Publié sur Voix Arabes

Gouvernance, emploi et secteur public au Moyen-Orient et en Afrique du Nord

Ce blog a été co-rédigé par Lida Bteddini et Guenter Heidenhof

Photo : Arne Hoel/World Bank 2011Les événements qui se sont produits récemment dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA) soulignent combien il est urgent de procurer des emplois et d’instaurer un environnement favorable pour une main-d’œuvre jeune, mieux instruite et plus qualifiée qu’autrefois. La crise économique internationale a encore aggravé le problème dans une région qui se caractérise par le plus fort taux de chômage des jeunes et le plus faible taux d’emploi des femmes au monde. Ces problèmes se conjuguent à la faible valeur ajoutée des emplois disponibles et à un secteur public qui procure, dans la plupart des pays, l’essentiel des emplois formels. Quasiment tous les pays de la région MENA ont fait de la résolution de ces problèmes une priorité absolue. Dans de nombreux pays de la région, le secteur public reste le premier employeur (14 à 40 % de l’ensemble de la population active)[1]. De nombreuses institutions publiques sont en sureffectif et les fonctionnaires reçoivent souvent une rémunération plus élevée que les travailleurs du secteur privé (voir tableau). Dans la région MENA, les salaires de la fonction publique représentent 9,8 % du PIB, taux le plus élevé au monde. Dans le même temps, nous savons que le principal moteur de la création d’emplois est la croissance tirée par le secteur privé. Et nous savons également qu’un niveau élevé d’emplois publics n’incite pas les investissements dans le secteur privé.

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Pourquoi l’emploi dans le secteur public est-il si attrayant dans la région MENA ?

C’est le premier choix des demandeurs d’emploi de cette région, en particulier des femmes et des jeunes. Dans une enquête de 2009, 80 % des diplômés syriens déclaraient privilégier l’emploi dans le secteur public, et près de 60 % n’étaient prêts à accepter aucun autre emploi[2]. Les raisons de l’attrait du secteur public sont assez évidentes : ce secteur présente des atouts certains (salaires généreux et avantages sociaux). En outre, le risque de licenciement y est très faible et la sécurité de l’emploi élevée, et, souvent, le niveau de productivité demandé est relativement faible. Dans le même temps, le nombre d’emplois dans le secteur privé formel est limité en comparaison avec celui de pays affichant un niveau de développement économique analogue. La plupart des emplois dans le secteur privé se situent donc dans l’économie informelle et ils ne sont pas jugés attractifs pour diverses raisons, notamment la faiblesse des rémunérations et des incitations.

De surcroît, nombre de nouveaux arrivants sur le marché du travail ne disposent pas des qualifications requises. Alors que la main-d’œuvre est globalement mieux instruite et plus qualifiée qu’autrefois, le marché du travail n’a pas constitué des capacités suffisantes pour absorber ces nouveaux arrivants. Le secteur privé ne progresse pas assez vite pour répondre aux besoins des nombreuses personnes en quête d’un premier emploi. Un nombre significatif d’individus sont volontairement au chômage, car ils ne veulent pas accepter un emploi moins qualifié ni un emploi au salaire en vigueur. Dans toute la région, les emplois publics sont considérés comme plus respectables et plus sûrs, et ils offrent également davantage d’« opportunités » que les emplois dans le secteur privé. Ainsi, le cumul d’emplois est un problème dans toute la région. Selon des estimations récentes, en Égypte, par exemple, un quart du personnel des centres de santé publics est absent en moyenne chaque jour car il a un autre emploi[3].

Bien que le Moyen-Orient ait connu une grande vague de privatisations au cours des deux dernières décennies, de nombreux secteurs économiques essentiels restent sous le contrôle direct de l’État ou, plus souvent, de l’élite sociale. Le secteur privé demeure soumis à de nombreuses contraintes et distorsions, en particulier les activités informelles, qui sont souvent victimes de tracasseries non négligeables de la part du secteur public et de son ingérence.

Un rééquilibrage nécessaire

Face à une administration pléthorique et souvent inefficiente et à une masse salariale excessive, les stratégies traditionnelles qui consistent à utiliser l’emploi dans le secteur public comme un moyen d’absorber une demande de main-d’œuvre surabondante ont atteint leurs limites. Il est donc essentiel de soutenir de façon efficace et résolue le rôle du secteur privé comme principal moteur de la création d’emplois à venir. Le « rééquilibrage » de l’emploi entre secteur public et secteur privé nécessitera des changements majeurs, y compris dans le secteur public. En effet, l’un des points essentiels sur lesquels il faut se concentrer est le système de l’emploi dans le secteur public car il est l’objet d’incitations lourdes et est devenu un obstacle à la croissance économique. De nombreux experts avancent qu’à long terme, les coûts associés à une forte concentration d’emplois publics freineront la croissance de la productivité totale des facteurs, ce qui pèsera sur les efforts de réduction de la pauvreté. On en trouve un bon exemple chez les jeunes qui ont fait des études et qui continuent d’attendre des postes « confortables » dans le secteur public plutôt que de s’exposer aux mécanismes d’offre et de demande du marché.

Davantage de concurrence, plus d’emplois de qualité

Le dernier rapport phare publié par la Banque mondiale, Free To Prosper, Jobs in the Middle East and North Africa, (bientôt en ligne)met en lumière de nombreux obstacles à la création d’emplois dans la région. Il souligne également le rôle destructeur des barrières à l’entrée des entreprises en l’absence d’une concurrence saine dans de nombreux pays. Certains de ces problèmes sont dus aux politiques publiques elles-mêmes, d’autres à l’application discriminatoire de ces politiques. Tout en évitant les solutions toutes faites, ce rapport de la Banque mondiale met en avant un certain nombre de mesures qui seront essentielles à une croissance rapide et durable du secteur privé dans la région. Pour relever le défi de l’emploi, celle-ci devra se concentrer sur la quantité et la qualité des emplois nouvellement créés. La région MENA a besoin d’un effort soutenu pour avancer en direction d’une croissance économique durable tirée par le secteur privé. Elle aura également besoin de stratégies spécifiques sur le long terme et de dirigeants volontaires pour les mettre en œuvre. Avec des incitations appropriées et une gouvernance efficace, les investissements publics permettront d’attirer les investissements privés, car ils fourniront la puissance énergétique, les routes, la logistique et les liaisons de communication qui sont nécessaires au bon fonctionnement des entreprises.

Malheureusement, la région se caractérise largement par la faiblesse de ses systèmes de gouvernance, qui ont abouti au résultat contraire : ils ont évincé les investissements privés en consommant les ressources qu’aurait pu utiliser le secteur privé. En effet, la faiblesse de la gouvernance a conduit à l’utilisation inefficiente des ressources publiques, consacrées à des actifs improductifs qui ne servent que certains groupes d’intérêts de petite taille. Tous les pays de la région devront renforcer leurs cadres de gouvernance et réduire les opportunités de recherche de rente monopolistique afin d’encourager davantage de concurrence. Les pouvoirs publics devront également améliorer la transparence et bâtir le type d’institutions qui permettront à une économie de marché de prospérer, tout en mobilisant l’ensemble des acteurs concernés autour d’une stratégie de croissance à long terme.

Cet article appartient à une série de billets hebdomadaires qui visent à alimenter votre réflexion sur les questions essentielles soulevées dans notre rapport phare sur l’emploi dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA). Dans la perspective des prochaines Assemblées annuelles de la Banque mondiale qui se tiendront en octobre, le fil rouge et l’ambition de ces billets sont de nourrir une discussion qui réponde à la question « Que souhaiteriez-vous dire à votre ministre des Finances ? ».

Les points clés du rapport et le bilan d'un chat en ligne sur l’emploi seront présentés aux décideurs politiques de la région MENA. Nous voulons savoir ce que VOUS pensez : à quelles entraves la population se heurte-t-elle ? Que faire pour créer des emplois en plus grand nombre et de meilleure qualité dans la région MENA ? Nous comptons sur vous pour nous faire part de votre opinion et vous donnons rendez-vous pour un chat en ligne sur l'emploi, le 17 septembre en anglais et en arabe et le 26 septembre en français.

Lire les autres billets :
Vous avez un message à faire passer à votre ministre des Finances ? Parlons-en ici !
Travailler, un privilège au Moyen-Orient et en Afrique du Nord ?
Pourquoi autant de chômage au Moyen-Orient et en Afrique du Nord ?
Répondre aux critères d’employabilité suffit-il à décrocher un emploi dans le monde arabe ?


[1] Rapport phare de la Banque mondiale, Free To Prosper, Jobs in the Middle East and North Africa, Banque mondiale, 2012.

[2] Dhillon, Navtej et Tarik Yousef (sous la direction de), Generation in Waiting: The Unfulfilled Promise of Young People in the Middle East, Brookings Institution Press, 2009.

[3] Grun, R., L. Etter et I. Jillson. Arab Republic of Egypt: Management and Service Quality in Primary Health Care Facilities in the Alexandria and Menoufia Governorates. Document interne. Banque mondiale, Washington, DC, 2010.


Auteurs

Lida Bteddini

Analyste-recherchiste en gouvernance

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