Alors que nous célébrons, une nouvelle fois, la campagne internationale « 16 Jours d’activisme contre la violence basée sur le genre », l’urgence d’engager des actions globales et concrètes contre les innombrables formes de violence dont les femmes et les filles sont toujours victimes dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA) est patente.
S’il n’est malheureusement pas surprenant que les violences de genre menacent particulièrement les femmes et les filles des pays de la région MENA, les choses ne se résument pas à ce constat. La proximité est un facteur déterminant, puisque les violences au sein du couple sont la forme de violence la plus répandue, tout comme la violence dans le cercle familial, qui s’exerce notamment contre les enfants et les adolescentes. Au moins 35 % des femmes dans la région MENA ont subi (a) au cours de leur vie des violences au sein du couple — un taux qui place la région au deuxième rang mondial. La réalité est très probablement encore plus alarmante dans la mesure où — et c’est vrai partout dans le monde — les victimes de ce type de violences hésitent à les signaler.
La région MENA de la Banque mondiale a décidé d’intégrer la prévention et la prise en charge des violences de genre dans un plan d’action global. Ces violences ont un impact délétère sur la santé et le bien-être des individus et des sociétés. Elles représentent aussi un coût pour les économies, du fait du traumatisme psychologique et physique qu’elles provoquent, affectant le capital humain des survivantes, leur participation au marché du travail et leur activité civique. Avant la pandémie de COVID-19, le coût des violences de genre dans certains pays représentait selon les estimations jusqu’à 3,7 % du PIB (a) — plus du double des dépenses publiques d’éducation.
En plus des violences au sein du couple, ces comportements prennent des formes extrêmement variées et révoltantes : violences sexuelles en dehors du cercle intime, exploitation et abus sexuels, trafic, féminicides, mariages précoces et d’enfants, mutilations génitales féminines/excision, harcèlement sexuel et cyberviolences. Dans les pays de la région MENA et en particulier dans les zones rurales, 18 % environ des filles sont mariées avant leurs 18 ans. En Algérie, à Bahreïn, en Iraq, au Koweït, en Libye et en Syrie, la législation continue de disculper les responsables s’ils épousent la victime de leur viol ou de leur agression.
Certains groupes marginalisés, comme les personnes déplacées de force et les migrantes employées comme domestiques, sont particulièrement exposés aux violences en dehors du cercle intime. En Jordanie, 28 % des réfugiées syriennes subissent des maltraitances psychologiques et 29 % des agressions physiques. À Bahreïn, 30 à 40 % des tentatives de suicide sont le fait d’employées de maison étrangères victimes de violences verbales, physiques et/ou sexuelles. Dans de nombreux pays, les femmes divorcées ou séparées, les mères célibataires et les femmes et les filles sans abri sont victimes d’exploitation et de mauvais traitements.
Les féminicides ne sont généralement pas reconnus en tant que tels (le meurtre d’une femme ou d’une fille en raison de son sexe) et leur prévalence ne fait pas l’objet de statistiques représentatives au niveau national. La tolérance des « crimes d’honneur » est forte dans la région : en Égypte par exemple, 62 % des hommes et 49 % des femmes approuvent (a) une telle pratique. Au Maroc, la proportion est de 32 et 12 % et au Liban, de 26 et 8 %. Les peines infligées aux auteurs sont souvent clémentes.
Les situations de conflit et de fragilité ainsi que la pandémie de COVID-19 accentuent les risques et entravent la riposte
En accentuant les tensions dans les ménages, la pandémie de COVID-19 a aggravé la prévalence des violences de genre. Elle a aussi limité l’accès des victimes aux services, à cause des restrictions de déplacement et des changements dans la protection sociale. Les effets économiques de la crise ont conduit à des stratégies de survie néfastes, comme le commerce sexuel ou les mariages d’enfants. Lors d’enquêtes téléphoniques réalisées en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, une personne interrogée sur quatre indique que les violences domestiques ont augmenté pendant le confinement. À Bahreïn, en Iraq, au Liban et en Tunisie, les lignes téléphoniques dédiées aux victimes ont connu des pics de signalement.
Les défis sont encore plus aigus dans les contextes de fragilité et de conflit, où les niveaux de violence sexuelle et de mariage forcé sont encore plus élevés et où les services de prise en charge sont désorganisés. En Iraq, lors des épisodes de conflit relativement récents, femmes, filles, hommes et garçons ont été victimes de viols et d’esclavage sexuel, de violences physiques et psychologiques et de traite. Les filles et les femmes enlevées par le groupe État islamique ont été contraintes au mariage, à l’esclavage sexuel et domestique et continuent d’être stigmatisées dans leurs communautés. En Syrie, les cas de viols de femmes ont fortement augmenté entre 2011 et 2013, passant de 300 à 6 000.
Lancer un Plan d’action régional pour combattre les violences basées sur le genre
Forte de sa liberté d’action et consciente de sa responsabilité à faire preuve d’audace dans la prévention et la lutte contre les violences faites aux femmes, la région MENA de la Banque mondiale lance un plan d’action pour s’attaquer de front à ces phénomènes, en privilégiant trois leviers : i) données et connaissances ; ii) dialogue sur l’action à mener ; et iii) activités opérationnelles.
La région MENA ne part pas de zéro : l’évaluation du capital humain et du genre au Yémen intègre des données ventilées par sexe et une analyse des mariages d’enfants ; au Liban, le Mécanisme pour l’égalité des sexes au Machreq a contribué à l’adoption en 2020 d’une loi contre le harcèlement sexuel ; plusieurs projets de santé dans la région mettent en place des services de conseil en matière de santé sexuelle et reproductive et de planification familiale, et s’emploient à sensibiliser aux risques liés aux violences de genre et aux services disponibles le cas échéant ; en Égypte, une opération récente de financement à l’appui des politiques de développement pour une croissance inclusive et une reprise durable prévoit aussi des mesures de lutte contre les violences de genre dans les transports en commun et d’accompagnement des victimes, avec la création d’un centre d’accueil unique.
Le Plan d’action régional dresse un bilan de la prévalence, des progrès et des failles en termes de prévention et de prise en charge des violences faites aux femmes dans 20 pays de la région. Il met aussi en lumière les interventions les plus efficaces, qui intègrent tout au long du processus les efforts visant à faire évoluer les normes sociales et les comportements. Nous avons toujours e devoir de passer de l’analyse à l’action. Des décennies après la ratification de cadres internationaux de lutte contre la violence à l’égard des femmes et des filles par de nombreux pays de la région MENA, ce Plan d’action régional place ces enjeux en tête de nos priorités.
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