Publié sur Voix Arabes

En quoi l’inflation alimentaire affectera les enfants de la région MENA ?

Farm fields in Egypt Farm fields in Egypt

L’inflation galopante aura marqué l’année 2022, entravant le développement de pays avancés et émergents. En témoigne la hausse des prix des denrées alimentaires, exacerbant l’insécurité alimentaire dans la Région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA). Selon le dernier bulletin économique de la région MENA, des pics d’inflation alimentaire, même temporaires, peuvent peser à long terme sur le développement et les perspectives économiques des nouveau nés et des plus jeunes. 

C’est une évidence : l’insécurité alimentaire est un enjeu à la fois humanitaire et économique, bridant la prospérité de la jeunesse de demain et interdisant la région d’exploiter pleinement son potentiel économique. En d’autres termes, même si l’inflation alimentaire de 2022 s’est révélée de courte durée, la destinée des enfants n’en a pas moins été modifiée.  

L’inflation frappe les populations défavorisées beaucoup plus durement que les plus riches en raison de la part disproportionnée des dépenses familiales consacrée à l’alimentation. Entre mars et décembre 2022, l’inflation alimentaire moyenne en glissement annuel est ressortie à 29 % dans la région MENA, un chiffre bien supérieur à l’inflation globale qui a progressé à 19,4 %. En 2022, elle a atteint un taux à deux chiffres dans la plupart des pays en développement de la région MENA. En décembre 2022, les ménages les plus modestes ont subi, en moyenne, une inflation supérieure d’environ deux points de pourcentage à celle des ménages aisés des pays en développement de la région MENA. Cette tendance se vérifie pour chacun des pays en développement de la région MENA.

Selon des données toujours plus nombreuses, des chocs défavorables peuvent se répercuter sur plusieurs générations, rapportés à la concrétisation d’objectifs de développement fixés entre autres pour l’éducation, la santé et les revenus. En raison de la jeunesse de la région MENA (par rapport à d’autres territoires, exception faite de l’Afrique subsaharienne), certaines estimations laissent penser qu’une grave insécurité alimentaire toucherait environ huit millions d’enfants de moins de cinq ans en 2023. D’après le rapport, les facteurs de risque de retard de croissance pourraient s’être aggravés de 17 à 24 %, en raison du renchérissement des denrées alimentaires, lié à l’agression russe en Ukraine. Dans les pays en développement de la région MENA, 200 000 à 285 000 bébés pourraient ainsi connaître un retard de croissance, ce qui se traduirait par une scolarité réduite de trois semaines à un mois et des notes en recul de 0,5 à 0,8 %. D’après certaines études soumises à évaluation par des pairs, cette incidence pourrait se prolonger à l’âge adulte, entraînant une baisse de la productivité, et affecter les enfants de ces populations.

Malheureusement, la santé et la nutrition des enfants étaient déjà inadaptées avant la pandémie de COVID 19. Dans de nombreux pays de la région, les taux de retard de croissance (qui mesurent l’impact cumulé des carences sanitaires d’un enfant depuis le stade prénatal jusqu’à ses cinq ans) dépassent largement ceux de pays comparables sur le plan du revenu. Par ailleurs, dans beaucoup de pays de la région MENA, l’écart entre les taux de retard de croissance des ménages les plus aisés et les plus défavorisés est traditionnellement important (figure 1). En termes diététiques, le régime alimentaire destiné aux enfants est restreint. En outre, la généralisation des subventions peut avoir dénaturé les dépenses alimentaires des ménages en les orientant vers des produits moins nutritifs. Cela se traduit par une double pénalisation : l’obésité et la dénutrition chez les enfants s’observent en parallèle dans de nombreux pays de la région.

La plupart des données sur la santé et la nutrition des enfants dans la région MENA n’en sont pas moins obsolètes. Depuis 2015, seuls 11 des 19 pays de la région ont mené les enquêtes auprès des ménages qu’il faut, ce qui laisse entendre que les responsables politiques naviguent à vue en matière de santé de l’enfant et que les analystes doivent se replier sur de maigres ressources pour estimer en temps réel l’incidence de l’insécurité alimentaire. 

 

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Figure 1 montre la prévalence du retard de croissance par quintile de richesse dans la région MENA.
Sources : Base de données ‘Estimations conjointes de la malnutrition’ (Joint Malnutrition Estimates) des enquêtes nationales validées par l’UNICEF, l’Organisation mondiale de la santé et la Banque mondiale, mai 2022, et Indicateurs du développement dans l

 

Sur la base d’estimations tirées de modèles d’apprentissage automatique, le bulletin avance qu’en 2023 l’insécurité alimentaire pourrait toucher près d’une personne sur cinq dans la région MENA, contre 11,8 % en 2006, notamment en raison de la Syrie et du Yémen. La figure 2 montre que les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure et à faible revenu de la région cumulent des taux de prévalence de l’insécurité alimentaire plus élevés que des pays à revenu équivalent. L’inflation constitue un facteur décisif : dans les quatre sous-groupes de la région MENA (pays en développement importateurs de pétrole, pays en développement exportateurs de pétrole, pays en conflit et CCG), la part de l’inflation dans l’insécurité alimentaire prévue en 2023 ressort entre 24 à 33 %. 

 

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Figure 2 : L'éclairage nocturne issu des sites de production d'hydrocarbures représente de manière fiable le PIB des hydrocarbures de l'Algérie.
Source : Andree, B.P.J. (2022).

 

L’enjeu autour de l’insécurité alimentaire est considérable. Selon les estimations du bulletin, la projection des besoins en financement en faveur du développement pour les personnes exposées à une insécurité alimentaire grave dans la région MENA se chiffre annuellement à plusieurs milliards de dollars. Il est judicieux d’investir dans la résilience et de lutter contre l’insécurité alimentaire chronique avant qu’elle ne dégénère en crise généralisée. Certains leviers politiques peuvent contribuer à atténuer l’insécurité alimentaire : en instaurant sans délai les transferts en espèces et en nature bien ciblés, on pourrait endiguer les situations d’insécurité alimentaire aiguë. D’autres solutions peuvent demander plus de temps, comme les politiques visant à améliorer les congés de maternité, la garde des enfants, les soins médicaux et les systèmes alimentaires. Le rapport constate avant tout les lacunes des systèmes d’acquisition des données de la région pour mesurer et suivre la menace croissante que constitue l’insécurité alimentaire. C’est maintenant qu’il faut agir. Nous ne pouvons pas nous permettre d’hypothéquer les générations futures de la région MENA.


Auteurs

Roberta Gatti

Chief Economist, Middle East and North Africa, World Bank Group

Daniel Lederman

Deputy Chief Economist, la division Croissance équitable, finance et institutions

Federico Bennett

Économiste, Bureau de l’économiste en chef de la Banque mondiale pour la Région Moyen Orient et Afrique du Nord

Hoda Assem

Économiste, Bureau de l’économiste en chef de la Banque mondiale pour la Région Moyen Orient et Afrique du Nord

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