Publié sur Voix Arabes

Justice et État de droit : la Banque mondiale doit se réinventer

 Image d'une balance sur un bureau Image d'une balance sur un bureau

Dans son discours à l’occasion des Assemblées annuelles, le président du Groupe de la Banque mondiale, David Malpass, a défendu la nécessité d’accorder toujours plus d’attention aux résultats du développement dans les pays, à travers les trois leviers de l’État de droit, de la transparence et de la gestion de l’endettement public. Cette feuille de route fait écho au plaidoyer du président Jim Wolfensohn qui, dès 1999, préconisait de privilégier les questions de gouvernance, de transparence et de réforme du droit et de la justice, à travers un « Cadre de développement intégré ». La gouvernance et la primauté du droit s’imposent comme un principe fondamental de la doctrine de la Banque en matière de développement, et celle-ci s’est mobilisée pour mettre en œuvre ce programme. De nombreux pays ont relevé le défi et pris conscience que la réforme de leur système judiciaire et la rénovation de leur cadre juridique constituaient une solution efficace et durable pour ouvrir leurs économies et attirer des investissements directs étrangers. Ils ont compris que, loin de s’intéresser à des textes de loi généralistes et souvent obsolètes (à l’image des codes de l’investissement) adoptés à marche forcée, les investisseurs étaient à l’affût de mesures garantissant la sécurité de leurs opérations, la prévisibilité de l’environnement, la transparence et la gouvernance.

 À la fin des années 90, la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA) inaugure un mode de gouvernement plus ouvert, le Maroc s’y engageant avec détermination à travers un projet de réformes juridiques et judiciaires, modeste mais aux vertus catalytiques, piloté par la Banque mondiale. Il s’agit d’instituer des tribunaux de commerce modernes, avec des systèmes de gestion des instances et des tribunaux dernier cri, de former les juges aux questions économiques, d’assurer des services judiciaires gratuits pour les pauvres, notamment pour les petits litiges, et d’adopter des mécanismes alternatifs pour une résolution extrajudiciaire des différends. Les investisseurs étrangers et nationaux applaudissent aux résultats positifs obtenus. Plusieurs pays, dont la Jordanie, la Cisjordanie et Gaza et le Yémen, vont emboîter le pas du Maroc, avec des fortunes diverses. L’Égypte, le Liban et la Tunisie suivent leur propre chemin, et la volonté politique de moderniser le système judiciaire — dans la mesure notamment où il traite de questions économiques — devient le maître mot, voire un passage obligé du dialogue de la Banque avec ses partenaires et les pays membres de la région. La gouvernance figure alors naturellement au centre de son discours.

 Mais l’élan va retomber. Le début des années 2000 ouvre une décennie perdue pour les réformes dans la région, sur fond de hausse des prix du pétrole et des dépenses mais aussi d’augmentation inégale et d’instabilité des investissements directs étrangers et des transferts des migrants. Confrontée à l’évolution des attentes de ses clients, la Banque réoriente ses priorités vers d’autres dimensions du développement, reléguant progressivement au second plan les notions de gouvernance, de réformes juridiques et judiciaires et d’État de droit au sens large. Toujours présentes dans les discussions, elles ne sont plus systématiquement inscrites à l’ordre du jour officiel ni dans les programmes-pays spécifiques.

 Aujourd’hui, la jeunesse d’Iraq, du Liban, d’Égypte, d’Algérie, de Tunisie, du Maroc et d’ailleurs est dans les rues pour revendiquer justice, gouvernance, dignité et emplois. Apparemment sourds à ces demandes, les dirigeants rechignent ou ne parviennent pas à mettre en place des systèmes de gouvernance garantissant la transparence, la redevabilité et une concurrence équitable pour tous. Cette inaptitude ou ce manque de volonté pour sortir de l’économie de rentes et faire de la place à de nouveaux acteurs explique la stagnation de la croissance, la pénurie d’emplois et la montée de l’exaspération. Les appels à la justice et à l’État de droit — et l’incapacité de bon nombre de gouvernements à satisfaire les attentes de leurs concitoyens — sont d’autant plus criants que l’on approche du dixième anniversaire des Printemps arabes qui ont bouleversé en profondeur les régimes nationaux et le paysage politique dans l’ensemble de la région MENA.

 La mission que s’est fixée la Banque mondiale de mettre fin à la pauvreté et de promouvoir une prospérité partagée — et sa détermination à y parvenir — ne sera crédible, et couronnée de succès, qu’avec la concrétisation d’un engagement inébranlable et total en faveur de la gouvernance, de la transparence et de l’État de droit. Ce mouvement permettra également de redoubler d’efforts pour lutter contre la corruption, une condition cruciale pour éradiquer la pauvreté. Seuls la transparence, un système judiciaire rigoureux et des mécanismes crédibles de recours viendront à bout des comportements corrompus. La Banque mondiale peut et doit se réengager dans cette voie.

 Avec plusieurs de mes collègues, je plaide pour le renouvellement du contrat social entre les citoyens des pays de la région MENA et leurs gouvernements. Et nous sommes convaincus de la nécessité pour cela de promouvoir la contestabilité dans l’économie, la concurrence, l’équité et des règles du jeu identiques pour tous. Il est indispensable de mettre à nouveau l’accent sur une justice crédible, efficace, rapide et prévisible, assortie de mécanismes de recours faciles à actionner, afin de redonner confiance à tous.

 Écoutons le président Malpass : « Le développement passe essentiellement par l’instauration d’une primauté du droit propice à la transparence des marchés publics et des régimes de retraite, à la lutte contre la corruption, à l’édification d’institutions fortes et responsables et à l’uniformisation des règles du jeu, permettant ainsi au secteur privé de rivaliser à armes égales avec les entreprises publiques, l’armée et l’État lui-même… Ceux qui franchissent ce pas sont récompensés par un surcroît d’investissements, tant étrangers qu’intérieurs, et par une croissance qui profite à une plus grande partie de la population. »

 Il est de notre devoir de fournir à nos gouvernements partenaires des conseils sincères dans l’intérêt supérieur de leurs ressortissants. En plus de rendre hommage à tous ceux qui y ont cru et ont œuvré sans relâche pour en faire l’un des piliers du débat mondial sur le développement, la relance du programme de réformes juridiques et judiciaires permettra de répondre aux attentes de la jeunesse et de la classe moyenne de la région.

 Le legs du président Wolfensohn et de son premier vice-président et conseiller juridique, feu Ibrahim Shihata, est là pour nous rappeler que l’État de droit est l’un des instruments de développement fondamentaux au service de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion et de la promotion d’une prospérité partagée.


Auteurs

Ferid Belhaj

Vice-président du Groupe de la Banque mondiale pour la Région Moyen-Orient et Afrique du Nord

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