À la fin du repas, bien décidé à confirmer son intuition, il appelle notre sympathique serveur pour l’interroger sur la nationalité du personnel du restaurant. Notre serveur se révèle être effectivement marocain. Quant aux 19 autres employés (serveurs, cuisiniers, caissiers et gérants confondus), tous étaient turcs. Pas un seul Libyen. Interrogé sur leur maîtrise de la langue arabe, le serveur nous répond qu’ils sont tous originaires d’une région turque proche de la frontière syrienne et que, par conséquent, leur arabe est excellent.
Mon compagnon de table m’apprend alors que les Libyens, dans leur grande majorité, ne sont nullement attirés par le service en hôtellerie ou dans la restauration, une activité qu’ils jugent méprisable. Cette aversion s’étend naturellement à d'autres tâches subalternes et ingrates, comme les travaux de voirie ou le BTP, auparavant effectuées par des Égyptiens ou des ressortissants d’Asie du Sud. C’est une caractéristique que partagent beaucoup de pays dotés d’importantes ressources naturelles, y compris dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA).
Cependant, dans la Libye postrévolutionnaire, le taux de chômage des jeunes représente un enjeu de taille : d'importantes quantités d'armes sont aux mains de beaucoup de ces jeunes gens, et leur trouver un emploi rémunéré qui ne soit pas lié à la guerre est devenu une priorité. La sécurité du pays et l'abondance des armes en circulation sont deux facteurs d'incertitude qui entravent la viabilité du développement en Libye. Préoccupé par cette situation, le gouvernement a nommé plusieurs commissions afin de remédier à cet état de fait (dont la Commission pour les affaires des combattants ou WAC).
Le chômage des jeunes dans la région MENA est, on ne le sait que trop, endémique et a joué un rôle décisif dans le déclenchement du Printemps arabe en Tunisie et en Égypte, pour ne citer que ces pays. Cependant, la circulation accrue d'armes en Libye exige des mesures urgentes.
Ce problème est considérablement exacerbé par le fait que beaucoup de jeunes gens, notamment d'ex-rebelles, ne possèdent ni l'instruction ni les compétences demandées par le secteur privé. Ils ont par ailleurs des attentes irréalistes en matière de salaires, attentes qui dépassent de très loin les capacités de rémunération d'un secteur privé tout juste émergent ou, à tout le moins, nuiraient à la compétitivité de la production libyenne.
Malheureusement, il n'existe pas de solution miracle. Pour remédier à ce problème, il faut avancer sur de nombreux fronts (formation professionnelle et technique, soutien financier aux micro-entreprises et aux PME, accompagnement des entrepreneurs, programmes de parrainage, développement de jeunes entreprises...) afin d’aider les jeunes Libyens à trouver un emploi rémunérateur. Malgré les obstacles, il faut remédier à cette situation : il en va de la paix et de la prospérité de la nouvelle Libye. C’est dans cet esprit que les autorités veulent convaincre les jeunes gens de déposer les armes et de prendre part à l’économie libyenne pour assurer un avenir à ce pays dynamique en pleine renaissance.
Prenez part au débat