Dans le maelström qui s’est emparé du Moyen-Orient, lors du Printemps arabe, figurait l’exigence d’un État plus transparent, équitable et responsable. Depuis ces soulèvements, les experts qui réfléchissent à la transition démocratique se heurtent aux questions suivantes : comment systématiser la culture de responsabilisation et de gouvernance démocratique[i] ? Comment « institutionnaliser » le dynamisme de ces mobilisations populaires et en faire un pouvoir capable de contrôler les gouvernants ?
La solution réside dans la surveillance de l’action publique par les citoyens et les acteurs de la société civile. Pour consolider les avancées réalisées sous la pression de la rue, il pourrait en effet se révéler indispensable de renforcer les capacités des citoyens à superviser ceux qui assurent les services publics. Si les réformes politiques et économiques ont généralement l’État pour centre névralgique, une gouvernance efficace exige aujourd’hui une participation accrue des citoyens et des conseils locaux, lesquels interpelleraient directement leurs représentants afin de faire avancer la transparence dans le service public.
Où en sont les jeunes aujourd'hui, 3 ans après le printemps arabe ?
Dans les pays arabes, cette responsabilisation sociale serait tout particulièrement bienvenue en matière de réforme des subventions. La Banque mondiale a récemment publié un rapport qui préconise la réforme du système des subventions dans la région, au regard de leur caractère régressif sur le plan social et de leur faible rentabilité [iii].
Les subventions à l’énergie, qui sont pratiquées dans l’ensemble de la région, représentent en moyenne 4,5 % du produit intérieur brut (PIB) et profitent surtout aux ménages dont les revenus sont les plus élevés, alors que seul 0,8 % du PIB est affecté à des programmes d’aide sociale non subventionnés [iv], ce qui prive les plus démunis d’une allocation de subsistance, notamment les enfants et les habitants des zones rurales.
Si la plupart des États jugent la suppression des subventions à l’alimentation trop délicate sur le plan politique, une réforme progressive des subventions à l’énergie pourrait être plus réaliste, à la condition de l’assortir de mesures qui atténueraient son impact sur les populations les plus vulnérables.
Auparavant, les pouvoirs publics décidaient seuls de l’arrêt des subventions, ce qui avait tendance à mécontenter de larges pans de la société qui en étaient devenus tributaires. La suppression de ces subventions ne s’accompagnait jamais de mécanisme compensatoire qui aurait permis aux plus défavorisés d’en supporter le choc [v].
Pour beaucoup de familles arabes, ces subventions constituent un filet de sécurité essentiel. Selon un récent sondage de Gallup pour la Banque mondiale, la plupart des individus sondés en Égypte, en Jordanie, au Liban et en Tunisie pensent que les dispositifs sociaux devraient « principalement viser les pauvres, sous la forme de transferts en espèces », plutôt qu’en faire bénéficier l’ensemble de la population.
Ce paradoxe, entre, d’une part, une résistance féroce à toute réforme des subventions de la part des pouvoirs publics, et de l’autre, une volonté manifeste du plus grand nombre de faire que les programmes sociaux bénéficient plus aux pauvres, peut s’expliquer par la défiance et l’absence de dialogue entre décideurs politiques et citoyens [vi]. Cette situation pourrait se résorber par une plus grande participation des citoyens à l’élaboration des programmes d’aide sociale.
Les résultats du sondage laissent entendre qu’une implication plus active de la population dans l’organisation des programmes de réduction de la pauvreté serait la bienvenue. En mettant en place un dispositif de suivi social qui consisterait à recueillir l’avis des intéressés sur les réformes, et serait soit dirigé soit avalisé par les citoyens eux-mêmes, on pourrait désamorcer certaines tensions sociales qui accompagnent généralement la suppression des subventions des denrées de base et des services par le gouvernement. Cette initiative pourrait également améliorer les prestations du service public à destination des plus nécessiteux et contribuer à l’instauration d’une culture de transparence et de responsabilisation publique qui se prolongerait au-delà du processus de réforme.
Après cette première étape, qui consiste à recueillir l’avis des citoyens, il s’agit en effet d’évaluer l’action publique, en général, et celle de la réforme des subventions, en particulier, ce qui pourrait s’effectuer au moyen des actions suivantes :
- établir des conseils composés d’acteurs locaux de la société civile et de citoyens pour contrôler les dépenses publiques engagées par une municipalité, au début et au terme de chaque exercice budgétaire ;
- sonder la population locale par la distribution de questionnaires sur la qualité des prestations de service public ;
- instaurer un suivi sur le terrain de la qualité des prestations de service public par les conseils locaux citoyens ;
- organiser des audiences publiques avec la présence d’agents de l’État, de prestataires de service public et de représentants de la société civile pour aborder des questions spécifiques ayant trait à l’inefficacité du secteur public.
Les avantages seraient multiples : de tels dispositifs de surveillance pourraient améliorer la prestation des services publics à l’intention de ceux qui en ont le plus besoin ; rétablir la confiance dans l’action du gouvernement ; et encourager la coopération entre l’État et les acteurs de la société civile afin de remédier aux insuffisances des services publics.
Autrement dit, l’introduction de mécanismes de contrôle citoyen appliqués aux programmes d’aide sociale offrirait aux peuples arabes la possibilité de prendre en main leur destin social, politique et économique.
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