Partout dans le monde, les femmes continuent d’être défavorisées par rapport aux hommes, et la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA) n’échappe pas à ce constat. Mais ce constat y cache un paradoxe saisissant : tandis que les pays de la région MENA ont accompli, pour la plupart d’entre eux, des progrès admirables dans la lutte contre les inégalités filles-garçons dans l’éducation et la santé, ces investissements dans le développement humain ne se sont pas traduits par des taux de participation féminine dans la vie politique et économique proportionnellement aussi élevés.
Par exemple, les taux de participation des femmes à la vie active plafonnent à 25 %, ce qui représente la moitié seulement de la moyenne mondiale et le taux le plus bas parmi les régions du monde.
Un nouveau rapport intitulé "Opening Doors: Gender Equality in the Middle East and North Africa region" démonte ce paradoxe et met en évidence un ensemble complexe d’entraves économiques, sociales et juridiques qui empêchent les femmes de s’engager dans la sphère publique sur un pied d’égalité avec les hommes. Les pays de la région dépendent depuis longtemps du secteur public pour la création d’emplois, et cela vaut surtout pour le travail féminin. Or cette source d’emplois s’amenuise sous l’effet des pressions budgétaires auxquelles sont soumis les pays. En outre, les emplois générés par le secteur privé n’ont pas permis d’absorber l’afflux des jeunes demandeurs d’emploi, du fait notamment de la médiocrité de l’enseignement et de l’inadéquation criante des compétences acquises à l’école avec celles demandées par le secteur privé. Or, dans cet environnement déjà globalement limité, les femmes de la région MENA sont confrontées à des difficultés supplémentaires. Leur mobilité et leur insertion sociale sont considérablement restreintes du fait des cadres juridiques, des normes sociales et culturelles et des réglementations limitant leur participation à la vie professionnelle et politique. Le rapport, qui sera lancé le mois prochain, souligne l’urgence des réformes et la nécessité d’une action résolue pour relever les défis de l’égalité hommes-femmes dans la région.
Les femmes de la région MENA sont à un tournant décisif
De nombreux pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord vivent aujourd’hui une transformation profonde. Du Maroc au Yémen, les mouvements populaires qui ont balayé la région exigent des gouvernants qu’ils mettent en place des réformes pour aller vers des régimes plus inclusifs et comptables de leurs actions, pour étendre les libertés économiques et sociales et pour stimuler les possibilités d’emploi. Les jeunes, garçons et filles confondus, ont été en première ligne des revendications pour le changement, manifestant ainsi leur désir de participer activement à la sphère politique. Tandis que de nouveaux gouvernements ont été investis en Tunisie et en Égypte et que des élections seront très probablement organisées ailleurs, les populations continuent de manifester en faveur d’un changement constructif. Il est clair à présent que la perspective d’un changement rapide que le Printemps arabe avait laissée entrevoir à son origine a cédé la place à un processus de transformation progressive qui prendra des mois, voire des années.
Quelle forme cette transformation sociale revêtira-t-elle dans le sillage de révolutions aux degrés d’aboutissement variables selon les pays ?
La question n’est pas tranchée. Face à la pression populaire appelant à plus d’ouverture et d’inclusion, les gouvernements de transition tunisien et égyptien se sont tournés vers des réformes électorales et constitutionnelles destinées à approfondir la démocratie. De telles réformes peuvent être l’occasion d’améliorer l’insertion économique, sociale et politique des femmes. L’issue semble cependant incertaine. Alors que la Tunisie a imposé que les listes électorales comprennent un nombre égal de candidats de chaque sexe, les femmes ont obtenu un quart des sièges dans l’Assemblée constituante. En Égypte, des millions de femmes sont allées voter aux dernières élections législatives mais elles ne sont que 2 % à avoir été élues à la chambre basse du Parlement. De surcroît, dans l’ensemble de la région, on s’inquiète de ce que les efforts entrepris pour faire progresser les droits des femmes ne soient interrompus voire remis en cause à la faveur de l’arrivée au pouvoir de nouveaux gouvernements. Dans ce contexte, il apparaîtra de plus en plus important de préserver, à défaut de plus, les acquis des réformes passées. Et pourtant, parallèlement, le monde a reconnu le rôle des femmes arabes comme catalyseurs de changements, en décernant le prix Nobel de la paix à Tawakel Karman : première Yéménite, première femme arabe et plus jeune lauréate à recevoir cette distinction.
Le changement, c’est maintenant.
Lors des consultations menées à travers la région pour l’élaboration du rapport, les femmes ont exprimé leur désir de travailler et regretté le manque d’opportunités d’emploi, en revenant sur les entraves qui découlent des cadres juridiques et réglementaires et des normes sociales traditionnelles auxquelles elles sont soumises. Leurs préoccupations quant à une possible régression des droits des femmes et des lois qui régissent leur capacité à exercer leurs choix, à se déplacer librement et à se réaliser socialement et professionnellement ont constitué un thème grave et récurrent des discussions. Face à ce sentiment populaire, les pays de la région MENA ne peuvent plus être complaisants. Ils ont une occasion de renforcer la productivité et la cohésion sociale en donnant aux femmes la chance de participer pleinement à la sphère publique. Cette occasion, ils ne doivent pas la laisser passer.
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