La pandémie de COVID-19 met au jour les inégalités entre les pays et entre les territoires d’un même pays. Partout dans le monde, le risque d’infection des populations les plus défavorisées est plus élevé. En cause, une plus grande probabilité de souffrir de comorbidités, de vivre à l’étroit au sein d’un foyer multigénérationnel, avec un accès limité à l’eau potable et une moindre probabilité de pouvoir télétravailler. En outre, au sein des groupes de population les plus pauvres, les chances de bénéficier des soins requis après infection sont réduites et le taux de survie à la COVID-19 est plus faible.
Les répercussions économiques de la crise sanitaire sont tout aussi inégales. Si le contrecoup de cette pandémie est général, le rapport intitulé Welfare Impacts of COVID-19 in the MENA Region (à paraître) fait ressortir certaines disparités au sein même des pays. Le risque d’infection chez les populations pauvres, réfugiées, ou encore employées dans le secteur informel, est plus élevé ; sur le plan économique, ces catégories sont plus durement touchées en raison des confinements et moins en mesure de parer à la perte de revenus.
Aujourd’hui, alors que le monde s’efforce de lutter contre les effets de la pandémie grâce à des campagnes de vaccination de masse, d’autres inégalités apparaissent. La répartition des vaccins entre les pays est particulièrement déséquilibrée. Aux États-Unis, par exemple, 60 % de la population a reçu au moins une dose de vaccin. Dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA), en revanche, ce chiffre est quatre fois inférieur (15 %) . Par ailleurs, les inégalités en matière de vaccination au sein de cette région sont criantes : 50 % de vaccinés en Arabie saoudite, 37 % au Maroc, moins de 1 % au Yémen et en Syrie, 2 % en Iraq et 4 % en Égypte.
Pour la région MENA, l’obtention d’informations récentes sur les inégalités en matière de vaccination s’avère difficile : les enquêtes représentatives au niveau national sont réalisées de manière irrégulière et les taux de vaccination restent faibles. L’épidémie de COVID-19 interdit en outre tout entretien en face à face. On peut envisager des enquêtes téléphoniques ciblées parmi les groupes à haut risque éligibles à la vaccination, mais rien n’a été organisé à ce jour. Certaines informations, comme le traitement de faveur accordé à des dirigeants libanais pour la vaccination (a), font état d’inégalités au stade initial du déploiement de la vaccination notamment, mais les éléments dont nous disposons sont sporadiques. Plusieurs pays ont par chance mené des enquêtes téléphoniques représentatives au niveau national pour évaluer l’impact de la pandémie sur le bien-être des personnes sondées. Ces enquêtes ne portent pas sur le statut vaccinal, mais les questions relatives au dépistage à la COVID-19 sont révélatrices.
En Iraq, par exemple, les données recueillies en janvier 2021 indiquent qu’environ un quart de la population a été testé. Elles révèlent aussi que le dépistage est plus fréquent chez les hommes que chez les femmes (27 % contre 19 %), et chez les fonctionnaires (35 %) que parmi les actifs du secteur privé informel et les indépendants (24 %). La probabilité d’un dépistage chez les personnes disposant d’un faible degré d’instruction ou en situation d’insécurité alimentaire est moindre (voir figure). Pour résumer, ces résultats montrent que les personnes pauvres ou vulnérables sont moins susceptibles d’être dépistées.
Ce phénomène ne se limite pas à l’Iraq. Les enquêtes téléphoniques menées dans d’autres pays de la région révèlent les mêmes inégalités d'accès aux tests. Parmi les personnes interrogées lors du quatrième volet de l’enquête téléphonique à Djibouti, 29 % indiquent avoir été dépistées, mais seuls 22 % des sondés défavorisés ont fait l’objet d’au moins un test COVID-19 contre 30 % des non défavorisés. Les personnes les plus exposées (comme les travailleurs du secteur informel notamment) étaient moins susceptibles d’avoir été testées que celles travaillant dans le secteur public (25 % contre 39 %).
Ces chiffres soulèvent d’importantes questions. Les tests de dépistage à la COVID-19 dans le secteur public sont gratuits dans les pays de la région MENA. Alors pourquoi les personnes pauvres ne recourent-elles pas à ces services ? Est-ce par manque d’information ? Le coût d’opportunité est-il trop élevé ? Quels autres facteurs peuvent influer : freins matériels, paiements informels, autres raisons ? Davantage de données sont indispensables pour mieux comprendre ces difficultés.
Certes, les enjeux de l’équité d’accès aux tests COVID-19 sont très différents de ceux qui entourent la vaccination. La durée de conservation des vaccins est limitée, leur stockage doit respecter la chaîne du froid, les personnes les plus à risque (personnes âgées et celles souffrant de comorbidités) doivent être prioritaires. Toutefois, ces différences ne doivent pas saper la volonté de remédier aux nombreuses autres inégalités constatées dans le contexte de la pandémie.
Les catégories défavorisées sont les premières victimes des inégalités liées au coronavirus. La communauté internationale doit se saisir de la question de l’inégalité d’accès aux vaccins, même si des pays proactifs peuvent faire la différence, comme en témoigne le taux de vaccination au Maroc. Sur leur territoire, les États peuvent juguler d’autres types d’inégalités liées à la pandémie, grâce à des programmes de protection sociale bien ciblés, des tests peu coûteux (voire gratuits) et des programmes de vaccination transparents. Parce qu’il est probable que la COVID devienne endémique, nous devons apprendre à faire mieux et investir dans la collecte des données nécessaires à ce processus d'apprentissage.
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