Publié sur Voix Arabes

Catastrophes naturelles dans le monde arabe : Prévenir plutôt que guérir

 

Catastrophes naturelles dans le monde arabe : Prévenir plutôt que guérirEn avril dernier, lors d’une conférence en marge des réunions qui rassemblent tous les six mois les ministres des finances et les gouverneurs des banques centrales à l’initiative de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, les hauts représentants de Djibouti, du Yémen et du Maroc ont présenté leurs programmes respectifs de gestion des risques. Risques mortels en l’occurrence puisqu’il s’agissait des risques liés à lafréquence croissante des catastrophes naturelles.

La gestion du risque de catastrophe est devenue un élément essentiel dans l'élaboration et la planification des politiques nationales.Dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA), les effets des catastrophes naturelles se conjuguent à ceux du changement climatique, de la rareté de l’eau et de l’urbanisation, et ces interactions posent un problème de plus en plus grave aux responsables politiques.

Alors que le nombre de catastrophes naturelles à travers le monde a presque doublé depuis les années 80, il a pratiquement triplé dans la région MENA. Au cours de ces dernières années, les inondations et les sécheresses ont été particulièrement dévastatrices dans la région, entraînant un nombre considérable de décès mais aussi d’importantes pénuries d’eau, des pertes économiques et un impact négatif sur le plan social.En termes de prévalence, les tremblements de terre occupent le deuxième rang, avec des répercussions qui affectent la vie des populations et leurs moyens de subsistance.

Les éléments suivants témoignent de la menace grandissante que représentent ces catastrophes dans les pays de la région MENA et pour leurs habitants :

  • Alors que, au niveau mondial, le risque de mortalité causé par les inondations a diminué depuis 2000, il ne cesse d’augmenter dans la région MENA.
     
  • Le nombre de crues soudaines et de personnes touchées ou tuées a doublé au cours de la dernière décennie.
     
  • La part du produit intérieur brut (PIB) impacté par les inondations a triplé entre les périodes 1970-1979 et 2000-2009.
     
  • À Djibouti, 120 000 personnes (50 % de la population rurale) ont souffert de la sécheresse de 2011.De 2008 à 2011, la sécheresse a causé des pertes économiques représentant 3,9 % du PIB annuel du pays.
     
  • Au Yémen, les inondations de Hadramout et d’Al-Mahara en 2008 ont coûté 1,6 milliard de dollars, soit l’équivalent de 6 % du PIB.
       

Adopter une démarche proactive sur la gestion du risque de catastrophe contribue à la lutte contre la pauvreté et au soutien de la croissance, ces deux éléments constituant les principaux objectifs de la Banque mondiale.Entre 1980 et 2010, six pays ont concentré à eux seuls 81 % des catastrophes ayant eu lieu dans la région MENA, à savoirl’Algérie, Djibouti, l’Égypte, l’Iran, le Maroc et le Yémen. Dans tous ces pays, malgré des degrés de développement divers, c’est systématiquement la tranche la plus pauvre de la population qui est la plus touchée, car elle ne dispose que de ressources limitées pour s’adapter et, souvent, vit dans des zones plus exposées aux catastrophes (implantations sauvages à la périphérie des villes, par exemple).

L’urbanisation rapide de la région MENA accroît l’exposition des populations et des ressources économiques aux catastrophes.La population urbaine représente déjà 62 % de la population totale et on s’attend à ce qu’elle soit multipliée par deux au cours des trois décennies à venir.Les conséquences de cette urbanisation se font particulièrement ressentir sur le littoral, où se trouvent les principales villes et centres économiques de la région.Aujourd’hui, environ 60 millions de personnes (soit quelque 17 % de la population totale de la région MENA) vivent dans des zones côtières.

Mais que les choses soient claires : le problème n’est pas l’urbanisation en tant que telle.Le problème réside dans la façon dont le processus d’urbanisation est géré.La croissance rapide des quartiers informels (qui, pour Djibouti-Ville, capitale de Djibouti, ou pour Sanaa, capitale du Yémen, représentent entre 25 et 50 % de la population totale de la ville) se traduit par une augmentation de l’exposition et de la vulnérabilité des plus pauvres aux inondations urbaines et au stress hydrique.Cette situation souligne d’autant plus la nécessité pour les responsables publics de se concentrer sur le développement durable des villes et sur les capacités des administrations locales à se préparer aux catastrophes et à les gérer.

Si, au niveau local, les responsables municipaux doivent jouer un rôle clé, ce ne sont pas les seuls.Les organisations de la société civile peuvent également contribuer de manière significative au développement de la résilience.Bien que les pays de la région MENA figurent toujours parmi les États les plus centralisés du monde — avec un montant total de dépenses publiques locales parmi les plus bas —plusieurs d’entre eux (Maroc, Tunisie et Yémen en particulier) s’orientent progressivement vers une plus grande décentralisation des pouvoirs au profit d’échelons administratifs inférieurs.Cette évolution offre l’occasion de renforcer les villes, en améliorant leur résistance aux catastrophes naturelles et leur capacité à gérer le développement, et par conséquent de soutenir le programme d’action pour la gestion des risques de catastrophe.

Depuis 2007, avec le soutien du Dispositif mondial de réduction des effets des catastrophes et de relèvement (GFDRR), un ensemble de programmes nationaux a été lancé à Djibouti, au Maroc et au Yémen afin d’améliorer leur résilience face aux catastrophes.Ces programmes comprennent des activités visant à améliorer l’accès aux informations sur les risques de catastrophes, à développer un environnement stratégique pour la réduction des risques, à renforcer les capacités de réduction des risques par des formations aux niveaux national et local et à créer des programmes de relèvement et de reconstruction après une catastrophe pilotés par les États.En Algérie, à Djibouti, en Jordanie, en Arabie saoudite, au Liban, au Maroc et au Yémen, des évaluations des risques de catastrophes naturelles financées par des donateurs ont été achevées ou sont en cours.Des projets pour la reconstruction post-inondations ont été lancés à Djibouti et au Yémen, et des comités de pilotage interministériels sur la gestion des risques de catastrophe ont été mis en place en Algérie, à Djibouti, au Maroc et au Yémen.

Alors que la gestion des risques de catastrophe commence à prendre un certain élan dans la région MENA, elle ne se traduit pas encore par des approches intégrées pourtant nécessaires à son efficacité.Compte tenu de l’exposition croissante de la région aux catastrophes naturelles, les enjeux de la réduction des risques sont considérables.Il est cependant possible de diminuer ces risques en agissant de manière systématique sur la sensibilisation et en renforçant les capacités institutionnelles aux niveaux régional, national et local. Cela implique de prendre immédiatement des mesures, et cela en collaborant les uns avec les autres.Une bonne planification du développement, qui tienne compte d’une analyse des risques, contribuera de manière significative à assurer un développement durable, tout en améliorant dans le même temps la vie des populations et leurs moyens de subsistance.Agissons dès maintenant :la gestion du risque de catastrophe n’attend pas.


Auteurs

Franck Bousquet

Directeur principal, fragilité, conflits et violence (FCV)

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