Dans le monde entier, la pauvreté a reculé depuis le début des années 1990, mais dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA), le rythme de l’amélioration ralentissait avant même la survenue de la pandémie. En fait, la région MENA a été la seule à connaître une hausse des niveaux de pauvreté depuis 2013, et l’extrême pauvreté (personnes vivant avec moins de 1,90 dollar par jour) y a progressé de façon spectaculaire entre 2011 et 2018, passant de 2,4 % à 7,2 % de la population.
Aujourd’hui, toutes les régions sont exposées à de possibles régressions. La Banque mondiale estime qu’en 2020, la pandémie a fait basculer 97 millions de personnes de plus dans la pauvreté à l’échelle mondiale que si la crise n’avait pas frappé. Comment la pandémie de COVID-19 a-t-elle affecté le bien-être des individus et des ménages dans la région MENA ? Sur quels aspects fondamentaux les décideurs politiques devraient-ils se concentrer pour permettre une récupération économique rapide et durable ?
Un nouveau rapport, intitulé Répercussions et répartition des effets de la pandémie de COVID-19 dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord, cherche à répondre à ces questions en analysant des données primaires récemment collectées dans la région MENA (en grande partie au moyen d’enquêtes téléphoniques) et en intégrant des projections issues de micro-simulations qui nous permettent d’évaluer les conséquences sur la pauvreté et les inégalités.
L’une des principales conclusions du rapport est que l’impact de la crise sur les populations n’a pas été homogène, les pauvres et les personnes vulnérables étant souvent touchés de manière disproportionnée. Ce constat est particulièrement inquiétant, car avant même la pandémie, la région MENA était déjà aux prises avec une faible croissance annuelle, des taux de chômage élevés, des degrés importants d’informalité, une participation limitée des femmes à la population active, un manque d’emplois de qualité, un environnement des affaires peu propice, une insécurité alimentaire et une situation de fragilité et de conflits.
Les responsables politiques vont devoir agir rapidement pour freiner l’escalade de la pauvreté et assurer un revenu et un soutien social aux personnes les plus affectées, tout en faisant preuve de sagesse budgétaire. À défaut, le tissu social déjà fragile de la région MENA risque fort de se déchirer davantage.
Des reculs sur le front de la pauvreté
Comment les impacts hétérogènes de la crise vont-ils se manifester ? Les résultats des enquêtes indiquent : (i) une augmentation substantielle de la pauvreté ; (ii) des inégalités croissantes ; (iii) l’émergence d’un groupe de « nouveaux pauvres » (qui ne l’étaient pas au premier trimestre 2020 et qui le sont devenus) ; (iv) des changements sur le marché du travail, à la fois en termes d’intensité (charge de travail des individus) et d’extensivité (nombre de personnes en activité). Le rapport estime que la pauvreté dans la région MENA aura considérablement augmenté en 2020, c’est-à-dire entre 5 et 35 points de pourcentage selon les pays ou les économies, les pays les plus touchés étant la République islamique d’Iran, l’Irak et le Liban où la COVID-19 vient s’ajouter à d’autres difficultés économiques.
Examinons tout d’abord l’évolution du bien-être social : en Tunisie, plus de la moitié des ménages interrogés lors des cinq cycles de l’enquête téléphonique ont déclaré que la pandémie avait entraîné une baisse de leur niveau de vie par rapport à la période précédente, c’est-à-dire avant mars 2020 (voir graphique). La dégradation a été particulièrement ressentie par les 40 % de ménages moins aisés, entre la mi-mai et la mi-octobre 2020. Ce recul significatif du bien-être au fur et à mesure de l’évolution de la pandémie s’est prolongé bien après la fin des restrictions à la mobilité individuelle. Une tendance similaire a été observée en Égypte au cours des cycles 1 et 2 de l’enquête, les 40 % des ménages les plus démunis étant les plus touchés.
Environ la moitié des ménages tunisiens signalent une baisse de leur niveau de vie
Évolution ressentie du niveau de vie des ménages par rapport à la période précédant la pandémie, par cycle d’enquête
Source : Calculs réalisés par la Banque mondiale sur la base des données de l’enquête téléphonique auprès des ménages pour étudier et suivre l’impact de la COVID-19 sur le quotidien des Tunisiens, cycles 1 à 5 (enquête menée par l’Institut national de la statistique et la Banque mondiale).
Note : le cycle 2 a été réalisé du 15 au 21 mai, le cycle 3 du 8 au 15 juin, le cycle 4 du 22 au 30 juin et le cycle 5 du 4 au 16 octobre 2021.
Par ailleurs, les enquêtes téléphoniques conduites dans la région MENA montrent que le degré de dégradation varie selon les ménages, en fonction de caractéristiques socioéconomiques telles que la richesse, le sexe, les secteurs d’emploi, la nature des contrats de travail et le lieu de vie (urbain ou rural). Les personnes les plus vulnérables (membres de ménages pauvres ou presque pauvres) étaient employées dans des secteurs qui ont subi le plus fort impact de la pandémie : les industries extractives, le tourisme (y compris les hôtels, cafés et restaurants), le commerce de détail, les transports, le commerce et la construction. Ces secteurs emploient généralement des travailleurs informels rémunérés à la journée ou occupant des emplois temporaires, pour réaliser des tâches incompatibles avec le télétravail ou travail à distance.
Les réfugiés constituent un autre groupe particulièrement vulnérable. Au Liban, l’augmentation de la pauvreté pour les nationaux (la communauté d’accueil) est estimée à 13 points de pourcentage pour 2020 par rapport à la base de référence de 2019, et à 28 points de pourcentage pour 2021. Mais pour les réfugiés syriens, la hausse est estimée à 39 points de pourcentage pour 2020 et 52 points de pourcentage pour 2021. À Djibouti, 7 % des réfugiés vivant en zone urbaine (principalement originaires d’Éthiopie, d’Érythrée, de Somalie et plus récemment du Yémen) ont déclaré avoir perdu leur emploi d’une semaine sur l’autre, contre 3 % des nationaux. Cette situation exacerbe les vulnérabilités existantes, car elle s’ajoute aux 25 % de réfugiés qui ne travaillaient pas auparavant, contre 11 % de Djiboutiens.
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