Ce billet a fait l’objet d’une première publication dans
Future Development.
La semaine dernière, j’ai assisté à une conférence rassemblant des prestataires d’aide juridique du monde entier. Ce groupe relativement informel est composé de représentants de pays majoritairement riches auxquels se joint peu à peu un nombre croissant de participants issus de pays en développement. L’aide juridique recouvre plusieurs types de services : des services d’information et de sensibilisation, des consultations juridiques dans le cadre de démarches individuelles ou collectives et, enfin, la représentation par un avocat (ce que l’on appelle plus précisément l’aide juridictionnelle). Ces prestations sont généralement fournies à titre gratuit aux populations pauvres et vulnérables, afin qu’elles puissent mieux comprendre leurs droits et les faire valoir, et accéder plus facilement aux services judiciaires officiels (tribunaux et autres instances de résolution des litiges, avocats).
Sur le plan théorique, le principe d’une aide juridique va de soi. Les défavorisés ne peuvent que bénéficier d’une meilleure connaissance du droit et d’un meilleur accès aux tribunaux et aux services d’un avocat. Cependant, ces prestations ont un coût : l’aide juridique est coûteuse, tout particulièrement lorsque des frais d’avocat sont en jeu. Même si l’on observe un certain nombre de tendances intéressantes en faveur d’une amélioration de la viabilité financière de l’aide juridique, ce type d’assistance fera toujours l’objet de subventions, par l’État ou d’autres entités (associations d’avocats ou organisations de la société civile).
Lors de la conférence, les participants ont évoqué des questions qui me travaillent depuis longtemps. Quelle incidence a l’aide juridique sur la pauvreté ? Est-il possible de l’envisager non pas sous l’angle de l’accès à la justice mais comme un instrument de lutte contre la pauvreté ?
Les pauvres ont un rapport à la justice spécifique. Alors qu’ils sont davantage exposés à certains types de litiges, ils disposent d’un moindre accès aux services susceptibles de les aider. Les frais d’avocats, notamment, sont un obstacle considérable. Pourtant, tout litige en souffrance peut précipiter une personne vulnérable dans la pauvreté. Les violations du droit du travail (licenciement abusif et défaut de paiement de salaire), les expulsions de logement, l’endettement et les différends familiaux (divorces, par exemple) peuvent être source de difficultés financières insurmontables pour les populations proches du seuil de pauvreté. De même, ceux qui vivent déjà dans la pauvreté risquent ne pas pouvoir s’en extirper à cause d’un litige non résolu. Dans les foyers où le chef de famille est une femme, le non-respect de la loi qui prévoit l’obligation d’entretien et le versement d’une pension alimentaire peut condamner ces ménages à la pauvreté.
En Jordanie, le Justice Center for Legal Aid (JCLA), une organisation de la société civile, met en œuvre un programme d’aide juridique financé par la Banque mondiale et le Japon. Cette initiative vient éclairer les rapports entre services judiciaires (et en particulier l’aide juridique) et pauvreté. En 2012, le JCLA, en coopération avec la direction de la Statistique, a procédé à une enquête auprès de 10 000 ménages portant exclusivement sur le secteur de la justice et plus précisément sur le volume de la demande en services d’aide juridique.
D’après les conclusions de cette enquête, les populations pauvres et quasi-pauvres sont plus exposées aux problèmes judiciaires, la moitié inférieure de la répartition des dépenses représentant 68 % des litiges déclarés. Par ailleurs, les populations défavorisées bénéficient d’un accès plus limité aux services judiciaires. Par rapport à celles du quartile de dépenses supérieur, les familles situées dans le quartile inférieur sont deux fois moins susceptibles de saisir un tribunal, mais quatre fois plus susceptibles de répondre à une convocation du tribunal sans l’assistance d’un avocat.
L’enquête fournit aussi des données sur le type de problèmes auxquels les populations pauvres et quasi-pauvres sont le plus souvent confrontées dans le domaine judiciaire. Les familles situées dans la moitié inférieure de la répartition des dépenses concentrent près de 80 % des litiges relatifs au droit de la famille, 68 % des affaires au civil et 65 % des dossiers de droit pénal. La catégorie des quasi-pauvres (qui se situe entre le quartile inférieur et la médiane des dépenses) est la plus susceptible d’être associée à un problème judiciaire dans l’ensemble de ces branches. Par ailleurs, les pauvres et quasi-pauvres sont fortement surreprésentés dans certains types d’affaires : garde des enfants (90 % des dossiers déclarés), entretien/pension alimentaire (83 %), succession (80 %), coups et blessures (78 %), violence domestique (77 %), conflits du travail (70 %) et litiges entre bailleur et locataire (68 %).
Si nous rapprochons les statistiques ci-dessus des caractéristiques générales de la pauvreté en Jordanie, nous pouvons déterminer ceux qui ont une incidence probable sur la pauvreté. Étant donné la faible participation de la main-d’œuvre féminine dans ce pays, les pensions alimentaires et la contribution à l’entretien des enfants peuvent constituer le seul avoir financier de taille pour un foyer dont le chef de famille est une femme divorcée. En Jordanie, comme dans de nombreux pays, le non-paiement d’une pension alimentaire peut précipiter certaines familles dans la pauvreté ; il en est de même des violations du droit du travail (licenciements abusifs ou retenues de salaire), auxquelles les populations pauvres et quasi-pauvres sont plus exposées. Ce sont ces difficultés qui peuvent faire qu’une famille vulnérable basculera dans la pauvreté.
Le JCLA et la Banque mondiale procèdent actuellement à l’élaboration d’une méthodologie pour mesurer l’incidence de l’aide juridique sur la pauvreté. Nous souhaitons dépasser deux points déjà largement balayés : l’issue des procédures (dans les tribunaux) et l’évaluation de l’impact social en fonction des ressources investies. Nous entendons mesurer les répercussions sur le niveau de pauvreté, sur les indicateurs de développement social et sur la capacité à agir des bénéficiaires, au niveau du ménage et sur le plan individuel. Nous espérons que le JCLA sera en mesure de suivre ses bénéficiaires dans la durée (sur plusieurs années) pour saisir l’évolution des impacts observés. Ce travail contribuera à étoffer des connaissances étonnamment limitées sur la portée de l’aide juridique dans la lutte contre la pauvreté, et espérons-le, à encourager d’autres analyses sur le rôle des services judiciaires dans la réduction de la pauvreté.
La semaine dernière, j’ai assisté à une conférence rassemblant des prestataires d’aide juridique du monde entier. Ce groupe relativement informel est composé de représentants de pays majoritairement riches auxquels se joint peu à peu un nombre croissant de participants issus de pays en développement. L’aide juridique recouvre plusieurs types de services : des services d’information et de sensibilisation, des consultations juridiques dans le cadre de démarches individuelles ou collectives et, enfin, la représentation par un avocat (ce que l’on appelle plus précisément l’aide juridictionnelle). Ces prestations sont généralement fournies à titre gratuit aux populations pauvres et vulnérables, afin qu’elles puissent mieux comprendre leurs droits et les faire valoir, et accéder plus facilement aux services judiciaires officiels (tribunaux et autres instances de résolution des litiges, avocats).
Sur le plan théorique, le principe d’une aide juridique va de soi. Les défavorisés ne peuvent que bénéficier d’une meilleure connaissance du droit et d’un meilleur accès aux tribunaux et aux services d’un avocat. Cependant, ces prestations ont un coût : l’aide juridique est coûteuse, tout particulièrement lorsque des frais d’avocat sont en jeu. Même si l’on observe un certain nombre de tendances intéressantes en faveur d’une amélioration de la viabilité financière de l’aide juridique, ce type d’assistance fera toujours l’objet de subventions, par l’État ou d’autres entités (associations d’avocats ou organisations de la société civile).
Lors de la conférence, les participants ont évoqué des questions qui me travaillent depuis longtemps. Quelle incidence a l’aide juridique sur la pauvreté ? Est-il possible de l’envisager non pas sous l’angle de l’accès à la justice mais comme un instrument de lutte contre la pauvreté ?
Les pauvres ont un rapport à la justice spécifique. Alors qu’ils sont davantage exposés à certains types de litiges, ils disposent d’un moindre accès aux services susceptibles de les aider. Les frais d’avocats, notamment, sont un obstacle considérable. Pourtant, tout litige en souffrance peut précipiter une personne vulnérable dans la pauvreté. Les violations du droit du travail (licenciement abusif et défaut de paiement de salaire), les expulsions de logement, l’endettement et les différends familiaux (divorces, par exemple) peuvent être source de difficultés financières insurmontables pour les populations proches du seuil de pauvreté. De même, ceux qui vivent déjà dans la pauvreté risquent ne pas pouvoir s’en extirper à cause d’un litige non résolu. Dans les foyers où le chef de famille est une femme, le non-respect de la loi qui prévoit l’obligation d’entretien et le versement d’une pension alimentaire peut condamner ces ménages à la pauvreté.
En Jordanie, le Justice Center for Legal Aid (JCLA), une organisation de la société civile, met en œuvre un programme d’aide juridique financé par la Banque mondiale et le Japon. Cette initiative vient éclairer les rapports entre services judiciaires (et en particulier l’aide juridique) et pauvreté. En 2012, le JCLA, en coopération avec la direction de la Statistique, a procédé à une enquête auprès de 10 000 ménages portant exclusivement sur le secteur de la justice et plus précisément sur le volume de la demande en services d’aide juridique.
D’après les conclusions de cette enquête, les populations pauvres et quasi-pauvres sont plus exposées aux problèmes judiciaires, la moitié inférieure de la répartition des dépenses représentant 68 % des litiges déclarés. Par ailleurs, les populations défavorisées bénéficient d’un accès plus limité aux services judiciaires. Par rapport à celles du quartile de dépenses supérieur, les familles situées dans le quartile inférieur sont deux fois moins susceptibles de saisir un tribunal, mais quatre fois plus susceptibles de répondre à une convocation du tribunal sans l’assistance d’un avocat.
L’enquête fournit aussi des données sur le type de problèmes auxquels les populations pauvres et quasi-pauvres sont le plus souvent confrontées dans le domaine judiciaire. Les familles situées dans la moitié inférieure de la répartition des dépenses concentrent près de 80 % des litiges relatifs au droit de la famille, 68 % des affaires au civil et 65 % des dossiers de droit pénal. La catégorie des quasi-pauvres (qui se situe entre le quartile inférieur et la médiane des dépenses) est la plus susceptible d’être associée à un problème judiciaire dans l’ensemble de ces branches. Par ailleurs, les pauvres et quasi-pauvres sont fortement surreprésentés dans certains types d’affaires : garde des enfants (90 % des dossiers déclarés), entretien/pension alimentaire (83 %), succession (80 %), coups et blessures (78 %), violence domestique (77 %), conflits du travail (70 %) et litiges entre bailleur et locataire (68 %).
Si nous rapprochons les statistiques ci-dessus des caractéristiques générales de la pauvreté en Jordanie, nous pouvons déterminer ceux qui ont une incidence probable sur la pauvreté. Étant donné la faible participation de la main-d’œuvre féminine dans ce pays, les pensions alimentaires et la contribution à l’entretien des enfants peuvent constituer le seul avoir financier de taille pour un foyer dont le chef de famille est une femme divorcée. En Jordanie, comme dans de nombreux pays, le non-paiement d’une pension alimentaire peut précipiter certaines familles dans la pauvreté ; il en est de même des violations du droit du travail (licenciements abusifs ou retenues de salaire), auxquelles les populations pauvres et quasi-pauvres sont plus exposées. Ce sont ces difficultés qui peuvent faire qu’une famille vulnérable basculera dans la pauvreté.
Le JCLA et la Banque mondiale procèdent actuellement à l’élaboration d’une méthodologie pour mesurer l’incidence de l’aide juridique sur la pauvreté. Nous souhaitons dépasser deux points déjà largement balayés : l’issue des procédures (dans les tribunaux) et l’évaluation de l’impact social en fonction des ressources investies. Nous entendons mesurer les répercussions sur le niveau de pauvreté, sur les indicateurs de développement social et sur la capacité à agir des bénéficiaires, au niveau du ménage et sur le plan individuel. Nous espérons que le JCLA sera en mesure de suivre ses bénéficiaires dans la durée (sur plusieurs années) pour saisir l’évolution des impacts observés. Ce travail contribuera à étoffer des connaissances étonnamment limitées sur la portée de l’aide juridique dans la lutte contre la pauvreté, et espérons-le, à encourager d’autres analyses sur le rôle des services judiciaires dans la réduction de la pauvreté.
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