La pandémie de COVID-19 (coronavirus), qui balaie le monde entier depuis plusieurs semaines, n’a pas épargné les pays du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA). Soucieux de freiner la circulation du virus, les gouvernements de la région ont décidé, début mars, de restreindre les déplacements et de fermer les écoles. Aujourd’hui, les établissements éducatifs restent vides et plus de 100 millions d’élèves ne fréquentent plus leurs salles de classe.
Selon de premières modélisations, la baisse des résultats d’apprentissage devrait s’apparenter à l’érosion observée au retour des vacances d’été, quand un tiers des acquis ont disparu (a). Dans une région qui peut s’enorgueillir d’avoir la meilleure mobilité intergénérationnelle de l’éducation au monde, la scolarité est une affaire sérieuse, reposant sur l’accumulation de connaissances en vue d’examens à enjeux élevés, qui détermineront la trajectoire de chacun.
Pour atténuer l’impact des fermetures des établissements scolaires dans la région, l’apprentissage a opéré une conversion, optant pour les solutions en ligne quand la connectivité le permet ou s’appuyant sur la télévision, la radio et les supports papier là où l’accès à internet est limité. L’Égypte, la Jordanie, le Liban et le Maroc notamment sont aux avant-postes, qui font appel à des approches multimodales et créent en un temps record des partenariats novateurs pour maintenir l’apprentissage dans ce nouvel environnement.
Le processus est loin d’être simple et la transition ne se fait pas sans à-coups : les infrastructures de télécommunications dans la région sont inégalement réparties ; de nombreux ménages ne sont toujours pas équipés d’ordinateurs, de tablettes ou smartphones qui permettraient la poursuite des études ; les enseignants n’ont eu que peu ou pas de temps pour se familiariser avec ces nouveaux outils et sont en train de créer des programmes et de structurer les cours à distance, sachant qu’ils trouvent ce mode de communication et d’évaluation plutôt inconfortable ; et les parents se retrouvent enrôlés du jour au lendemain comme professeurs particuliers, confrontés à un environnement que beaucoup d’entre eux connaissent mal.
Mais au-delà de toutes ces difficultés, ces initiatives pourraient bien améliorer la flexibilité de l’offre éducative dans les pays de la région MENA. Voici quelques exemples de cette évolution :
- des innovations locales rejoignent les outils conventionnels : les technologies de l’éducation (edtech), habituellement jugées complémentaires à l’enseignement, sont en plein essor. Des applications mobiles, comme Rawy Kids en Égypte, Kitabi Book Reader au Liban ou encore Sho’lah et Loujee — les jouets « intelligents » des pays arabes conçus pour un apprentissage par le jeu (Arab News 2016) — s’imposent comme autant de solutions intéressantes pour exposer les élèves à différentes formes d’apprentissage.
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la collaboration gagne du terrain : depuis plusieurs semaines, ministères, prestataires de services, entreprises privées et pays collaborent pour démultiplier l’offre d’un bien commun. En Jordanie, le portail sur l’éducation Darsak est le fruit d’un partenariat entre le ministère de l’éducation, le ministère de l’économie numérique et de l’entrepreneuriat et une entreprise privée, Mawdoo3. Son contenu, qui propose des cours en lien direct avec le programme scolaire du pays, a été compilé en faisant appel à de nombreux organismes en charge de l’éducation, dont Edraak, Jo Academy et Abwab. Résultat, les élèves de tous les niveaux peuvent suivre un programme hebdomadaire sur cette plateforme unique.
Dans un esprit de solidarité internationale, l’Égypte autorise les usagers de pays voisins à se connecter à la base de données officielle du gouvernement (via study.ekb), qui rassemble notamment des cours pour les enseignants, les chercheurs et les élèves depuis l’école maternelle jusqu’à la 12e année. En Égypte comme au Maroc, les autorités ont conclu un partenariat avec les opérateurs de télécommunication pour permettre à tous les élèves de se connecter gratuitement à leurs plateformes éducatives.
Au Liban, la Beirut Digital District Academy s’est rapprochée du projet de la Banque mondiale Skilling Up Mashreq et de Code.org pour proposer aux élèves de six à 18 ans des cours gratuits de codage en anglais, en arabe et en français.
- de nouveaux modes d’accompagnement, d’enseignement et d’apprentissage témoignent de leur potentiel pour réduire le fossé des inégalités : au Liban, le ministère de l’éducation et de l’enseignement supérieur forme les enseignants à l’utilisation de Microsoft Teams pour assurer des cours à distance, recevoir et partager des informations et proposer leur soutien aux élèves. Cet accompagnement, qui se fait habituellement en présentiel, passe au virtuel pour permettre aux enseignants dans des régions difficiles d’accès de bénéficier d’un service de même qualité que leurs homologues des zones métropolitaines plus accessibles.
- dans le monde virtuel, l’apprentissage par la pratique atteint de nouvelles frontières : faute de soutien pédagogique régulier en temps réel, les élèves recourent de plus en plus à de multiples sources pour comprendre les nouveaux concepts et sollicitent leurs enseignants plutôt comme des conseilleurs. Fondamentalement, est en train d’émerger cette capacité à faire preuve de pensée critique face à l’apprentissage, qui a tant tardé à se manifester dans les pays de la région MENA — un nouveau cadre pour l’éducation conçu pour inculquer les compétences adaptées au 21e siècle et donner aux élèves les clés d’un apprentissage tout au long de la vie afin de garantir leur compétitivité dans les économies de demain.
Personne ne peut encore prédire comment se passera le déconfinement et à quelle date les écoles pourront de nouveau accueillir leurs élèves en toute sécurité, mais ces évolutions semblent indiquer que l’offre d’éducation pourrait opérer sa « révolution copernicienne » (a)... Une perspective extrêmement bienvenue dans la région MENA.
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