail. Chez les élèves, le redoublement et l’abandon de la scolarité sont relativement fréquents et les écoles rurales sont souvent dépourvues d’enseignants qualifiés et de manuels scolaires. Les tests d’évaluation internationaux TIMSS montrent que les élèves des pays arabes sont à la peine : entre 2007 et 2011, la moyenne obtenue en mathématiques chez les élèves en huitième année de scolarité était de 380, contre un score moyen de 500 à l’international.

Dans le domaine de la santé, un tiers des infrastructures au Maroc et au Yémen (et 40 % en Égypte) ne sont pas raccordées à l’eau. Les médicaments de base manquent dans la plupart des établissements. Certaines enquêtes montrent que jusqu’à 30 % des médecins sont absents durant leurs heures de travail.

Le cri de ralliement « kefaya ! » résonne aujourd’hui encore : les usagers peinent à trouver des professionnels qualifiés ou à obtenir des médicaments dans les centres de santé et les parents doivent s’en remettre à des professeurs particuliers onéreux pour remédier aux carences du système éducatif.

Ces dernières années, beaucoup de gouvernements de la région ont à juste titre donné la priorité à l’équité dans l’accès aux services et à la qualité des prestations. Leurs réformes visent l’amélioration des programmes scolaires, la formation des enseignants et des agents de la santé, le renforcement de la protection médicale et la décentralisation. Des enquêtes montrent cependant que ces politiques louables et les ressources budgétaires qui vont avec ne se traduisent pas automatiquement par de meilleures prestations à l’école, dans les hôpitaux et les dispensaires.

Où le grippage se produit-il donc ? Les enquêtes pointent deux problèmes essentiels.

Premiers responsables, les pouvoirs publics qui semblent être dans l’incapacité de demander des comptes à leurs administrateurs et à leurs prestataires sur la qualité de leurs services. Les services publics de la région sont éminemment centralisés et complexes. Le flou règne sur la nature des responsabilités de chacun, dans la mise en œuvre des choix politiques et la mise en conformité des services. Si un fonctionnaire faillit à sa mission, il ne sera guère inquiété. Par ailleurs, rares sont les pays qui assurent un suivi budgétaire. Autre point important à signaler, les systèmes ne génèrent aucun retour d’informations. Si d’aventure un manquement quelconque est avéré (l’absentéisme des enseignants, par exemple), celui-ci doit remonter toute la chaîne administrative jusqu’au ministère de l’Éducation, qui doit ensuite en aviser le ministre de la Fonction publique.

Les données disponibles font apparaître que les licenciements sont exceptionnels. Les pénalités d’ordre financier à l’encontre d’un fonctionnaire incompétent sont l’apanage du ministère des Finances : les procédures sont interminables et les sanctions rares. Dans l’ensemble, la fonction publique — services de l’État et infrastructures locales confondus — ne cultive pas le sens du mérite. Le recrutement et les promotions au sein de la fonction publique relèvent largement du népotisme.

Deuxième obstacle : les citoyens des pays arabes semblent eux-mêmes dans l’incapacité de rendre les fonctionnaires comptables de la performance des prestations de service en raison de l’absence d’informations, d’alternative et de recours possibles. D’après certaines enquêtes, les citoyens ne sont pas informés de leurs droits, des critères de qualité attendus et de l’obligation de performance chez les prestataires ; il y a en outre beaucoup d’opacité dans la communication de l’état de santé ou des résultats scolaires des enfants.Les écoles de la région invitent les parents à venir discuter des progrès de leur enfant deux fois par an en moyenne, contre une moyenne internationale supérieure à quatre fois. Les habitants de ces pays semblent également avoir un choix éducatif limité : les écoles privées sont rares en zones rurales et les cours particuliers (payants) ont tendance à être assurés par les professeurs qui enseignent dans les écoles ; il en est exactement de même pour les soins privés (payants), qui sont eux assurés par le personnel de santé du public. Même si les écoles et les centres de santé invitent les parents et les patients à s’exprimer sur la qualité des services, les personnes sondées doutent du sort réservé à ces enquêtes et de l’utilisation faite de ces données.

Selon certains observateurs, l’inefficacité des services publics s’explique avant tout par un certain fonctionnarisme et la mainmise du politique, le système devenant l’otage d’intérêts particuliers.S’appuyant sur son expérience en Afrique (voir, par exemple, son billet sur la politique de prestations de service (a), Shanta Devarajan indique que cette incurie persiste à cause « d’un équilibre politique entre politiciens et prestataires de service (enseignants, médecins et bureaucrates) qui profitent d’un statu quo et résistent à toute tentative d’amélioration des services ».

Dans le monde arabe, les statistiques montrent cependant que la qualité des services varie selon les endroits. Cette disparité au sein d’un même pays, en matière de disponibilité des médicaments de base ou d’absentéisme, est un élément important. Ces exemples locaux positifs viendront largement enrichir notre réflexion sur l’amélioration des systèmes de prestations de service.

Et vous, quelle expérience avez-vous ? Connaissez-vous des écoles et des centres de santé exemplaires ? Ou des responsables locaux qui mettent tout en œuvre pour veiller à la qualité des services dispensés aux plus défavorisés ?

Vos témoignages sont les bienvenus, n’hésitez pas à nous écrire.


Auteurs

Hana Brixi

Directrice mondiale, Genre et égalité des sexes

Prenez part au débat

Le contenu de ce champ est confidentiel et ne sera pas visible sur le site
Nombre de caractères restants: 1000