À l’horizon des dix prochaines années, la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA) va devoir créer 40 millions d’emplois pour ses jeunes, dont environ 10,7 millions nouveaux arrivants sur le marché du travail. Les pays de la région ont l’une des populations les plus jeunes du monde, avec un habitant sur cinq âgé de 15 à 24 ans. Caroline Freund, économiste en chef à la Région MENA, estime que la réactivité de l’emploi doit être nettement supérieure à la moyenne pour pouvoir absorber les demandeurs d’emploi, aujourd’hui et demain.
De plus en plus, les décideurs de la région se tournent vers le secteur privé pour relever le défi de l’emploi. S’exprimant au nom des Gouverneurs des pays arabes lors des dernières Assemblées annuelles du FMI et de la Banque mondiale, le ministre de l’Économie et des finances du Qatar, Youssef Kamal, a déclaré : « Pour nous, le secteur privé est le principal moteur de la croissance à venir et un élément clé du potentiel de développement de la région grâce auquel celle-ci pourra obtenir ce dont elle a urgemment besoin : la création soutenue et pérenne d’emplois, l’innovation technologique et l’intégration économique ». Pour cela, la région va devoir revoir son environnement des affaires.
Le rapport phare sur l’emploi dans la région MENA, à paraître, plaide avec force pour le développement accéléré d’emplois dans le secteur privé. Mais de multiples obstacles demeurent : le niveau de l’emploi informel dans la région MENA (67 % de la main-d’œuvre) est supérieur à celui des autres régions à revenu intermédiaire, comme l’Amérique latine (61 %) ou l’Europe et l’Asie centrale (40 %). En outre, bon nombre de demandeurs d’emploi se tournent vers le secteur public, dont la productivité est médiocre mais qui offre des conditions de travail très appréciées : plus de 55 % des jeunes de la région préfèreraient avoir un emploi dans le secteur public (figure 1). Par ailleurs, les disparités entre les sexes restent problématiques : les femmes représentent 80 à 90 % de la population inactive, le taux d’activité de celles qui sont en âge de travailler n’atteignant que 25 %. Le marché du travail de la région MENA se caractérise donc par des emplois informels mal payés et un secteur public hypertrophié.
Figure 1
Préférence pour les emplois publics parmi les jeunes de 15 à 34 ans dans une sélection de pays de la région MENA, 2010
Par ailleurs, le capitalisme de copinage qui a, dans bien des cas, activement étouffé toute concurrence intérieure ou extérieure, a aussi entraîné une atrophie du secteur privé, qui produit un panier de biens peu diversifié et au contenu technologique limité. La mise en place des conditions propices au développement du secteur privé — notamment des micro, petites et moyennes entreprises (MPME) novatrices — pourrait remédier aux déséquilibres et au manque d’efficacité du marché du travail de la région MENA.
Mais les difficultés sont de taille : seules 6,3 entreprises sont créées chaque année pour 100 demandeurs d’emplois, contre 42 dans les pays à revenu élevé. Ce taux, l’un des plus faibles du monde, permet de mesurer l’état de l’environnement des affaires.Dans les classements du rapport Doing Business, les pays arabes obtiennent, collectivement, un score composite équivalent à celui du pays se situant au 98e rang. La région MENA est la lanterne rouge de l’indice des droits légaux pour l’obtention de prêts. De même, l’accès des MMPE au crédit est extrêmement malaisé. Une enquête récente révèle que les prêts aux PME ne représentent que 8 % du total de prêts dans la région, faute d’un environnement réglementaire digne de ce nom mais aussi à cause de la déficience des infrastructures financières et de la concentration des systèmes bancaires, peu incités à prêter aux MPME.Sur le besoin total de financement estimé pour la région MENA (320 à 390 milliards de dollars), 83 % concernent les PME du secteur formel.
Étant donné la fragilité et l’instabilité des pays de la région, la création d’emplois — surtout pour les jeunes — devient une priorité socio-économique encore plus pressante avec, comme enjeux, la sûreté nationale et la stabilité. L’édition 2011 du Rapport sur le développement dans le monde, consacrée aux conflits, à la fragilité et au développement, montre que le faible niveau de PIB par habitant et le chômage sont deux causes essentielles de l’éclatement d’un conflit — un constat corroboré par les événements du Printemps arabe — mais que la création d’emplois peut contribuer à la stabilité et à l’instauration de la confiance. Les données d’enquête publiées dans ce rapport le confirment. L’écrasante majorité des personnes interrogées sur les raisons qui poussent les jeunes à rejoindre des groupes rebelles ou des gangs cite en premier lieu le chômage. Le rapport appelle à la mise en place rapide par le secteur privé, pendant la phase de relèvement, de projets de création d’emplois « surtout si l’on veut que ces emplois et ces sources de revenu survivent à l’arrêt des interventions de court terme organisées par les bailleurs de fonds pendant la phase d’urgence ». De tels projets peuvent nécessiter des méthodes de conception et des priorités différentes, surtout dans les pays où la confiance des entreprises est au plus bas et l’activité du secteur privé contrariée par le piètre fonctionnement des marchés et l’insécurité.
Perspectives d’avenir
La région ne s’en sortira qu’en mettant en place un environnement propice à l’investissement, privilégiant à la fois la concurrence et l’innovation. Il faut investir de toute urgence dans l’écosystème des entreprises, c’est-à-dire dans l’ensemble des éléments qui en favorisent le développement : compétences, formation, financements, services d’appui et relations extérieures. Cela peut prendre différentes formes, du renforcement des pépinières d’entreprises au développement de PME dans les industries innovantes de haute technologie en passant par l’organisation de formations à des compétences bien spécifiques. Il appartient par ailleurs au législateur de simplifier les procédures de création d’entreprise, d’enregistrement, d’obtention des permis, de respect des contrats et de recrutement des salariés pour instaurer un environnement des affaires porteur.
Les jeunes de la région MENA ont un niveau d’instruction relativement élevé de sorte que des programmes conçus pour combler le fossé entre l’offre et la demande dans des secteurs à forte valeur ajoutée pourraient obtenir un rendement plus qu’honorable. Mais chacun sait que, sans financement, aucune entreprise ne peut se développer. Ce qui nécessite l’intervention d’acteurs prêts à financer des start-up et des MPME à développement rapide – business angels, capital-risqueurs ou apporteurs de capitaux d’amorçage. Cela signifie aussi d’investir dans les infrastructures financières (garanties d’emprunts et agences d’évaluation du crédit par exemple), d’améliorer la concurrence et l’efficacité dans le secteur bancaire et de concevoir des stratégies d’intégration financière visant explicitement les MPME.
Aussi ambitieuses soient-elles, ces préconisations sont parfaitement réalisables. Toutes sont urgentes. Et elles seront déterminantes pour permettre à la jeunesse de la région MENA d’exprimer tout son potentiel.
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