Le faible nombre des comptes bancaires ouverts dans la région MENA est peut-être en partie imputable à un accès inégal aux services et instruments financiers compatibles avec la charia, la loi islamique. Dix-huit pour cent seulement des adultes (soit les plus de 15 ans) détiennent des comptes dans des institutions financières formelles et ce taux est le plus faible du monde (graphique 1). Les preuves ne manquent pas qui permettent de penser que, si les choses sont bien faites, l’élargissement de l’accès aux différents services financiers et l’utilisation accrue de ceux-ci pourraient aider à réduire la pauvreté et son degré de gravité (Burgess et Pande 2005et Beck, Demirgüç-Kunt et Levine 2007, entre autres, fournissent de nombreux exemples). Sans accès aux services financiers, beaucoup d’habitants de la région MENA vivant dans la pauvreté en resteront prisonniers et n’auront guère la possibilité d’y échapper à horizon prévisible.
Source : Base de données sur l’inclusion financière dans le monde (Global Findex)
Ici, le principal problème est que de nombreux foyers musulmans sont susceptibles de s’exclure volontairement des marchés financiers formels en raison de leurs convictions religieuses — et cela vaut aussi pour beaucoup de micro, petites et moyennes entreprises. Il existe en effet dans le système juridique islamique des directives qui régissent les transactions financières des croyants musulmans. L’un de ces principes est l’interdiction des prêts porteurs d’intérêts et d’un certain nombre d’autres services financiers prédéfinis. Un autre précepte important concerne le « partage des profits et des pertes » qui impose aux fournisseurs de services financiers de partager les profits (ainsi que les pertes) des activités commerciales auxquelles ils fournissent leurs services. Dans la majorité des cas, les services financiers traditionnels ne satisfont pas à ces deux obligations majeures et ne sont ainsi pas adaptés aux personnes et aux entreprises d’obédience musulmane ayant des besoins de financement dans la région MENA et dans d’autres parties du monde. Alors qu’environ 4 % des personnes interrogées ne détenant pas de compte bancaire formel dans des pays hors MENA évoquent des motifs religieux pour justifier cette absence, ce chiffre s’établit à environ 12 % dans la région MENA (tableau 1).
Tableau 1. Pays de la région MENA comparés au reste du monde
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Tous (%) |
Région MENA (%) |
Reste du monde (%) |
---|---|---|---|
Personnes détenant un compte dans une institution financière officielle* |
50 |
18 |
51 |
Personnes ne détenant pas de compte pour les raisons suivantes… |
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|
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motifs religieux* |
5 |
12 |
4 |
distance* |
20 |
8 |
21 |
coût trop élevé de la détention d’un compte* |
25 |
21 |
26 |
manque de documentation* |
18 |
10 |
19 |
manque de confiance* |
13 |
10 |
14 |
manque d’argent* |
65 |
77 |
64 |
un membre de la famille détient déjà un compte* |
23 |
9 |
24 |
Source : Calculs basés sur la Base de données sur l’inclusion financière dans le monde (Global Findex).
*Avec un niveau inférieur à 1 %, la différence des moyennes (test-t) entre les pays de la région MENA et les pays hors région MENA est significative.
Les pays de la région MENA affichent toutefois d’importantes disparités en termes d’exclusion financière pour des raisons liées à la religion. Par exemple, si 27 % des adultes en Tunisie et au Maroc citent un motif religieux pour justifier qu’ils ne détiennent pas de compte dans un établissement financier formel, 3 % seulement des adultes interrogés au Koweït et dans les Émirats arabes unis invoquent ce même motif (tableau 2). Mais, là encore, il est dans une certaine mesure possible d’expliquer cet écart par le degré de présence des institutions financières islamiques dans un pays donné. Ces institutions financières sont en effet pratiquement absentes en Tunisie et au Maroc, mais sont en revanche très largement implantées dans beaucoup de pays du golfe Persique où elles fournissent de nombreuses solutions financières respectueuses des préceptes de la charia aux populations pratiquantes de ces pays (tableau 2).
Les instruments de microfinance islamique (tels que le Qard-Hassan et la Murabaha) pourraient constituer des outils particulièrement attractifs pour atteindre et fournir des crédits vitaux aux habitants pauvres de la région, ces derniers représentant environ 17 %de la population totale des différents pays de la région MENA. Des enquêtes mondiales conduites en 2007 et 2012 par le Groupe consultatif d’aide aux populations les plus pauvres (CGAP) fournissent des premiers éléments d’information concernant le secteur de la microfinance islamique et son essor rapide. L’enquête de 2007 avait permis d’estimer que moins de 130 institutions de microfinance islamique fournissaient des services à 500 000 clients (CGAP 2008). En l’espace de cinq ans, ces chiffres ont plus que doublé et l’on dénombrait 256 institutions de microfinance islamique et 1,3 million de clients actifs en 2012 (CGAP 2013).
Outre l’enjeu stratégique que constitue l’inclusion financière des segments pauvres de la population, la tendance laisse présager un développement encore plus important de ce secteur et son rôle à venir considérable pour la région dans son ensemble. D’après les données 2011 de la base Global Findex, plus de 19 millions d’adultes de la région MENA se sont tenus à l’écart des institutions financières formelles pour des motifs liés à la religion. L’existence de cette population relativement importante qui a choisi de ne pas utiliser les services financiers actuellement disponibles offre aux institutions financières islamiques la possibilité de développer massivement leurs activités. Il existe cependant plusieurs obstacles qui freinent le développement du secteur. Parmi eux, le plus important concerne le manque de transparence et l’absence d’un processus normalisé et globalement reconnu pour évaluer la conformité des institutions financières aux préceptes de la charia. Il est ainsi difficile pour de nombreuses personnes de faire la distinction entre les institutions financières qui exercent leurs activités dans un respect authentique des stipulations de la loi islamique et celles qui ne le font pas. L’une des autres grandes difficultés tient au manque d’informations et de formations disponibles sur la finance islamique. Par exemple, environ 48 % seulement des adultes ont entendu parler des banques islamiques en Algérie, en Égypte, au Maroc, en Tunisie et au Yémen (Demirguc-Kunt, Klapper et Randall 2013). Enfin, et notamment en raison de ces lacunes, il est fréquent que les produits financiers islamiques soient plus chers que leurs homologues traditionnels, ce qui réduit leur compétitivité pour les musulmans fidèles en dépit du fait qu’ils respectent clairement les principes religieux.
La Banque mondiale est bien positionnée pour lancer et conduire des initiatives destinées à lutter contre ces obstacles qui, parmi de nombreuses autres difficultés, entravent le développement et l’efficacité du secteur bancaire et financier islamique. En signant un protocole d’accord avec la Banque islamique de développement et le Centre international pour l’éducation à la finance islamique (INCEIF), la Banque a établi des relations formelles avec deux des premières institutions mondiales spécialisées dans ce secteur. Cela vient compléter une collaboration croissante avec diverses banques centrales et bourses des valeurs des pays du golfe Persique, de Turquie et de Malaisie. La Banque pourra intervenir en tant que centre de transmission des connaissances et des compétences en matière de finance islamique et, grâce à sa longue expérience dans le domaine du développement, participer à la conception de services et d’instruments financiers islamiques visant à produire le plus d’impact sur la baisse de la pauvreté.
Tableau 2. Religiosité, taux de pénétration des comptes et institutions financières islamiques dans la région MENA, 2011
Source : les calculs de l’auteur sont basés sur des données de la Banque islamique de développement, BankScope, l’enquête Gallup de 2010 et les Indicateurs du développement dans le monde de 2012.
Note : l’« indice de religiosité » reflète le pourcentage d’adultes dans un pays donné ayant répondu par l’affirmative à la question : « La religion constitue-t-elle un aspect important de votre vie quotidienne ? » (enquête Gallup de 2010).
Note de l’auteur : cet article est tiré d’une analyse établie pour l’édition 2014 du Rapport sur le développement financier dans le monde qui sera consacrée à l’inclusion financière et couvrira plus en détail ce thème et d’autres sujets associés).
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