Ce blog a été co-écrit par Mourad Ezzine et Simon Thacker.
Le printemps arabe faisant souvent la une de l’actualité ces temps-ci, c’est un peu comme si nous découvrions ces pays. Ce dont il faut d’une certaine façon se réjouir, vu les idées fausses qui circulent sur cette région. Voyez l’éducation : il y a beaucoup d’idées fausses à son propos. Le moment est donc venu de tordre le coup à certains mythes...
Mythe n° 1 : Si le niveau d’éducation dans la région est si faible, c’est dû à la négligence des pouvoirs publics.
Faux. Depuis leur indépendance, les pays arabes ont fait d’immenses progrès et ils investissent actuellement massivement dans l’éducation. Les efforts déployés ces dernières décennies ont permis d’atteindre des avancées considérables : (i) multiplier par plus de quatre le niveau moyen de scolarité des plus de 15 ans depuis 1960 ; (ii) réduire de moitié le taux d’illettrisme entre 1980 et 2003 ; et (iii) parvenir à une égalité presque parfaite pour la scolarisation des filles et des garçons en primaire. Qui plus est, les dépenses d’éducation en pourcentage du PIB ont toujours été relativement élevées dans la région, même dans les pays à faible revenu. Aujourd’hui, elles ressortent à plus de 5,3 %, soit l’un des taux les plus élevés du monde.
Mythe n° 2 : L’éducation dans les pays MENA reste néanmoins médiocre.
Au regard des normes de l’OCDE, cela semble indiscutable : la moyenne régionale des élèves de 8e année lors de l’examen de mathématiques de l’enquête TIMSS (Troisième enquête internationale sur l’enseignement des mathématiques et des sciences) de 2007 s’est établie à 383, pour une moyenne internationale de 500. Mais si nous confrontons ce résultat à celui des pays d’Amérique latine ou d’Asie du Sud-Est dont le PIB par habitant et le taux brut de scolarisation (TBS) sont similaires, nous obtenons une image plus complexe qu’il n’y paraît.
Le tableau suivant, extrait de l’ouvrage de la Banque mondiale The Road Not Travelled (« Un parcours non encore achevé », 2008), semble suggérer que, si l’on tient compte du PIB par habitant et du TBS — en partant de l’hypothèse que des résultats meilleurs doivent être corrélés positivement à un PIB supérieur et négativement à un TBS inférieur —, les élèves de plusieurs pays du Moyen-Orient obtiennent en réalité des résultats bien meilleurs qu’attendu.
Test score = Résultat
Predicted test score2 = Résultat attendu2
Residual = Valeur résiduelle
Note : D’après une estimation par régression des résultats effectuée pour le PIB par habitant en 2003 et le TBS dans le secondaire, 2000.
Source : Road Not Travelled (Banque mondiale, 2008), p. 20.
Mythe n° 3 : Les pays de la région MENA ont de mauvais indicateurs sexospécifiques.
C’est effectivement le cas, sauf dans l’éducation. Contrairement au reste du monde, les filles réussissent mieux que les garçons dans la plupart des pays arabes. Dans un document de travail récemment publié par le NBER, Fryer et Levitt montrent les écarts dans les résultats obtenus par les filles et les garçons en mathématiques dans des écoles élémentaires des États-Unis ; en élargissant leur analyse aux enquêtes internationales, les auteurs font état des mêmes disparités dans tous les établissements élémentaires et secondaires du monde, exception faite des pays du Moyen-Orient. « Étonnamment, concluent-ils, et malgré les profondes inégalités entre les sexes dans ces pays, ce décalage ne concerne pas, en moyenne, les mathématiques ». Selon une Quick Note récente sur l’apprentissage et le savoir dans la région MENA, dans les faits, cet écart s’inverse.
Mythe n° 4 : Les systèmes éducatifs des pays riches de la région sont de meilleure qualité.
Les trois pays producteurs de pétrole les plus riches de la région — l’Arabie saoudite, le Koweït et le Qatar — font partie des lanternes rouges du classement TIMSS 2007, non seulement en termes moyens mais aussi en termes comparés. Les élèves des 14 pays participants ont été classés en quatre catégories, selon leur niveau de performance : seul un faible pourcentage d’élèves de trois pays — l’Égypte, la Jordanie et le Liban — ont un niveau « avancé ». Si certains pays arabes obtiennent parfois des performances « élevées », aucun des pays riches en pétrole comme l’Algérie, l’Arabie saoudite, le Koweït et le Qatar n’en fait partie.*
Mythe n° 5 : Les pays de la région MENA connaissent mal le niveau de performances des élèves parce qu’ils n’ont pas les capacités d’évaluation requises.
Faux. Les pays MENA n’ont jamais été pris en défaut dans ce domaine, au contraire. Les élèves sont soumis à de nombreux examens publics et, dans certains cas, le système éducatif tout entier s’articule autour de ces examens. Les résultats scolaires sont donc soigneusement évalués dans la région mais rarement dans l’objectif d’améliorer la qualité de l’éducation. Les examens servent plutôt à sélectionner les élèves et à les orienter. C’est là une situation qui doit, de toute évidence, changer.
Mythe n° 6 : Les pays de la région manquent de politiques et de réglementations pour assurer une éducation de qualité. Faux.
Comme le révèle une enquête de la Banque mondiale sur les politiques régissant l’enseignement, les multiples politiques, réglementations ou décrets adoptés sont rarement appliqués de manière cohérente. Ce n’est pas l’absence de cadre réglementaire mais le manque de clarté des définitions et l’insuffisance d’incitations à appliquer ces textes qui expliquent la médiocrité des performances, élèves et enseignants confondus. Le printemps arabe laisse entrevoir des améliorations dans ce domaine, qui met l’accent sur l’accès aux informations et la bonne gouvernance.
Mythe n° 7 : Les enseignants des pays de la région MENA, moins payés que leurs homologues ailleurs, ont un travail parallèle, ce qui explique la médiocrité de l’éducation dispensée.
En partie vrai. Toujours selon l’enquête de la Banque mondiale, les salaires dans la région sont généralement corrects par rapport à d’autres pays même parmi les plus performants. Certains rémunèrent mieux leurs enseignants débutants que les pays en tête du classement. Rapportés au PIB par habitant, les salaires de départ varient entre 150 % (Liban) et 758 % (Djibouti) alors que les systèmes les plus performants et où l’éducation s’améliore rapidement offrent à leurs enseignants un salaire qui s’échelonne entre 82 et 135 % du PIB. Au bout de 15 ans, les enseignants peuvent espérer gagner entre 1,19 fois (Tunisie) et 1,5 fois leurs salaires de départ, contre une fourchette allant de 1,26 à 1,77 fois dans les pays les plus performants. Mais cette augmentation au bout de 15 ans de service peut être plus lente dans certains cas, ce qui peut décourager les vocations.
*Voici une des questions posées à l’examen de mathématiques de l’enquête TIMSS 2007, qui donnera une idée de la « faiblesse » du niveau : "Lors d’un déplacement scolaire, un enseignant devait gérer douze élèves. Combien y aurait-il eu d’enseignants pour 108 élèves ?"
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