Ce blog a été co-écrit par Mourad Ezzine et Simon Thacker.
Pour une région qui n’est pas réputée pour sa promotion de l’équité envers les femmes, le Moyen-Orient réserve quelques surprises quand il s’agit de la scolarisation des filles, où la région obtient des résultats à plusieurs égards meilleurs que le reste du monde. Pour l’instant cependant, cette réussite académique ne se traduit pas forcément par des avancées notoires pour les femmes dans l’enseignement supérieur ou sur le marché du travail.
Dans un document de travail récemment publié par le NBER et intitulé « An Empirical Analysis of the Gender Gap in Mathematics » (a), Fryer et Levitt montrent les écarts dans les résultats obtenus par les filles et les garçons en mathématiques dans des écoles élémentaires des États-Unis ; en élargissant leur analyse aux enquêtes internationales, les auteurs font état des mêmes disparités dans tous les établissements élémentaires et secondaires du monde, exception faite des pays du Moyen-Orient. « Étonnamment, concluent-ils, et malgré les profondes inégalités entre les sexes dans ces pays, ce décalage ne concerne pas, en moyenne, les mathématiques ». De fait, l’écart s’inverse, les filles obtenant de meilleurs résultats que les garçons en 4e année, cette tendance se maintenant jusqu’à la 8e année malgré, soyons honnêtes, quelques exceptions.
En s’appuyant sur les données issues d’une étude longitudinale sur les élèves américains à partir de la maternelle (Early Childhood Longitudinal Study Kindergarten Cohort ou ECLS-K), les chercheurs constatent qu’au départ, les enfants des deux sexes ont un niveau équivalent en calcul et en lecture.Mais en fin de 5e année, les filles accusent un retard en mathématiques supérieur à 0,2 écart type par rapport aux garçons, soit une différence équivalant à environ 2,5 mois de scolarité.
Fryer et Levitt testent ensuite les données tirées du PISA (Programme international de l’OCDE pour le suivi des acquis des élèves) et des TIMSS (Troisième enquête internationale sur l’enseignement des mathématiques et des sciences) — deux études internationales de référence comparables pour les élèves de 8e et 4e année respectivement — et leurs résultats confirment ce qu’ils ont observé aux États-Unis. Sauf que le Moyen-Orient fait exception : en 4e année, les filles participant à l’examen TIMSS obtiennent de meilleurs résultats que les garçons dans tous les pays sauf un. Cette tendance perdure en 8e année, même si les exceptions deviennent plus nombreuses.
L’une des explications avancées tient au fait que les classes ne sont pas mixtes. Dans des pays comme l’Arabie saoudite, Bahreïn, l’Iran, la Jordanie, la Palestine et la Syrie où, pendant pratiquement toute la scolarité secondaire, les filles sont séparées des garçons, ce sont elles qui sont les meilleures. En revanche, dans les pays qui ont introduit des classes mixtes, comme l’Algérie, le Liban, le Maroc et la Tunisie, les garçons l’emportent sur les filles aux évaluations de 8e année. D’où ce constat des auteurs : « les classes mixtes sont une composante nécessaire pour que les inégalités entre les sexes se traduisent par de mauvais résultats en mathématiques chez les filles » (Fryer et Levitt, 2009, p. 21).Incidemment, il aurait été intéressant de savoir si les résultats en mathématiques tirés des données ECLS-K pour les filles et les garçons scolarisés dans des classes mixtes aux États-Unis corroborent ou non cette hypothèse — mais ce n’était pas là l’objet principal de cette recherche.
Pour autant, toute la scolarité primaire dans le monde arabe n’est pas ségrégative. De fait, les classes sont le plus souvent mixtes et lorsque les élèves de 4e passent l’examen de mathématiques de TIMSS, l’inversion de l’écart filles/garçons est déjà visible. Ainsi en Tunisie, où les classes sont mixtes, ces résultats apportent une preuve statistique d’écarts nettement favorables aux filles qui obtiennent une note de 337, soit en moyenne 18 points de mieux que les garçons (319).
Lors de l’examen TIMSS en 8e année, la tendance qui se dessine est la suivante : dans les pays de la région plutôt laïques et avec une école mixte, l’écart s’inverse par rapport à la 4e année (les garçons sont meilleurs que les filles) — comme dans le reste du monde — alors que dans les pays plus conservateurs, où les classes ne sont pas mixtes, les filles continuent de dépasser les garçons. Sachant que le clivage laïc/conservateur comporte aussi des exceptions : en Jordanie par exemple, les filles restent meilleures que les garçons.
Aucune explication pleinement satisfaisante ne permet de comprendre ces écarts. Les résultats de l’enquête TIMSS 2011 contribueront peut-être à identifier les causes profondes de ces disparités entre les sexes, d’où l’obligation de poursuivre les recherches. En attendant, dans la région, les filles sont désormais meilleures que les garçons dans la plupart des matières, de sorte qu’elles sont plus nombreuses à faire des études supérieures. Selon les statistiques de l’UNESCO, le taux brut de scolarisation des jeunes femmes dans le supérieur progresse rapidement. Par ailleurs, dans 15 pays arabes sur 22, ce taux est supérieur ou égal à celui des jeunes hommes. Ce qui entraîne toutes sortes de complications spécifiques. Dans le domaine des mathématiques et des sciences, certains déséquilibres sont flagrants :
- Au Koweït, les jeunes femmes qui veulent étudier dans certains domaines traditionnellement réservés aux hommes — pour devenir ingénieurs par exemple — doivent obtenir une moyenne supérieure pour pouvoir être admises ;
- À Oman, les étudiantes doivent souvent repousser leurs études universitaires d’un an, cette obligation ne s’imposant pas aux étudiants (Women’s Rights in the Middle East and North Africa, www.freedomhouse.org).
La participation des femmes à la population active a beau augmenter lentement, elle reste faible par rapport aux normes internationales. Selon l’Organisation internationale du travail (OIT), cette part s’établissait à 22,6 % en 2000 et serait passée à 24,8 % en 2009 (contre respectivement 52,1 et 52,7 % dans le reste du monde). Avec le relèvement du niveau d’instruction des femmes, celles-ci sont plus nombreuses à se présenter sur le marché du travail. Mais leurs débouchés professionnels restent très limités. Les données de la Banque mondiale indiquent que les femmes éduquées de la région sont celles qui se retrouvent le plus souvent au chômage. Ainsi, 29,1 % des femmes diplômées de l’université en Égypte sont chômeuses, soit pratiquement trois fois plus que leurs homologues de sexe masculin.
Certains expliquent le printemps arabe notamment par la pression à laquelle la frange éduquée de la population en Tunisie et en Égypte a été trop longtemps soumise. Avec la progression de l’éducation des femmes dans la région, on peut se demander combien de temps encore celles-ci resteront bridées.
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