Ce billet, rédigé avant le conflit qui se déroule actuellement à Gaza, nous rappelle que l’éducation est, indépendamment des circonstances, une condition indispensable pour bâtir un avenir porteur d’espoir.
Quel est donc le secret de Mme Abla ? Comment une chef d’établissement a-t-elle réussi à mobiliser enseignants et parents pour les amener à former ensemble un noyau harmonieux voué à un objectif commun : offrir aux élèves la meilleure éducation possible ? Ce succès repose-t-il uniquement sur son incroyable passion pour l’éducation ? Sur quoi d’autre a-t-elle pu s’appuyer pour parvenir à surmonter les défis quotidiens propres à la Cisjordanie et façonner autour d’elle un environnement si propice à l’apprentissage ?
Au mois de mars dernier, une équipe de la Banque mondiale a utilisé les normes développées par le système d’enquête internationale TIMSS (des tests d’évaluation mis au point aux États-Unis en vue de mesurer les acquis en mathématiques et en sciences des élèves américains par rapport à ceux d’autres pays) pour identifier les établissements scolaires des Territoires palestiniens dont les élèves enregistraient des performances supérieures à la moyenne. En comparant les classes fortes et les classes faibles, l’équipe a relevé des « disparités importantes tant au niveau de l’usage que les enseignants font de leur temps que dans la manière dont les établissements sont gérés ». Leurs conclusions sont présentées dans un rapport paru en juin et intitulé L earning from Local Practices: Improving Student Performance in West Bank and Gaza.
À la suite de cette étude et mus par la volonté de nous inspirer de ces réussites locales, nous avons visité l’un des meilleurs établissements du classement : le collège pour jeunes filles de Kufor Quod, situé à proximité de Jénine, dans le nord de la Cisjordanie. Nous avons alors découvert que la principale du collège, Mme Abla, était parvenue à cultiver, en grande partie grâce à son charisme, une dynamique de collaboration vivante, commençant au sein de son école, en réunissant enseignants et élèves autour d’un même dessein, et se propageant vers l’extérieur, sous la forme d’interactions avec les parents et le reste de la communauté locale.
Auprès de Mme Abla, nous voulions mieux étudier l’éventail de pratiques innovantes qui caractérisait une école dont les résultats, en dépit d’un environnement qui bride toutes les structures scolaires des Territoires palestiniens, surpassaient ceux des autres établissements. En 2011, les performances des élèves de huitième année s’élevaient à un score moyen TIMSS de 529 en sciences et 500 en mathématiques, ce qui les propulsait respectivement dans ces deux matières à la première et à la deuxième place des écoles publiques palestiniennes.
« Vous consulte-t-on sur les décisions qui ont trait à votre établissement ? » À cette première question les professeurs ont répondu « Oui, naturellement », avant d’ajouter que la principale avait même pris en compte leur avis sur la couleur des rideaux dans leur classe. Cette réponse, aussi anecdotique fût-elle, en dit long sur la culture participative et l’esprit de partenariat instaurés par Mme Abla.
Grâce à des pratiques simples valorisant une approche collaborative plutôt que des actions individuelles — fréquence des réunions du personnel, participation des parents à des activités en classe, implication personnelle dans le suivi de l’apprentissage des élèves —, et à la faveur d’un niveau élevé d’exigence, d’ambition et de moral, il a été possible de créer un climat propice aux bonnes performances académiques. Chacun était fier de son école et chacun s’y plaisait.
L’un des aspects remarquables de ce collège tient au mécanisme de responsabilisation interne instauré entre la directrice et son personnel. Par exemple, la centralisation du système éducatif dans les Territoires palestiniens, qui ne laisse guère de latitude de gestion à l’échelon des établissements (et ne confère notamment aucune autonomie aux chefs d’établissements en matière de recrutement ou d’attribution des primes et autres récompenses pécuniaires), n’a pas empêché la principale de faire preuve de créativité et d’avoir recours à des dispositifs incitatifs non monétaires pour entretenir la motivation des enseignants. Ces derniers ont mentionné le degré d’autonomie dont ils disposent et l’existence d’un sentiment diffus de confiance ; ils ont également dit avoir la sensation que leurs efforts étaient toujours appréciés et reconnus. Des études ont montré que l’utilisation d’incitations non monétaires et le recours à certaines stratégies de gestion des ressources humaines (marques d’appréciation, bienveillance du suivi, évaluation des performances, évolution des carrières et prise en compte de l’avis des parents) jouent un rôle tout aussi important dans la motivation d’un enseignant qu’une reconnaissance financière.
Se sentant reconnus, les professeurs de Kufor Quod font preuve d’un engagement et d’un sens du dévouement à l’égard de leur établissement tels qu’ils ont refusé de prendre part aux grèves pour les hausses de salaires appelées par le syndicat enseignant. Interrogé sur cette décision, l’un d’entre eux a déclaré en haussant les épaules que sa « conscience [lui] interdisait de ne pas enseigner au mieux de [ses] aptitudes ». Mais aurait-il agi de la sorte s’il travaillait dans un autre établissement et s’il ne s’y était pas senti aussi apprécié ? « Non. Lorsqu’on reçoit beaucoup, c’est naturel de donner en retour. »
Dans un tel environnement, les élèves acquièrent souvent et rapidement la nette impression que leur école les place au cœur du processus pédagogique et que tous les efforts tendent vers la volonté de leur assurer un meilleur avenir. Selon leurs propres mots, leurs professeurs sont des « amis » et leur principale est « comme une mère ». Les jeunes filles ont pour ambition de devenir dentiste, avocate, ingénieur aéronautique ou enseignante, ce qui témoigne de la vigueur du potentiel humain à Kufor Quod et, au-delà, dans tous les Territoires palestiniens.
Certes, Kufor Quod a bénéficié d’un environnement favorable qui a relativement facilité les processus d’apprentissage [1]. Il n’en reste pas moins que les initiatives toutes simples prises par cette école illustrent le rôle essentiel joué par les innovations locales dans l’amélioration des résultats des élèves. De telles pratiques pourraient aider d’autres établissements en difficulté et moins avancés à trouver et mettre en place des solutions spécifiques aux problèmes qui leur sont propres, même dans un contexte marqué par la persistance de défis politiques plus larges.
Après tout, peut-être que le secret de Mme Abla n’en est pas un. Elle a su faire de son école une institution capable de reconnaître et récompenser les efforts déployés et c’est cette approche novatrice qui lui permet, aux côtés de tous ceux qui l’entourent, de donner l’exemple de ce qui peut être accompli envers et contre tout.
Quel est donc le secret de Mme Abla ? Comment une chef d’établissement a-t-elle réussi à mobiliser enseignants et parents pour les amener à former ensemble un noyau harmonieux voué à un objectif commun : offrir aux élèves la meilleure éducation possible ? Ce succès repose-t-il uniquement sur son incroyable passion pour l’éducation ? Sur quoi d’autre a-t-elle pu s’appuyer pour parvenir à surmonter les défis quotidiens propres à la Cisjordanie et façonner autour d’elle un environnement si propice à l’apprentissage ?
Au mois de mars dernier, une équipe de la Banque mondiale a utilisé les normes développées par le système d’enquête internationale TIMSS (des tests d’évaluation mis au point aux États-Unis en vue de mesurer les acquis en mathématiques et en sciences des élèves américains par rapport à ceux d’autres pays) pour identifier les établissements scolaires des Territoires palestiniens dont les élèves enregistraient des performances supérieures à la moyenne. En comparant les classes fortes et les classes faibles, l’équipe a relevé des « disparités importantes tant au niveau de l’usage que les enseignants font de leur temps que dans la manière dont les établissements sont gérés ». Leurs conclusions sont présentées dans un rapport paru en juin et intitulé L earning from Local Practices: Improving Student Performance in West Bank and Gaza.
À la suite de cette étude et mus par la volonté de nous inspirer de ces réussites locales, nous avons visité l’un des meilleurs établissements du classement : le collège pour jeunes filles de Kufor Quod, situé à proximité de Jénine, dans le nord de la Cisjordanie. Nous avons alors découvert que la principale du collège, Mme Abla, était parvenue à cultiver, en grande partie grâce à son charisme, une dynamique de collaboration vivante, commençant au sein de son école, en réunissant enseignants et élèves autour d’un même dessein, et se propageant vers l’extérieur, sous la forme d’interactions avec les parents et le reste de la communauté locale.
Auprès de Mme Abla, nous voulions mieux étudier l’éventail de pratiques innovantes qui caractérisait une école dont les résultats, en dépit d’un environnement qui bride toutes les structures scolaires des Territoires palestiniens, surpassaient ceux des autres établissements. En 2011, les performances des élèves de huitième année s’élevaient à un score moyen TIMSS de 529 en sciences et 500 en mathématiques, ce qui les propulsait respectivement dans ces deux matières à la première et à la deuxième place des écoles publiques palestiniennes.
« Vous consulte-t-on sur les décisions qui ont trait à votre établissement ? » À cette première question les professeurs ont répondu « Oui, naturellement », avant d’ajouter que la principale avait même pris en compte leur avis sur la couleur des rideaux dans leur classe. Cette réponse, aussi anecdotique fût-elle, en dit long sur la culture participative et l’esprit de partenariat instaurés par Mme Abla.
Grâce à des pratiques simples valorisant une approche collaborative plutôt que des actions individuelles — fréquence des réunions du personnel, participation des parents à des activités en classe, implication personnelle dans le suivi de l’apprentissage des élèves —, et à la faveur d’un niveau élevé d’exigence, d’ambition et de moral, il a été possible de créer un climat propice aux bonnes performances académiques. Chacun était fier de son école et chacun s’y plaisait.
L’un des aspects remarquables de ce collège tient au mécanisme de responsabilisation interne instauré entre la directrice et son personnel. Par exemple, la centralisation du système éducatif dans les Territoires palestiniens, qui ne laisse guère de latitude de gestion à l’échelon des établissements (et ne confère notamment aucune autonomie aux chefs d’établissements en matière de recrutement ou d’attribution des primes et autres récompenses pécuniaires), n’a pas empêché la principale de faire preuve de créativité et d’avoir recours à des dispositifs incitatifs non monétaires pour entretenir la motivation des enseignants. Ces derniers ont mentionné le degré d’autonomie dont ils disposent et l’existence d’un sentiment diffus de confiance ; ils ont également dit avoir la sensation que leurs efforts étaient toujours appréciés et reconnus. Des études ont montré que l’utilisation d’incitations non monétaires et le recours à certaines stratégies de gestion des ressources humaines (marques d’appréciation, bienveillance du suivi, évaluation des performances, évolution des carrières et prise en compte de l’avis des parents) jouent un rôle tout aussi important dans la motivation d’un enseignant qu’une reconnaissance financière.
Se sentant reconnus, les professeurs de Kufor Quod font preuve d’un engagement et d’un sens du dévouement à l’égard de leur établissement tels qu’ils ont refusé de prendre part aux grèves pour les hausses de salaires appelées par le syndicat enseignant. Interrogé sur cette décision, l’un d’entre eux a déclaré en haussant les épaules que sa « conscience [lui] interdisait de ne pas enseigner au mieux de [ses] aptitudes ». Mais aurait-il agi de la sorte s’il travaillait dans un autre établissement et s’il ne s’y était pas senti aussi apprécié ? « Non. Lorsqu’on reçoit beaucoup, c’est naturel de donner en retour. »
Dans un tel environnement, les élèves acquièrent souvent et rapidement la nette impression que leur école les place au cœur du processus pédagogique et que tous les efforts tendent vers la volonté de leur assurer un meilleur avenir. Selon leurs propres mots, leurs professeurs sont des « amis » et leur principale est « comme une mère ». Les jeunes filles ont pour ambition de devenir dentiste, avocate, ingénieur aéronautique ou enseignante, ce qui témoigne de la vigueur du potentiel humain à Kufor Quod et, au-delà, dans tous les Territoires palestiniens.
Certes, Kufor Quod a bénéficié d’un environnement favorable qui a relativement facilité les processus d’apprentissage [1]. Il n’en reste pas moins que les initiatives toutes simples prises par cette école illustrent le rôle essentiel joué par les innovations locales dans l’amélioration des résultats des élèves. De telles pratiques pourraient aider d’autres établissements en difficulté et moins avancés à trouver et mettre en place des solutions spécifiques aux problèmes qui leur sont propres, même dans un contexte marqué par la persistance de défis politiques plus larges.
Après tout, peut-être que le secret de Mme Abla n’en est pas un. Elle a su faire de son école une institution capable de reconnaître et récompenser les efforts déployés et c’est cette approche novatrice qui lui permet, aux côtés de tous ceux qui l’entourent, de donner l’exemple de ce qui peut être accompli envers et contre tout.
[1] Parmi les aspects de cet environnement favorable, on peut citer l’absence de problèmes de violence et la faible importance des problèmes de discipline dans les établissements scolaires pour filles palestiniens, contrairement à la situation qui prévaut dans les établissements masculins. En outre, Kufor Quod est un établissement de taille relativement modeste dans lequel les parents s’investissent beaucoup, comme l’indiquent leurs nombreuses contributions en nature ou sous forme de dons.
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