Jamais au cours de ma carrière à la Banque mondiale je n’avais été confrontée à des témoignages aussi poignants. Moi qui croyais avoir tout entendu sur l’exclusion, la pauvreté et la vulnérabilité... j’ai découvert à Sidi Slimane, une localité du Nord-Ouest du Maroc, des récits totalement inédits sur les épreuves que la jeunesse du pays traverse.
Nous avions organisé une réunion avec de jeunes décrocheurs que cette absence de bagage éducatif marginalise. Nous voulions avoir leur avis sur les meilleurs moyens de les aider à échapper à l’exclusion économique dans laquelle ils sont plongés, dans le cadre des préparatifs pour un projet de la Banque mondiale en faveur de la jeunesse marocaine.
Le constat est alarmant : faute de structures éducatives et économiques capables de canaliser leur énergie, de les former et de leur impartir les connaissances indispensables pour se forger un avenir, ces jeunes gens passent totalement à côté de leur potentiel, surtout dans les régions les moins avancées.
« Je travaille à plein temps pour Facebook »
Voilà ce que m’a répondu Ahmed, 19 ans, quand je lui ai demandé s’il avait un emploi. Il m’a décrit ses journées : « Je me lève tard, ensuite je vais au café où je passe des heures à discuter avec mes copains et à embêter les filles dans la rue. »
Mais Ahmed aimerait bien qu’il en soit autrement. C’est pourquoi il a décidé de me raconter sa vie. Tout a commencé au primaire : comme la plupart de ses amis, il se réjouissait dès qu’il apprenait qu’un des enseignants serait absent pour plusieurs semaines voire plusieurs mois d’affilée (l’absentéisme des enseignants est un phénomène banal dans les établissements sans véritable contrôle ni gouvernance).
Ses deux parents, analphabètes, étaient trop occupés à nourrir leur famille pour surveiller les études des enfants. À son entrée dans le secondaire, Ahmed a vite compris que ce qu’il avait appris ne lui suffirait pas pour suivre les cours. Alors il a commencé à faire l’école buissonnière, préférant traîner avec ses copains et jouer au foot plutôt que de se sentir exclu d’un système éducatif qui ne prévoyait aucune place ni aucune aide pour les « cancres » comme il se décrit.
Avec son ami Karam, Ahmed m’a fait part d’un aspect encore plus inquiétant de leur détresse actuelle : beaucoup de jeunes marginalisés et non éduqués comme eux sont une proie facile pour les groupes salafistes qui, après les avoir embrigadés, leur fournissent un peu d’argent pour monter une petite affaire informelle. Les deux jeunes gens ont affirmé connaître des jeunes dans ce cas dans leur quartier. Certains de leurs anciens camarades de classe ont même fini comme « martyrs » en Syrie.
Faute d’initiatives concertées pour les prendre en charge, ces enfants exclus du système éducatif viendront grossir les rangs des groupes islamistes radicaux.
Formation et soutien
Hakam, le plus âgé des jeunes que nous avons rencontrés, a suivi des formations pour pas moins de trois métiers : électricien, entrepreneur dans le bâtiment et pose de câbles. « À quoi bon ? », s’interroge-t-il. Avec la fermeture de la raffinerie locale de sucre, dans les années 1990, et la transition vers des emplois non agricoles pour la plupart de la population, les habitants de Sidi Slimane n’avaient pas d’autre option que d’aller chercher du travail ailleurs. Mais pour la plupart, partir coûte trop cher.
Et c’est comme ça, estime Hakam, qu’une majorité de jeunes peu instruits se retrouvent piégés dans un système qui ne leur laisse aucun choix. C’est la porte ouverte au désenchantement. Face à la pénurie d’emplois locaux, souvent monopolisés par l’élite du cru, et sans soutien financier pour pouvoir créer une affaire, la plupart des jeunes sont condamnés à l’inactivité, au trafic de drogue et aux médias sociaux.
La situation n’est guère mieux pour les filles : Meriem, une stagiaire de 17 ans dans le secteur des technologies de l’information, raconte comment les mentalités locales et l’absence du strict nécessaire (comme la sécurité, notamment pour les femmes et surtout dans les transports publics) compliquent un peu plus l’insertion économique des filles.
Le projet de la Banque mondiale entend fournir aux jeunes gens peu éduqués l’aide dont ils ont besoin pour sortir de cette impasse. En cours d’élaboration, cette opération repose sur deux grands piliers : l’insertion économique, grâce à l’acquisition de savoirs comportementaux, une formation sur le terrain, un système de placement et un soutien à la création d’entreprise ; et l’insertion sociale, à travers des initiatives de développement communautaire à l’initiative des jeunes, le bénévolat, des activités sportives et culturelle à l’échelle de la communauté mais également un système d’accompagnement par les pairs.
Toutes ces activités reposent sur une coopération entre secteur public, société civile et secteur privé.
Pour concevoir ce projet, la Banque mondiale a organisé des consultations tous azimuts, des bailleurs de fonds aux ministères en passant par les organismes de formation et des acteurs du secteur privé et de la société civile.
Mais les voix venues du terrain, comme celles d’Ahmed, Hakam et Meriem, méritent d’être entendues elles aussi, haut et fort. Le Maroc doit de toute urgence aider ses jeunes à devenir les citoyens que nous souhaitons que nos enfants deviennent.
Nous avions organisé une réunion avec de jeunes décrocheurs que cette absence de bagage éducatif marginalise. Nous voulions avoir leur avis sur les meilleurs moyens de les aider à échapper à l’exclusion économique dans laquelle ils sont plongés, dans le cadre des préparatifs pour un projet de la Banque mondiale en faveur de la jeunesse marocaine.
Le constat est alarmant : faute de structures éducatives et économiques capables de canaliser leur énergie, de les former et de leur impartir les connaissances indispensables pour se forger un avenir, ces jeunes gens passent totalement à côté de leur potentiel, surtout dans les régions les moins avancées.
« Je travaille à plein temps pour Facebook »
Voilà ce que m’a répondu Ahmed, 19 ans, quand je lui ai demandé s’il avait un emploi. Il m’a décrit ses journées : « Je me lève tard, ensuite je vais au café où je passe des heures à discuter avec mes copains et à embêter les filles dans la rue. »
Mais Ahmed aimerait bien qu’il en soit autrement. C’est pourquoi il a décidé de me raconter sa vie. Tout a commencé au primaire : comme la plupart de ses amis, il se réjouissait dès qu’il apprenait qu’un des enseignants serait absent pour plusieurs semaines voire plusieurs mois d’affilée (l’absentéisme des enseignants est un phénomène banal dans les établissements sans véritable contrôle ni gouvernance).
Ses deux parents, analphabètes, étaient trop occupés à nourrir leur famille pour surveiller les études des enfants. À son entrée dans le secondaire, Ahmed a vite compris que ce qu’il avait appris ne lui suffirait pas pour suivre les cours. Alors il a commencé à faire l’école buissonnière, préférant traîner avec ses copains et jouer au foot plutôt que de se sentir exclu d’un système éducatif qui ne prévoyait aucune place ni aucune aide pour les « cancres » comme il se décrit.
Avec son ami Karam, Ahmed m’a fait part d’un aspect encore plus inquiétant de leur détresse actuelle : beaucoup de jeunes marginalisés et non éduqués comme eux sont une proie facile pour les groupes salafistes qui, après les avoir embrigadés, leur fournissent un peu d’argent pour monter une petite affaire informelle. Les deux jeunes gens ont affirmé connaître des jeunes dans ce cas dans leur quartier. Certains de leurs anciens camarades de classe ont même fini comme « martyrs » en Syrie.
Faute d’initiatives concertées pour les prendre en charge, ces enfants exclus du système éducatif viendront grossir les rangs des groupes islamistes radicaux.
Formation et soutien
Hakam, le plus âgé des jeunes que nous avons rencontrés, a suivi des formations pour pas moins de trois métiers : électricien, entrepreneur dans le bâtiment et pose de câbles. « À quoi bon ? », s’interroge-t-il. Avec la fermeture de la raffinerie locale de sucre, dans les années 1990, et la transition vers des emplois non agricoles pour la plupart de la population, les habitants de Sidi Slimane n’avaient pas d’autre option que d’aller chercher du travail ailleurs. Mais pour la plupart, partir coûte trop cher.
Et c’est comme ça, estime Hakam, qu’une majorité de jeunes peu instruits se retrouvent piégés dans un système qui ne leur laisse aucun choix. C’est la porte ouverte au désenchantement. Face à la pénurie d’emplois locaux, souvent monopolisés par l’élite du cru, et sans soutien financier pour pouvoir créer une affaire, la plupart des jeunes sont condamnés à l’inactivité, au trafic de drogue et aux médias sociaux.
La situation n’est guère mieux pour les filles : Meriem, une stagiaire de 17 ans dans le secteur des technologies de l’information, raconte comment les mentalités locales et l’absence du strict nécessaire (comme la sécurité, notamment pour les femmes et surtout dans les transports publics) compliquent un peu plus l’insertion économique des filles.
Le projet de la Banque mondiale entend fournir aux jeunes gens peu éduqués l’aide dont ils ont besoin pour sortir de cette impasse. En cours d’élaboration, cette opération repose sur deux grands piliers : l’insertion économique, grâce à l’acquisition de savoirs comportementaux, une formation sur le terrain, un système de placement et un soutien à la création d’entreprise ; et l’insertion sociale, à travers des initiatives de développement communautaire à l’initiative des jeunes, le bénévolat, des activités sportives et culturelle à l’échelle de la communauté mais également un système d’accompagnement par les pairs.
Toutes ces activités reposent sur une coopération entre secteur public, société civile et secteur privé.
Pour concevoir ce projet, la Banque mondiale a organisé des consultations tous azimuts, des bailleurs de fonds aux ministères en passant par les organismes de formation et des acteurs du secteur privé et de la société civile.
Mais les voix venues du terrain, comme celles d’Ahmed, Hakam et Meriem, méritent d’être entendues elles aussi, haut et fort. Le Maroc doit de toute urgence aider ses jeunes à devenir les citoyens que nous souhaitons que nos enfants deviennent.
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