Part 1: Les enseignements d’une période de paix relative
En proie à la fragilité depuis trois décennies, l’Iraq a connu différents types de conflits : insurrections, guerre internationale, affrontements interconfessionnels, terrorisme, fragmentation interne et retombées des conflits dans d’autres pays. Son passé récent, marqué par une relative stabilité, renferme-t-il des leçons pour l’avenir, alors que le pays traverse aujourd’hui une nouvelle crise ?Un nouveau rapport du Groupe de la Banque mondiale, présenté aujourd’hui à Bagdad, offre la première analyse approfondie du développement économique et social de ce pays entre 2007 et 2012. Cette période a été marquée par la reprise du secteur pétrolier, l’augmentation massive des recettes pétrolières et les efforts considérables qu’a déployés le gouvernement pour répondre aux grandes attentes de la population. L’instauration, en 2005-06, d’un gouvernement civil élu a été suivie d’une période de forte croissance économique et d’une relative stabilité qui aurait pu enfin ouvrir la voie à une croissance inclusive.
Cependant, cette solide croissance économique ne s’est guère traduite par des taux de réduction de la pauvreté significatifs. En 2012, un cinquième de la population iraquienne dépensait moins que le nécessaire pour satisfaire ses besoins nutritionnels minimum et pour couvrir ses besoins non alimentaires de base, comme se vêtir et se loger. Encore plus nombreux étaient ceux qui vivaient près du seuil de pauvreté et étaient touchés de plein fouet par les hausses de prix et le manque de produits de première nécessité, par la perte d’actifs et de moyens de subsistance, ce qui correspond, précisément, à la situation qu’ils vivent aujourd’hui.
À la pauvreté s’ajoutaient des manques dans d’autres dimensions de la vie quotidienne. Sur les 34 millions d’habitants que comptait le pays, près de la moitié avait un niveau d’instruction inférieur au cycle primaire ; près d’un tiers des enfants de moins de cinq ans souffraient d'un retard de croissance ; à Bagdad et dans les gouvernorats du centre et du sud, plus de 90 % des ménages disposaient de moins de 8 heures d’électricité par jour ; un tiers des hommes et 90 % des femmes (15 à 64 ans) étaient sans emploi et n’en cherchaient pas ; et plus de 60 % des calories consommées par les pauvres provenaient d’un programme national de subventions alimentaires.
Ces statistiques sont, dans une large mesure, l’héritage de trois décennies de violences et de faiblesses institutionnelles. Cet héritage est lourd de conséquences difficiles à surmonter. L’Iraq souffre d’un vaste déficit de capital humain et d’infrastructures. Ces longues années de violence et d’insécurité ont eu un impact direct sur le taux de mortalité des hommes. Leurs conséquences délétères sur la santé, les services essentiels et les infrastructures se répercutent aussi sur le taux de mortalité des femmes adultes, en progression depuis les années 1980, et sur celui des enfants, qui augmente en comparaison avec les autres pays de la région (l’Iraq affiche aujourd’hui les taux les plus élevés, après le Yémen et peut-être Djibouti).
Le passé détermine aussi les aspirations et les perspectives d’avenir de l’Iraq, et donc de sa jeunesse. Aujourd’hui, la probabilité pour qu’un Iraquien de 18 ans ait achevé le cycle d’enseignement primaire n’est pas plus élevée qu’elle ne l’est pour un Iraquien de 30 ans son aîné. De plus, le taux d’emploi des jeunes compte parmi les plus faibles de la région. De 2003 à 2012, plus de 100 000 civils ont été tués dans de violents affrontements, et les conflits qui perdurent dans certaines provinces limitent les gains de bien-être et continuent de fragmenter le pays.
En 2006/07, l’État se heurtait à des défis de long terme, et les efforts à consentir pour soutenir le développement du pays étaient lourds et nombreux, à commencer par l’instauration de l’État de droit et d’une bonne gouvernance, la redynamisation de l’activité économique dans le secteur privé et le lancement d’investissements massifs dans l’infrastructure, l’éducation, la santé et le secteur social.
L’ampleur de ces défis, la rareté des instruments disponibles et la pression des résultats ont influencé la stratégie de développement retenue par les autorités iraquiennes. L’État a opté pour une politique de redistribution des recettes pétrolières articulée autour de deux axes : maintenir le système universel de subventions alimentaires et accroître l’emploi et les recettes dans le secteur public. Une stratégie à courte vue, qui a laissé de côté certaines parties du pays et certaines catégories de personnes, affaiblissant encore les relations entre les citoyens et l’État et ne remédiant nullement aux principaux obstacles au développement.
Aujourd’hui, l’Iraq est confronté à une nouvelle crise, à une nouvelle vague de déplacements et de perte de revenu, de moyens de subsistance et d’actifs, à une nouvelle rupture de son tissu social et économique. Aujourd’hui, plus que jamais, on réalise sans peine que le passé récent du pays a constitué une possibilité manquée.
L’avenir réserve des défis plus difficiles encore à relever. Selon un ancien proverbe sumérien, « celui qui marche dans la rectitude engendre de la vie ». S’ils veulent placer l’Iraq sur une trajectoire qui le conduira à une prospérité partagée, il faut que les responsables politiques nationaux, la communauté internationale et la population iraquienne affrontent les réalités du passé et en tirent des leçons pour construire un avenir meilleur.
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