Publié sur Voix Arabes

Dévoilement de l’étendue de la fraude fiscale en Tunisie

 tunisian manifestants rally the street of the city after the runaway of dictator Ben Ali from Tunisia - jbor l Shutterstock.comMettre fin aux abus de pouvoir des dirigeants faisait partie des grandes revendications de tous ceux qui ont investi les rues, lors du Printemps arabe. Un nouveau travail de recherche dévoile l’ampleur du phénomène, en réunissant des éléments qui suggèrent que les entreprises détenues par l’ancien président Ben Ali et son clan ont pour la plupart profité pendant son règne d’un système leur évitant d’avoir à acquitter des droits de douane sur les importations. Par la seule grâce de leurs appuis politiques, elles ont pu économiser au bas mot 1,2 milliard de dollars entre 2002 et 2009. Alors que ces pratiques semblent en recul depuis la révolution de Jasmin, il est certain en revanche que la fraude en général a augmenté.

Comment le savons-nous ?
Le contrôle des déclarations fiscales est un exercice difficile, tout le monde le sait. Mais dans le cas des droits de douane sur les produits importés, les déclarations équivalentes des exportateurs peuvent permettre de déceler une éventuelle fraude, puisque ces derniers ont moins intérêt à mentir sur leurs ventes à l’étranger.

Lorsque la déclaration concernant les importations est correcte, elle doit ressembler à celle qu’a effectuée l’exportateur des produits destinés à la Tunisie. Lorsque la déclaration est incorrecte ou que les produits sont franchement dissimulés, alors les « écarts commerciaux » augmentent. Ces écarts sont mesurés par la différence entre les déclarations d’exportation dans les pays qui vendent des biens à la Tunisie et les déclarations relatives aux importations de ces mêmes biens en Tunisie. Plus l’écart est important, plus la quantité d’importations « manquantes » augmente et moins les douanes tunisiennes collectent de droits. Il est en général plus marqué pour les produits soumis à des tarifs élevés et pour lesquels l’évasion est particulièrement rentable. Ce qui permet d’utiliser cette information comme variable de substitution à l’évasion fiscale.

En Tunisie, les écarts observés sont maximaux pour les produits importés par les entreprises du clan Ben Ali et particulièrement profonds lorsque ces produits sont soumis à des tarifs élevés. Ils sont la conséquence d’une sous-déclaration des prix et l’on constate, données à l’appui, que les principaux responsables de ces pratiques sont des entreprises ayant les bons appuis politiques. Ainsi, les entreprises du clan Ben Ali font état de prix considérablement inférieurs à ceux de leurs concurrentes pour les mêmes produits importés depuis les mêmes pays (elles ont donc payé moins de taxes sur les mêmes biens), l’écart s’élargissant à mesure que les droits de douane augmentent.

Autre élément d’analyse, le comportement des entreprises privatisées : celles qui étaient tombées dans le giron du clan Ben Ali se mettaient à déclarer des prix à l’importation nettement plus modestes que celles qui étaient cédées à d’autres entrepreneurs, sans lien privilégié avec le pouvoir, les prix unitaires restant alors pratiquement inchangés.

En quoi est-ce important ?
L’enjeu, ce n’est pas tant l’inégalité de traitement et les pertes fiscales que l’inefficacité, dans la mesure où le fait de ne pas acquitter de droits de douane confère à ceux qui se comportent ainsi un avantage-coût dont ne peuvent pas se prévaloir ceux qui respectent les règles et qui n’a rien à voir avec la performance.

Que s’est-il passé depuis la révolution de Jasmin ?
Si la révolution a induit une diminution de l’évasion et des sous-déclarations des prix unitaires dans les lignes de produits typiques du négoce pratiqué par la famille Ben Ali, elle a en revanche entraîné une hausse générale de l’évasion. Malgré des captations par le clan Ben Ali en perte de vitesse, la corruption s’est intensifiée. Ceci soulève une question importante : la révolution a-t-elle démocratisé la corruption en Tunisie ?

N’hésitez pas à partager vos réponses.


Auteurs

Bob Rijkers

Spécialiste en microéconomie appliquée

​Gaël Raballand

Chef de service, Pôle mondial d'expertise en Gouvernance, Afrique de l'Ouest

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