Le secteur agricole représente l’un des leviers stratégiques de l’économie marocaine. Il génère 40% des emplois dans le pays et emploie actuellement 4 millions de personnes. Environ 85% de la population rurale est employée dans l'agriculture dont 57% sont des femmes. Mais leur accès aux revenus, au foncier et aux marchés reste très limité.
Le taux de pauvreté dans les zones rurales au Maroc est presque trois fois plus élevé que celui des zones urbaines. 70 % des pauvres au Maroc vivent en milieu rural ; en effet, le secteur compte une majorité de petits exploitants (près d’1 million) qui ne couvrent que 26 % des terres. En raison de contraintes culturelles et sociales, les femmes sont particulièrement touchées par ce phénomène.
Cependant, les femmes rurales trouvent en Itto Zeidguy un fervent défenseur. De passage à Rabat pour un événement organisé le 8 mars 2017 par la Banque mondiale sur le secteur agricole et la place de la femme dans la production, nous avons voulu en savoir davantage sur ce que motive Mme Zeidguy. Une histoire de longues années de militantisme qu’elle partage avec nous.
Q- Présentez-vous.
Mon nom est Itto Zeidguy, je suis native de la région d’Errachidia et je suis une rurale dans l’âme. Toute ma vie et ma carrière, j’ai été amenée à travailler avec des femmes et très vite je me suis rendu compte qu’elles étaient la cheville ouvrière de la société marocaine.
Q. Qu’est ce qui vous a incité à militer auprès des femmes rurales ?
A travers mon emploi au Crédit agricole, j’ai été particulièrement marquée par mes premiers contacts avec les femmes en milieu rural.
Jeune cadre à la Banque, je voyais défiler des hommes pour contracter des crédits et soutenir leurs activités d’exploitation mais jamais un visage féminin. Or, à chacun de mes déplacements en zone rurale, je voyais les champs remplis de femmes occupées à des activités souvent pénibles. Au Maroc comme ailleurs, la femme est celle qui s’implique le plus dans le travail et la productivité mais malheureusement, on ne le lui rend pas assez.
Q. Vous avez longtemps travaillé sur le micro-crédit, que vous considérez comme une “chance” pour ces femmes rurales. Expliquez-nous ce cheminement.
Cette situation d’injustice que je vous ai décrite m’a encouragée à agir et à contribuer à faire reconnaître le travail de ces femmes. Vers la moitié des années 80, le Crédit agricole a lancé des financements pour promouvoir les activités génératrices de revenu. Je me suis lancée dans ce projet en voulant mettre l’accent sur les activités féminines et c’est là qu’est née au sein de cette banque la cellule de la femme rurale dont j’ai eu la charge. Plus tard, la Fondation du Crédit agricole pour le micro-crédit, actuellement appelée Ardi, dont j’ai été membre fondateur, a permis d’ouvrir d’autres horizons pour les activités des femmes rurales ou celles oeuvrant dans l’artisanat.
Q. A votre avis, quelle est la bonne recette pour réaliser l’autonomisation des femmes en situation de vulnérabilité ?
Dans mon cheminement, j’ai relevé que ces femmes avaient beaucoup de compétences, mais qu’il faut les encadrer, les orienter et leur donner des moyens adaptés pour qu’elles puissent mettre à profit leur activité pour elles-mêmes et leur environnement, permettant ainsi une meilleure cohésion dans la société.
Je suis membre de plusieurs associations, dont le Réseau marocain de l’économie sociale et solidaire et et de l’une des premières associations féminines accompagnant des jeunes femmes pour créer leur entreprise et dont je suis membre d’honneur, ESPOD.
A travers mon travail associatif, j’ai participé à l’identification de femmes leaders dans leur région qu’on a formées pour servir de relais et diffuser leur savoir-faire et compétences auprès des femmes des zones environnantes; cela fait tache d’huile et c’est ainsi que nous passons d’une dizaine de femmes ciblées à des centaines.
A Salé par exemple, nous avons rencontré des femmes qui avaient chacune des activités de type artisanal mais elles étaient isolées et avaient du mal à accéder aux marchés, et c’est là le maillon faible de la chaîne. En les formant, en leur donnant des exemples de réussite, en leur apprenant à commercialiser leurs marchandises et à gérer leur budget, elles ont réussi à devenir économiquement autonomes. A Casablanca, nous avons encadré un groupe d’une dizaine de femmes pour les former aux métiers de bouche tout en leur fournissant un service de garderie pour leurs enfants en bas age pendant l’apprentissage. En facilitant les partenariats avec des établissements hôteliers et de restauration et en les aidant à développer un circuit de livraison, elles se sont regroupées en coopératives qui les aident à subvenir à leurs besoins. Nous souhaitons donc démultiplier ce type d’expériences pour leur permettre de se prendre en charge.
Q- Comment lever certaines normes culturelles qui empêchent ces femmes d’accéder à un revenu et aux marchés ?
Votre question évoque en moi un souvenir qui m’a marquée du temps de mon travail à la Banque. Lorsque nous avions lancé la cellule des femmes rurales, nous avions appuyé un groupe de femmes dans la région de Zemmour pour la production de tapis typiques des tribus de la région. Je me suis rendue un jour au marché hebdomadaire où ces femmes tentaient de vendre leurs produits; une d’entre elles négociait le prix auprès d’un acquéreur mais au moment où celui-ci lui tend l’argent pour acheter le tapis, j’ai vu surgir de nulle part son mari qui a empoché l’argent. En demandant à la jeune femme pour quelle raison elle n’avait pas pu encaisser l’argent, elle m’a répondu: “c’est mon mari qui encaisse; il m’en reverse un petit montant s’il le souhaite”.
Voir une femme se faire dérober le fruit de son effort m’a poussée à agir. Avec d’autres militantes, nous nous sommes mises à réflechir et avons constaté qu’il était nécessaire d’éveiller d’abord en ces femmes une notion d’autonomie et de droits. Culturellement, elles ont été conditionnées pour s’incliner devant l’homme. Elles vivent dans une culture de soumission, d’effacement; elles ont la charge d’exécuter les corvées, que ce soit l’eau, le bois, le sarclage etc, mais le fruit issu de leur effort ne leur revient pas. Elles sont des laissées pour compte. Ces femmes doivent prendre conscience qu’elles ont le droit de bénéficier des fruits de leur labeur et cela passe par un travail essentiel et nécessaire de sensibilisation.
Q – Et les hommes dans tout ça ?
En effet, les hommes sont au coeur de ce processus. Je tiens à souligner que ce travail de sensibilisation que j’ai évoqué doit être mené avec les hommes qu’il faut impliquer en amont; il faut les sensibiliser sur le partage des tâches et les convaincre de l’intérêt d’une plus grande autonomisation des femmes et l’impact positif qui en résulte sur l’ensemble du foyer et sur la communauté en général.
Le taux de pauvreté dans les zones rurales au Maroc est presque trois fois plus élevé que celui des zones urbaines. 70 % des pauvres au Maroc vivent en milieu rural ; en effet, le secteur compte une majorité de petits exploitants (près d’1 million) qui ne couvrent que 26 % des terres. En raison de contraintes culturelles et sociales, les femmes sont particulièrement touchées par ce phénomène.
Cependant, les femmes rurales trouvent en Itto Zeidguy un fervent défenseur. De passage à Rabat pour un événement organisé le 8 mars 2017 par la Banque mondiale sur le secteur agricole et la place de la femme dans la production, nous avons voulu en savoir davantage sur ce que motive Mme Zeidguy. Une histoire de longues années de militantisme qu’elle partage avec nous.
Q- Présentez-vous.
Mon nom est Itto Zeidguy, je suis native de la région d’Errachidia et je suis une rurale dans l’âme. Toute ma vie et ma carrière, j’ai été amenée à travailler avec des femmes et très vite je me suis rendu compte qu’elles étaient la cheville ouvrière de la société marocaine.
Q. Qu’est ce qui vous a incité à militer auprès des femmes rurales ?
A travers mon emploi au Crédit agricole, j’ai été particulièrement marquée par mes premiers contacts avec les femmes en milieu rural.
Jeune cadre à la Banque, je voyais défiler des hommes pour contracter des crédits et soutenir leurs activités d’exploitation mais jamais un visage féminin. Or, à chacun de mes déplacements en zone rurale, je voyais les champs remplis de femmes occupées à des activités souvent pénibles. Au Maroc comme ailleurs, la femme est celle qui s’implique le plus dans le travail et la productivité mais malheureusement, on ne le lui rend pas assez.
Q. Vous avez longtemps travaillé sur le micro-crédit, que vous considérez comme une “chance” pour ces femmes rurales. Expliquez-nous ce cheminement.
Cette situation d’injustice que je vous ai décrite m’a encouragée à agir et à contribuer à faire reconnaître le travail de ces femmes. Vers la moitié des années 80, le Crédit agricole a lancé des financements pour promouvoir les activités génératrices de revenu. Je me suis lancée dans ce projet en voulant mettre l’accent sur les activités féminines et c’est là qu’est née au sein de cette banque la cellule de la femme rurale dont j’ai eu la charge. Plus tard, la Fondation du Crédit agricole pour le micro-crédit, actuellement appelée Ardi, dont j’ai été membre fondateur, a permis d’ouvrir d’autres horizons pour les activités des femmes rurales ou celles oeuvrant dans l’artisanat.
Q. A votre avis, quelle est la bonne recette pour réaliser l’autonomisation des femmes en situation de vulnérabilité ?
Dans mon cheminement, j’ai relevé que ces femmes avaient beaucoup de compétences, mais qu’il faut les encadrer, les orienter et leur donner des moyens adaptés pour qu’elles puissent mettre à profit leur activité pour elles-mêmes et leur environnement, permettant ainsi une meilleure cohésion dans la société.
Je suis membre de plusieurs associations, dont le Réseau marocain de l’économie sociale et solidaire et et de l’une des premières associations féminines accompagnant des jeunes femmes pour créer leur entreprise et dont je suis membre d’honneur, ESPOD.
A travers mon travail associatif, j’ai participé à l’identification de femmes leaders dans leur région qu’on a formées pour servir de relais et diffuser leur savoir-faire et compétences auprès des femmes des zones environnantes; cela fait tache d’huile et c’est ainsi que nous passons d’une dizaine de femmes ciblées à des centaines.
A Salé par exemple, nous avons rencontré des femmes qui avaient chacune des activités de type artisanal mais elles étaient isolées et avaient du mal à accéder aux marchés, et c’est là le maillon faible de la chaîne. En les formant, en leur donnant des exemples de réussite, en leur apprenant à commercialiser leurs marchandises et à gérer leur budget, elles ont réussi à devenir économiquement autonomes. A Casablanca, nous avons encadré un groupe d’une dizaine de femmes pour les former aux métiers de bouche tout en leur fournissant un service de garderie pour leurs enfants en bas age pendant l’apprentissage. En facilitant les partenariats avec des établissements hôteliers et de restauration et en les aidant à développer un circuit de livraison, elles se sont regroupées en coopératives qui les aident à subvenir à leurs besoins. Nous souhaitons donc démultiplier ce type d’expériences pour leur permettre de se prendre en charge.
Q- Comment lever certaines normes culturelles qui empêchent ces femmes d’accéder à un revenu et aux marchés ?
Votre question évoque en moi un souvenir qui m’a marquée du temps de mon travail à la Banque. Lorsque nous avions lancé la cellule des femmes rurales, nous avions appuyé un groupe de femmes dans la région de Zemmour pour la production de tapis typiques des tribus de la région. Je me suis rendue un jour au marché hebdomadaire où ces femmes tentaient de vendre leurs produits; une d’entre elles négociait le prix auprès d’un acquéreur mais au moment où celui-ci lui tend l’argent pour acheter le tapis, j’ai vu surgir de nulle part son mari qui a empoché l’argent. En demandant à la jeune femme pour quelle raison elle n’avait pas pu encaisser l’argent, elle m’a répondu: “c’est mon mari qui encaisse; il m’en reverse un petit montant s’il le souhaite”.
Voir une femme se faire dérober le fruit de son effort m’a poussée à agir. Avec d’autres militantes, nous nous sommes mises à réflechir et avons constaté qu’il était nécessaire d’éveiller d’abord en ces femmes une notion d’autonomie et de droits. Culturellement, elles ont été conditionnées pour s’incliner devant l’homme. Elles vivent dans une culture de soumission, d’effacement; elles ont la charge d’exécuter les corvées, que ce soit l’eau, le bois, le sarclage etc, mais le fruit issu de leur effort ne leur revient pas. Elles sont des laissées pour compte. Ces femmes doivent prendre conscience qu’elles ont le droit de bénéficier des fruits de leur labeur et cela passe par un travail essentiel et nécessaire de sensibilisation.
Q – Et les hommes dans tout ça ?
En effet, les hommes sont au coeur de ce processus. Je tiens à souligner que ce travail de sensibilisation que j’ai évoqué doit être mené avec les hommes qu’il faut impliquer en amont; il faut les sensibiliser sur le partage des tâches et les convaincre de l’intérêt d’une plus grande autonomisation des femmes et l’impact positif qui en résulte sur l’ensemble du foyer et sur la communauté en général.
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