Publié sur Voix Arabes

Reconstruire en mieux dans la région MENA ne sera pas forcément très coûteux

Women in vaccination center. Hasan Mrad/Shutterstock.com Women in vaccination center. Hasan Mrad/Shutterstock.com

La pandémie de COVID-19 a entraîné des perturbations sans précédent dans la région Moyen‑Orient et Afrique du Nord (MENA). Notre nouveau rapport, intitulé Répercussions et répartition des effets de la pandémie de COVID-19 dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord, révèle que la pandémie a fait chuter les revenus, aggravé la pauvreté et les inégalités, et exacerbé les fragilités préexistantes. Il analyse la façon dont la crise de la COVID-19 a affecté le bien-être des individus et des ménages dans la région MENA, ainsi que les aspects fondamentaux sur lesquels les décideurs politiques devraient se concentrer pour permettre une reprise économique rapide et durable.

Outre l'augmentation substantielle de la pauvreté, de l'insécurité alimentaire et des inégalités, le rapport constate l'émergence d'un groupe de « nouveaux pauvres » ainsi que des changements sur le marché du travail, notamment en ce qui concerne l'intensité du travail et le nombre de personnes en activité. Par ailleurs, il est possible que la reprise économique creuse encore les inégalités, étant donné que le secteur informel dans lequel travaillent de nombreuses personnes défavorisées a tendance à se redresser plus lentement.

S'agissant de l'avenir, le rapport souligne que la vaccination doit être une priorité absolue pour assurer la reprise, car elle est indispensable pour protéger les populations et éviter de nouveaux confinements. Malheureusement, les taux de vaccination demeurent désespérément bas dans de nombreux pays de la région.

Parallèlement, les pays devraient adopter certaines stratégies économiques pour assurer une reprise résiliente. Néanmoins, comment peuvent-ils reconstruire en mieux alors que la pandémie a limité des marges budgétaires déjà limitées et conduit à une hausse encore plus marquée des niveaux de dette publique ?

Avant la pandémie, la région MENA était la seule région du monde où les taux de pauvreté augmentaient.  Un modèle économique qui produit de tels résultats a fait son temps. Reconstruire en mieux ne devrait donc pas être synonyme d'une tentative de retour aux conditions d'avant la crise : il faudrait plutôt s'efforcer de « réinitialiser » l'économie.

Avant la COVID-19, les plus privilégiés de la région étaient protégés des affres de la concurrence, tandis que les moins favorisés étaient cantonnés à l'inactivité ou à l'économie informelle, et subsistaient grâce à des aides pour la nourriture et le carburant. C'est ce modèle économique d'exclusion qu'il faut changer. La région doit exploiter le potentiel de croissance de tous ses habitants et mettre en place des organisations économiques inclusives auxquelles le plus grand nombre pourra participer.

Ces évolutions ne coûteront pas nécessairement très cher car elles ont moins besoin d'investissements que de modifications économiquement supportables des politiques et des institutions. Pour cela, les pays doivent :

  1. Améliorer le climat des affaires et déréglementer l'économie. La région MENA est encore paralysée par des réglementations pesantes et un environnement des affaires peu propice aux activités et aux initiatives du secteur privé.  C'est ce qui ressort de nombreuses études comparatives internationales qui évaluent la compétitivité, les réglementations et le climat des affaires et de l'investissement. Toutefois, plusieurs pays de la région MENA très peu peuplés s'en sortent relativement bien. Il est donc tout à fait possible pour les plus grands pays de la région d'améliorer encore leurs résultats dans ces différents domaines. 
  2. Renforcer la concurrence. Les pays de la région doivent mettre fin aux monopoles sur leurs marchés (a), où les entreprises bien en place — qu'elles appartiennent au secteur privé ou à l'État — sont toujours favorisées. L'absence de contestabilité qui en résulte fait le lit du népotisme et de la recherche de rentes, décourageant ainsi les investissements nationaux et étrangers.
  3. S'ouvrir au commerce. Malgré la faible croissance des échanges mondiaux depuis la crise financière de 2008, les activités commerciales et les chaînes de valeur mondiales peuvent continuer à stimuler la croissance, à créer de meilleurs emplois et à réduire la pauvreté. La région MENA sera bien placée, une fois la pandémie de COVID-19 passée, pour bénéficier du pouvoir d'achat de l'Europe,  de son intérêt pour des sources d'approvisionnement plus proches et de son inclination en faveur d’importations respectueuses du climat. L'ouverture au commerce est un autre moyen de renforcer la concurrence, de bénéficier des transferts de technologie et d'attirer les investissements directs étrangers.
  4. Augmenter la productivité des travailleurs du secteur informel. Les travailleurs et les entreprises du secteur informel se situent au bas de la pyramide économique, ils effectuent des tâches pénibles dans des conditions de sécurité ou de couverture santé précaires. Comme l'a souligné le vice-président de la Banque mondiale pour la région MENA, Ferid Belhaj, la réinitialisation de l'économie passe par l'amélioration du climat des affaires pour celles et ceux qui sont dans le secteur informel, en privilégiant des mesures qui augmentent leur productivité grâce à un environnement commercial prévisible et à un accès au financement, tout en augmentant les avantages (nets) de l’intégration dans le secteur formel.
  5. Revoir les systèmes de subventions, en particulier dans le domaine de l'énergie. Les subventions à l'énergie sont onéreuses et entraînent une surconsommation et d'autres facteurs d'inefficacité. La redistribution doit intervenir au moyen du système fiscal et des mécanismes de protection sociale dont c'est la vocation, et non par la tarification de l'énergie. 
  6. Lever les barrières qui empêchent les femmes de participer à l'économie. Les femmes représentent la moitié de la population active, mais dans la région, il est rare qu'elles travaillent.  Le rapport 2020 sur le genre au Mashreq (a) propose des mesures visant à réduire les obstacles à la participation des femmes à l'économie, telles que la révision des lois sur l'héritage, des horaires de travail flexibles, des services de garde d'enfants abordables et la promotion des possibilités de travail à distance (technologies numériques). Des transports publics sûrs et des mesures de lutte contre les violences sexistes au travail et à la maison sont également importants.

Pour reconstruire en mieux, les décideurs de la région MENA devraient appliquer des politiques destinées à stimuler la croissance.  Outre qu'il s'agit là d'une démarche inclusive puisqu'elle contribue à une meilleure participation de la population à l'économie, elle est également abordable, car les politiques ne coûtent pas cher à concevoir et à mettre en œuvre.

 


Auteurs

Johannes Hoogeveen

Responsable mondial pour les États fragiles et touchés par un conflit

Gladys Lopez-Acevedo

Économiste principale, pôle mondial Pauvreté et équité, Banque mondiale

Nadir Mohammed

Directeur régional Croissance équitable, finance et institutions pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord

Prenez part au débat

Le contenu de ce champ est confidentiel et ne sera pas visible sur le site
Nombre de caractères restants: 1000