L’apprentissage par les pairs est un moyen efficace de partager connaissances et bonnes pratiques. Mais il faut pour cela disposer d’un environnement propice. Dans le cas qui nous occupe – l’action se passe en Géorgie – le succès s’explique par la composition du public, la qualité des hôtes et la pertinence des expériences. Ajoutez le beau temps et les mets savoureux, et vous tenez la recette idéale.
Les membres de la communauté de pratique des pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient (MENA) sur l’emploi et les filets de protection sociale qui viennent de faire le voyage à Tbilissi (Géorgie) misaient beaucoup sur cette forme d’apprentissage mutuel. Composée de fonctionnaires de sept pays (Iraq, Jordanie, Liban, Maroc, Territoires palestiniens, Tunisie et Yémen), la délégation souhaitait pouvoir étudier de plus près la méthodologie adoptée par le pays hôte pour cibler les bénéficiaires de l’aide sociale en fonction du patrimoine (PMT pour proxy means testing). Une série de rencontres, d’exposés et de discussions internes ont été organisés à cette occasion [1].
Pour tirer un bénéfice maximal de l’opération, le pays hôte devait avoir mené avec succès une expérience susceptible d’inspirer les participants.Dans le cas précis, il fallait pouvoir également répondre aux attentes en termes d’apprentissage de sept pays aux profils, niveaux de revenu et avancement des programmes d’aide sociale différents. Après d’intenses discussions, le choix s’est porté sur la Géorgie, pour trois grandes raisons : (i) ses réformes des programmes d’aide sociale sont récentes et leur application fait encore l’objet d’ajustements ; (ii) ce pays à revenu intermédiaire inférieur se situe au milieu de la fourchette des revenus des pays participants ; et (iii) comme la plupart des membres de la communauté de pratique de la région MENA, son histoire est émaillée de retournements politiques, économiques et sociaux – un passé qui complique les réformes et exerce une pression supplémentaire sur la prestation de services.
Qui se ressemble s’assemble
Réunir la délégation idéale n’était pas non plus évident. Partant du principe « qui se ressemble s’assemble », ce voyage voulait engendrer un apprentissage mutuel entre participants et auprès de leurs homologues géorgiens. Après de multiples contacts avec des collègues et des partenaires locaux, nous avons retenu douze personnes, qui se sont révélées être autant de militants de la cause de l’aide sociale. Travaillant pour le gouvernement central et les collectivités locales sur les politiques et les programmes, ces fonctionnaires ont été impliqués dans les réformes de leurs pays. La seule femme du groupe était la responsable exécutive du programme de transfert monétaire des Territoires palestiniens, réputé pour son efficacité. Sa présence avait le double mérite d’assurer la diversité des points de vue et de permettre un précieux échange d’expérience. Toutes les discussions se sont tenues en arabe, pour garantir une interaction maximale, et nous avons réussi à mettre la main sur le seul interprète géorgien-arabe du pays.Les participants avaient par ailleurs en commun la langue de « l’aide sociale ».
Mes inquiétudes préalables se sont évanouies sur place face à la rapidité avec laquelle le groupe a trouvé sa cohésion et la qualité des rapports avec les responsables géorgiens. La délégation a pu rencontrer des fonctionnaires du ministère de la Santé, du travail et de la protection sociale, de l’Agence pour les services sociaux, de la ville de Tbilissi et d’un certain nombre d’autres institutions.Malgré les différences de culture, chaque délégué s’est vite senti concerné par l’expérience géorgienne, ceux déjà adeptes de l’approche PMT y trouvant des idées pour pallier les insuffisances de leur programme et ceux soucieux de faire évoluer les choses bénéficiant de la feuille de route établie par la Géorgie. Tous ont salué les efforts héroïques de l’ancien ministre de la Santé, à qui le pays doit ses réformes et qui était venu partager son expérience, évoquant les résistances rencontrées, les risques pris et sa détermination à réussir. Face à la diversité des dialectes arabes employés, l’énergie folle et la volonté d’apprendre des délégués, je me suis presque crue à la finale d’Arab Idol (un concours de chant inspiré du Pop Idol britannique). Sauf que les stars n’étaient pas celles de la pop arabe mais bien les fonctionnaires géorgiens !
Les discussions se sont poursuivies le soir, autour de Khachapuri, ces galettes de pain fourrées au fromage, et de brochettes de mouton ou Shisklik. Les délégués palestinien et yéménite, qui appliquent déjà la PMT, ont échangé rapports et manuels, demandant à l’équipe de la communauté de pratique de bien vouloir organiser des voyages officiels dans leurs pays respectifs afin de voir de plus près comment chacun des systèmes fonctionne. Interrogés sur la plus-value apportée par la diversité du groupe, tous les délégués ont fait part de leur appréciation positive, séduits par la qualité des interactions.
Nos hôtes géorgiens ont parfaitement répondu aux attentes, faisant part de leur expérience sans tabous ni mystères et insistant sur le fait que la PMT ne peut en aucun cas éradiquer la pauvreté. Certes, elle permet d’identifier les plus pauvres, mais cela ne suffit pas : (i) pour que ceux-ci puissent briser le cercle vicieux de la pauvreté, il faut augmenter l’aide financière ; (ii) pour pouvoir gérer les ressources et hiérarchiser les services de manière optimale, il faut impérativement créer un système national et unifié d’enregistrement ; et (iii) pour rectifier les erreurs du système, qui ne couvre pas tous les bénéficiaires, il faut introduire un dispositif de gestion des doléances. Ce sont là quelques-uns des messages que les Géorgiens avaient tenus à nous faire passer. Le fait qu’ils émanent de praticiens leur donne une teneur particulière et beaucoup plus de poids que n’importe quel rapport ou exposé insistant sur ces aspects. À la fin de ce séjour, tous les participants ont confirmé leur intérêt pour la PMT. Pour au moins quatre des sept pays concernés, qui en l’utilisent pas encore, j’aimerais croire que cette expérience les incitera à engager une réflexion nationale sur leurs politiques et programmes d’aide sociale.
Merci à la communauté de pratique de la région MENA, sans qui cette découverte aurait été impossible. Et Didi madloba (mille mercis) à la Géorgie, notre Nouvelle Star !
[1] Ce voyage d’études était codirigé par Samira Hillis (responsable opérationnel senior) et Rania Atieh (consultante) de l’équipe en charge de la protection sociale et du travail au sein de la Région Moyen-Orient et Afrique du Nord de la Banque mondiale.
Prenez part au débat