Publié sur Voix Arabes

« Enseigner au bon niveau » : une approche pédagogique prometteuse pour le Liban

« Enseigner au bon niveau » : une approche pédagogique prometteuse pour le Liban Une élève étudie à la maison, en prenant des notes devant un ordinateur portable. (Shutterstock.com/Prostock-studio)

Comment apprendre à résoudre une équation alors que l’on a encore du mal avec les additions ? Ou lire un texte alors que l’on ne maîtrise même pas l’alphabet ? C’est pourtant la réalité à laquelle sont confrontés beaucoup d’élèves au Liban, un pays où les performances scolaires étaient déjà particulièrement faibles avant même qu'il ne plonge dans une crise économique et financière en 2019. Le Liban figurait au bas du classement (a) de l’enquête PISA 2018, avec environ deux tiers des élèves de 15 ans des écoles publiques et privées ne maîtrisant pas les compétences de base en mathématiques, en lecture et en sciences.

Depuis lors, le Liban a été confronté à une conjonction de crises — la pandémie de COVID-19, l’explosion du port de Beyrouth, l’instabilité politique et les conflits — qui ont gravement perturbé la scolarité au cours des cinq dernières années. Les chiffres tirés d’évaluations réelles des acquis des élèves (a) et de simulations font état de pertes d’apprentissage considérables, qui se traduiront par des pertes de revenus futures (a) tout au long de l’âge adulte et qui par conséquent affecteront l’économie libanaise pour les décennies à venir.

Les répercussions du conflit récent sont de très grande ampleur. Selon les estimations du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MEHE), plus de 550 000 élèves et 45 000 enseignants ont été directement touchés par ce conflit. Plus de 1 000 centres d’accueil ont été ouverts à travers le pays, dont plus de 60 % dans des écoles, des établissements d’enseignement professionnel et des bâtiments universitaires. Même après la fin du conflit, il faudra du temps pour un retour à la normale et la reprise des enseignements en présentiel dans les écoles du secteur public, qui accueillent les enfants les plus vulnérables du Liban.

À l’heure où le MEHE et ses partenaires s’efforcent de développer et mettre en œuvre une réponse aux défis du système éducatif libanais, il est nécessaire de se tourner vers des méthodes éprouvées et d’un bon rapport coût-efficacité qui donnent la priorité aux apprentissages fondamentaux. Il existe en la matière une solution qui coche toutes les cases (a) : c’est l’approche TaRL (a), pour Teaching at the Right Level. Elle consiste à « enseigner au bon niveau », c’est-à-dire adapter les enseignements au niveau réel des élèves et non pas à leur âge ou année scolaire.

Une expérimentation récente a permis de tester l’approche TaRL dans les écoles publiques libanaises (a). Ce projet pilote, qui a concerné 3 686 élèves de troisième et quatrième années, a démontré toute la pertinence et les promesses de cette méthode dans la situation actuelle du pays. Voici ses principaux résultats :

1. Le projet expérimental a donné lieu à une réduction significative de la proportion d’élèves se situant aux niveaux 0 et 1 (débutant) en arabe, en mathématiques et en langue étrangère (anglais ou français). Concrètement, environ 41 % des élèves des écoles « pilotes » ne savaient pas lire des mots en arabe au début de l’expérimentation. Ils n’étaient plus que 9 % à la fin, soit une diminution de 31 points de pourcentage, contre une amélioration de 13 points seulement dans les écoles du groupe témoin. On observe des évolutions analogues pour les mathématiques et les langues étrangères, où la baisse de la proportion d’élèves se situant aux niveaux 0 et 1 est beaucoup plus marquée dans les écoles du groupe expérimental.

2. Parallèlement, le nombre d’élèves maîtrisant les compétences de base en lecture, écriture et calcul (représentés par les niveaux 4 et 5 dans les graphiques ci-dessous) a considérablement augmenté dans les écoles où le programme a été mis en œuvre. La proportion d’élèves capables de lire et comprendre des textes en arabe est passée de 12 % à 42 % dans les écoles pilotes, soit une augmentation de 30 points de pourcentage, contre une progression de 5 points seulement dans les écoles du groupe témoin. Là encore, on observe des tendances similaires en ce qui concerne les mathématiques et les langues étrangères, avec une proportion d'élèves maîtrisant les compétences fondamentales dans ces matières plus élevée dans les écoles du groupe expérimental que dans celles du groupe témoin.

 

 

Figure 1.a. Évolution des acquis des élèves en arabe

Figure 1.a. Évolution des acquis des élèves en arabe

Figure 1.b. Évolution des acquis des élèves en langue étrangèr

Figure 1.b. Évolution des acquis des élèves en langue étrangère

 

Figure 1.c. Évolution des acquis des élèves en mathématiques

Figure 1.c. Évolution des acquis des élèves en mathématiques


3. La nouvelle approche a suscité des réactions favorables quasi unanimes au sein de la communauté scolaire. Les élèves ont déclaré avoir davantage confiance en leurs capacités et apprécier les activités d’apprentissage interactives. Les enseignants se sont quant à eux sentis mieux outillés pour évaluer et soutenir les élèves avec des niveaux hétérogènes, tandis que les directeurs d’établissement ont constaté des changements positifs tant dans les résultats scolaires que dans l’environnement de la classe. Et, fait important, le programme intégrait des activités d’apprentissage socio-affectif dans toutes les matières, apportant ainsi un soutien psychologique crucial à des élèves touchés par les crises en cours.

La réussite de cette expérience laisse à penser que la méthode TaRL pourrait constituer un instrument précieux face aux défis que doit relever le secteur éducatif au Liban. Cette démarche va en effet à la rencontre des élèves en tenant compte du niveau et des avancées du parcours d’apprentissage de chacun — un aspect particulièrement essentiel après plusieurs années de scolarité perturbée. Elle met en outre l’accent sur les compétences fondamentales à un moment où, en raison d’une année scolaire réduite, les écoles doivent précisément donner la priorité aux besoins d’apprentissage les plus critiques. Enfin, cette approche nécessite peu d’équipements et de matériels, et elle peut être mise en œuvre selon différentes modalités (a) : dans le cadre des heures normales de classe, de cours de rattrapage, de programmes d’éducation non formelle ou de stages d’été.

Le succès de ce programme pilote au Liban est non seulement porteur d’espoir pour l’avenir du pays, mais il peut aussi servir d’exemple pour d’autres pays du monde où les systèmes éducatifs ont subi de multiples crises. Les résultats montrent qu’avec une démarche et un soutien appropriés, les enseignants et les élèves peuvent accomplir des progrès significatifs, même dans les circonstances les plus difficiles. Le secteur éducatif libanais a besoin de solutions comme la méthode TaRL pour non seulement surmonter les crises, mais aussi en sortir plus fort.

Ce projet pilote, mené en collaboration entre la Banque mondiale et Save the Children International, a été financé par le Fonds fiduciaire pour les déplacements forcés dans le cadre du programme de partenariat PROSPECTS, avec le soutien du Royaume des Pays-Bas. Nous remercions tout particulièrement le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MEHE) et le Centre de recherche et de développement pédagogiques (CERD) du Liban pour leur appui et leur engagement, ainsi que l’ensemble des écoles, des directeurs, des enseignants, des élèves et des parents pour leur participation à ce projet pilote.


Adelle Pushparatnam

Spécialiste senior de l'éducation

Fatine Guedira

Spécialiste en éducation (Programme des jeunes professionnels du Groupe de la Banque mondiale)

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