Publié sur Voix Arabes

Pour une action climatique centrée sur l’humain dans la région MENA

Woman walking on rural path in Morocco. (Shutterstock.com/Tom Camp) Woman walking on rural path in Morocco. (Shutterstock.com/Tom Camp)

Tous les yeux seront tournés vers l’Égypte la semaine prochaine tandis que débutera le rassemblement mondial de la COP27 à Charm el-Cheikh. Il y a un an, lors de la COP26, le Groupe de la Banque mondiale a lancé ses « rapports nationaux sur le climat et le développement » (ou CCDR selon leur acronyme en anglais). Ce nouvel outil diagnostique de fond a pour objectif d’aider les pays à intégrer l’action climatique dans leurs priorités de développement. Les quatre premiers rapports produits pour des pays de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA) portent sur l’Égypte, l’Iraq, la Jordanie et le Maroc. Ils rendent compte d’une préoccupation commune et essentielle : la justice climatique, c’est-à-dire la protection des droits des personnes les plus vulnérables et le partage du fardeau et des bienfaits de la lutte contre le changement climatique. Dans la région MENA, la justice climatique exerce un levier de pression supplémentaire sur des contrats sociaux qui n’ont cessé de s'éroder depuis trente ans.

La détérioration de la fourniture de services essentiels comme l’eau et l’électricité, liée à des phénomènes météorologiques extrêmes en milieu urbain, a accentué les griefs collectifs, plus particulièrement en Iraq, en Syrie et au Liban.

Dans ce contexte, il convient de rappeler que les soulèvements du Printemps arabe se sont produits malgré l’existence de conjonctures économiques favorables au cours de la décennie précédente. Une situation qualifiée de « paradoxe du Printemps arabe » par l’ancien économiste en chef de la Banque mondiale pour la région MENA, Shanta Devarajan, qui soulignait la nécessité d’uniformiser les règles du jeu.

Une décennie après les soulèvements du Printemps arabe, la réduction des disparités sociales n'a guère progressé. En revanche, les dérèglements du climat sont à l’origine d’une nouvelle vague de difficultés socioéconomiques, aggravées par des crises qui se superposent, comme la guerre en Ukraine et la pandémie de COVID-19, qui mettront encore plus à rude épreuve les relations entre État et société dans la région.

Alors que les manifestations du changement climatique sont de plus en plus visibles, les populations pauvres de la région MENA seront les plus durement touchées. Il y aura des agriculteurs qui perdront leurs récoltes en raison de sécheresses prolongées, tandis que les ouvriers du bâtiment seront contraints de travailler sous des températures plus élevées pendant de plus longues périodes. D'ores et déjà, les personnes déplacées qui vivent dans des camps ou des établissements informels sont de plus en plus exposées aux inondations et aux fortes tempêtes.

Au-delà des pauvres, les dérèglements du climat toucheront toutes les strates de la société de multiples façons. Au Maroc, les changements d’origine climatique (disponibilité de l’eau et rendement des cultures) sur les cultures pluviales pourraient entraîner l’exode vers les zones urbaines de près de 1,9 million de Marocains (soit environ 5,4 % de la population du pays) d’ici 2050.

Dans le cadre du CCDR sur l’Iraq, les discussions avec des groupes d'agriculteurs montrent que l’aggravation des pénuries d’eau et la hausse de la salinité réduisent les terres cultivées et les revenus à une vitesse alarmante. Les femmes, qui cultivent souvent du henné et des légumes, semblent être particulièrement touchées.

Avancer sur la voie d’une action climatique juste

Une action climatique « juste » est une action qui reconnaît que les risques et vulnérabilités climatiques menacent fondamentalement les moyens de subsistance et la stabilité. C’est aussi une action qui assure un juste équilibre entre les exigences du développement et de l'action climatique à court et à long terme tout en garantissant une répartition équitable des charges et des bienfaits de la lutte contre le changement climatique et en protégeant les groupes les plus touchés et les plus vulnérables. Une action climatique juste et centrée sur l’humain doit :

  1. Ériger les enjeux de la justice climatique et d’une transition juste en principes directeurs des stratégies et plans nationaux régissant les aspirations des pays à une croissance durable et diversifiée. Il est impératif d'exposer très clairement qui sont les gagnants et les perdants de cette transition pour cibler les efforts, créer d’autres moyens de subsistance et réduire au minimum la résistance politique à l’abandon du statu quo.
  2. Intégrer les principes de justice climatique dans les politiques de protection sociale. Cette intégration peut revêtir la forme de mécanismes d’assurance climatique pour les personnes et les entreprises, plus particulièrement les petits exploitants agricoles qui seront parmi les plus touchés par le changement climatique.
  3. Tirer parti du dialogue sur les enjeux climatiques pour renforcer les interactions entre les citoyens et leurs gouvernants. La participation du public à la planification, au développement et à la mise en œuvre des politiques climatiques est essentielle pour favoriser leur légitimité et leur acceptation sociale. Une étape initiale et néanmoins importante pourra consister à engager cette participation aux niveaux municipal et local en ce qui concerne la planification sectorielle et régionale, les politiques proposées et les investissements. 
  4. Promouvoir la transparence et garantir l’égalité du droit d’accès à l’information. Les populations pauvres ont moins accès aux informations sur les risques et les prévisions climatiques. Il faut remédier à ces inégalités en concevant des programmes qui permettront non seulement aux populations de se préparer aux chocs, mais aussi dans certains cas de sauver des vies face à des phénomènes météorologiques extrêmes de plus en plus fréquents et intenses.
  5. Donner aux nouvelles générations les compétences et les connaissances requises dans une économie verte. Les actions en faveur du climat offrent de nombreuses possibilités d’investir dans le capital humain et d’élargir le socle de connaissances et de compétences de la main-d’œuvre. Par exemple, l’agriculture climato-intelligente et le potentiel d’innovation qu'elle recèle pourraient encourager les jeunes à ne pas se détourner de ce secteur. 

Le développement vert, résilient et inclusif doit être au cœur même de l’élaboration des politiques. Il sera difficile de faire accepter les composantes verte et résiliente de l’argumentaire en faveur de la transition sans un engagement fort en faveur de l’inclusion. Une transition juste qui aspire à partager équitablement les souffrances et les bienfaits de l'action climatique pourrait être un tremplin pour réinventer la région MENA autour d’un contrat social plus fort qui ne laisse personne au bord du chemin

 

Auteurs

Paul Noumba Um

Directeur régional Infrastructures, Moyen-Orient et Afrique du Nord

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