Publié sur Voix Arabes

Pour la première fois, une étude exhaustive analyse les risques climatiques qui pèsent sur le secteur bancaire du Maroc

Vue de la vallée de l'Ourika au Maroc. (Shutterstuck) Vue de la vallée de l'Ourika au Maroc. (Shutterstock.com)

Le Maroc est aux prises avec d'importants défis liés au changement climatique. En tant qu'un des pays du monde où le stress hydrique est le plus important, les tensions dues à la sécheresse s'accroissent, ce qui affecte gravement le secteur agricole en particulier. En outre, la menace d'une intensité et d'une fréquence accrues des inondations pèse sur ses principaux centres urbains. Ces aléas climatiques posent des risques non seulement pour la population, les infrastructures et l'économie en général, mais aussi pour la stabilité et la solidité du secteur bancaire, un moteur essentiel de la croissance économique du pays, dont les actifs représentent 138 % du PIB. 

 

Dans le cadre d'une collaboration innovante, et avec le soutien de l'Agence française de développement (AFD), la Banque mondiale et la banque centrale du Maroc, Bank Al Maghrib (BAM), ont étudié l'impact des risques climatiques sur le secteur bancaire marocain. Ces travaux ont débouché sur la première analyse complète des risques climatiques physiques et risques climatiques de transition pour le secteur financier en Afrique, l'une des rares études menées dans les marchés émergents à l'échelle mondiale. À partir de différents modèles climatiques et macro-financiers, un test de résistance au risque climatique a été réalisé pour quantifier les effets des sécheresses et des inondations sur l'économie et le secteur bancaire du Maroc, et pour évaluer l'impact d'une transition énergétique sur l'exposition au risque de crédit. Il s'agit ainsi de l'une des premières analyses de l'exposition du secteur financier aux risques de sécheresse induits par le changement climatique.  

Le rapport montre que le dérèglement du climat pourrait sérieusement amplifier les préjudices financiers causés par les sécheresses et les inondations au Maroc, avec des impacts notables sur les pertes des banques dans le cas des sécheresses. Plus d'un tiers des portefeuilles de crédit des banques sont particulièrement exposés aux risques climatiques physiques (voir également le rapport de la Banque mondiale sur le climat et le développement au Maroc, 2022), principalement en raison des prêts accordés dans les secteurs de l'agriculture, de l'agroalimentaire et du tourisme, ainsi qu'aux ménages vivant dans des zones vulnérables. Selon les divers scénarios de sécheresse, les impacts économiques s’échelonnent entre 4,2 milliards de dollars (sécheresse historique à récurrence de 500 ans) et 7 milliards de dollars (sécheresse à récurrence de 500 ans dans un scénario de changement climatique grave — RCP 8.5 — en 2050), faisant perdre de 1,8 à 3,5 points de pourcentage au PIB tout en réduisant le ratio d'adéquation des fonds propres des banques de 1,3 à 2,2%. L'analyse met en évidence les effets d'amplification significatifs du changement climatique dans tous les scénarios. Les inondations pourraient même causer des dommages compris entre 8 milliards de dollars (inondation pluviale à récurrence de 500 ans) et 10,5 milliards de dollars (RCP 8.5, 2050), réduisant le PIB de 1,6 à 2,2%. Toutefois, contrairement aux sécheresses qui se prolongent, les inondations sont de courte durée et n'ont qu'un faible impact sur les pertes sur prêts et le capital des banques (voir graphique).

 

Le changement climatique pourrait accroître de manière significative les préjudices financiers dus aux sécheresses et aux inondations

Projection des préjudices dus aux sécheresses et aux inondations au Maroc selon des scénarios historiques et climatiques (en milliards de dollars) pour des périodes de récurrence de 500 ans

 

% Pourcentage d'aggravation des préjudices estimés entre les scénarios historiques et RCP 8.5 (2050)

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Source : D'après Banque mondiale et BAM (2024).
Note : Les RCP (Representative Concentration Pathways) sont des scénarios qui décrivent la trajectoire des émissions de GES et leurs impacts sur le climat. Le RCP 4.5 est un scénario intermédiaire dans lequel les émissions atteignent un pic en 2040, tandis que le RCP 8.5 est un scénario à fortes émissions qui vont en augmentant, ce qui conduit à un réchauffement climatique important.

Le capital du secteur bancaire peut également être compromis, en particulier par les sécheresses

Impacts des inondations et des sécheresses sur le ratio d'adéquation des fonds propres du secteur bancaire selon des scénarios historiques et climatiques pour différentes périodes de récurrence (PR), en points de pourcentage

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Source : D'après Banque mondiale et BAM (2024).
Note : Les impacts sur le ratio d'adéquation des fonds propres sont basés sur un exercice de macro-modélisation visant à simuler les conséquences des scénarios catastrophiques simulés sur une variété de variables macroéconomiques. Les résultats présentés ici sont un sous-ensemble des scénarios qui ont été simulés. Les autres scénarios comprennent des scénarios d'impact sévère pour 2030 (RCP 8.5) et des scénarios d'impact moyen pour 2030 et 2050 (RCP 4.5). Les impacts évalués des autres scénarios se situent tous dans les limites supérieures et inférieures des projections du graphique. La période de récurrence annuelle (PR) est un concept statistique utilisé pour estimer la probabilité d'un événement catastrophique, tel qu'une sécheresse ou une inondation. Par exemple, si une sécheresse a une période de récurrence de 100 ans (PR 100), cela signifie qu'il y a 1% de chances (1 sur 100) que cette sécheresse se produise au cours d'une année donnée.

Le secteur bancaire marocain pourrait aussi subir des risques de transition liés aux changements de politique et à l'augmentation des émissions de gaz à effet de serre, malgré la faible part d'émissions de ce pays dans le monde (0,16%). Les émissions au Maroc augmentent, ce qui peut accroître les risques de transition pour les secteurs à forte intensité de carbone tels que la production d'électricité, les transports, l'exploitation minière, l'agriculture, l'industrie manufacturière et les services publics. Le Mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) de l'Union européenne, qui impose des droits de douane sur certains produits à forte intensité de carbone, pose également des risques supplémentaires pour des industries telles que le ciment et l'aluminium, étant donné l'importance des échanges commerciaux du Maroc avec l'UE. Le rapport conclut que 24,3% du total des prêts et 43,6% des crédits aux entreprises non financières sont liés aux secteurs sensibles à la transition, une proportion relativement élevée par rapport à d'autres pays. Une évaluation de la vulnérabilité montre qu'une taxe carbone de 75 dollars/tCO2 pourrait augmenter le risque de crédit pour 8,4% des prêts aux entreprises, ce qui équivaut à 3,1% des actifs du secteur bancaire.

Les résultats de l'analyse des risques climatiques doivent néanmoins être considérés avec prudence en raison des incertitudes liées aux estimations et des limites méthodologiques. L'impact du changement climatique sur le secteur bancaire peut être sous-estimé en raison des difficultés à modéliser les points de basculement du climat et l'interaction entre les conséquences macroéconomiques, financières et climatiques. Les données limitées et les différentes approches de modélisation pourraient compromettre la précision de l'évaluation, la rendant plutôt exploratoire et sujette à des ajustements à mesure que la compréhension des risques climatiques progresse.

Le rapport souligne que si l'impact global du climat sur le secteur bancaire est gérable, les répercussions financières varient d'une banque à l'autre, ce qui exigera une vigilance accrue de la part des institutions financières et de la banque centrale. Les conséquences des risques matériels et de transition présentent une grande disparité d'une institution à l'autre, affichant des valeurs extrêmement basses ou élevées selon la concentration géographique et sectorielle des prêts dans les portefeuilles. Le rapport insiste sur la nécessité pour les banques marocaines d'intégrer les risques climatiques dans leurs dispositifs de gestion des risques et de gouvernance. En attendant, la BAM réagit en élaborant des orientations prudentielles plus détaillées pour les banques, notamment en ce qui concerne les tests de résistance et les rapports. Elle cherche ainsi à intégrer les risques climatiques dans ses pratiques de supervision, en s'alignant sur les normes mondiales telles que les principes de gestion des risques climatiques du Comité de Bâle et les exigences de divulgation liées au développement durable des normes IFRS.

La Banque mondiale poursuivra sa collaboration avec la BAM et d'autres régulateurs nationaux et partenaires internationaux tels que le Conseil de stabilité financière et le Réseau pour le verdissement du système financier, afin d'améliorer les méthodes d'évaluation et d'intégrer les risques climatiques dans les méthodes de supervision pour améliorer la résilience des secteurs financiers face aux chocs climatiques. Ce soutien s'inscrit dans le cadre de l'assistance technique globale fournie par la Banque mondiale à plus de 60 pays pour la gestion des risques financiers liés au climat et la promotion des financements climatiques.


Nadir Mohammed

Directeur régional Croissance équitable, finance et institutions pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord

Jean Pesme

Directeur, Pôle mondial d'expertise en Finance

Martijn Regelink

Spécialiste principal du secteur financier

Reda Aboutajdine

Économiste du secteur financier

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