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Changer de vitesse : le secteur privé peut être un moteur de croissance dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord

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Changer de vitesse : le secteur privé peut être un moteur de croissance dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord Des jeunes gens travaillent en Jordanie dans l'entreprise Tamatem. (World Bank/NAF)

L’économie mondiale est confrontée à une très grande incertitude qui assombrit les prévisions économiques. Dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA), la croissance a été modeste en 2024, pour ressortir à 1,9 % seulement ; elle devrait s’accélérer légèrement pour atteindre 2,6 % en 2025, selon notre dernier bulletin d’information économique régional (a) publié au mois d’avril.

Figure 1 : Un environnement politique de plus en plus incertain

Panneau A. Indice mondial d’incertitude des politiques économiques Panneau B. Incertitude des politiques économiques par catégorie
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Source : Baker et al., « Measuring Economic Policy Uncertainty », www.PolicyUncertainty.com.

Le rapport recense les canaux par lesquels cette incertitude est susceptible d’affecter l’économie. L’aggravation de l’incertitude autour des politiques commerciales pourrait influer de manière négative sur les décisions du secteur privé, en particulier en ce qui concerne les investissements, l’entrée et la sortie des marchés, ainsi que la productivité. À court terme, la baisse de la demande des principaux marchés d’importation pourrait avoir une incidence négative sur les pays exportateurs de la région MENA qui sont mieux intégrés dans les marchés internationaux — même si la libéralisation et l’intégration des échanges sont généralement associées à une croissance plus forte à long terme (figure 2).

Les pays dont les exportations pétrolières sont importantes sont plus vulnérables à l’évolution des marchés pétroliers mondiaux, à la fois en raison de l’impact des chocs commerciaux sur la demande mondiale et des ajustements de l’offre. La vulnérabilité aux chocs commerciaux peut aussi être plus grande lorsque les exportations sont concentrées sur quelques produits ou quelques partenaires commerciaux, le manque de diversification limitant la capacité de l’économie à absorber les chocs qui touche un secteur ou un pays particulier.

Dans le même temps, la possibilité pour les pays de se spécialiser dans des secteurs où ils possèdent un avantage comparatif peut conduire à une allocation mondiale des ressources plus efficace, à des gains globaux en matière de productivité et de rémunération, ainsi qu’à la création d’emplois. Dans ces dimensions, la libéralisation et l’intégration du commerce sont généralement associées à une croissance et à un développement économique plus élevés à long terme. 

Figure 2 : Composition des échanges commerciaux au Moyen-Orient et en Afrique du Nord

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Source : Calculs des services de la Banque mondiale à partir des données de la Base pour l’analyse du commerce international (BACI) du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII). Banque mondiale, Indicateurs du développement dans le monde (WBI).

À plus long terme, les chocs commerciaux subis par d’autres pays pourraient également toucher indirectement la région MENA par le biais d’une réorientation des échanges. La réorientation des schémas commerciaux mondiaux pourrait offrir aux pays de la région MENA des opportunités dans des produits clés ou des segments essentiels de différentes chaînes de valeur, leur permettant de tirer davantage parti de leur proximité avec les grands marchés de l’Union européenne. Ces évolutions dépendront de la conjoncture économique mondiale ainsi que des réponses stratégiques des principaux partenaires commerciaux des économies de la région MENA.

Les chocs météorologiques, la volatilité des marchés mondiaux du pétrole, la fragilité, le ralentissement éventuel de la demande mondiale et l’environnement politique mondial de plus en plus incertain sont autant de facteurs qui viennent s’ajouter à un long historique de faible croissance dans la région MENA. Depuis 2000, la croissance du PIB dans la région MENA est inférieure à la moyenne des pays à revenu comparable. 

Cette croissance économique atone est imputable en grande partie à la mauvaise performance du secteur privé. La croissance de la productivité du travail est nettement en baisse dans la région. Le taux annuel de croissance de l’emploi est inférieur à celle des pays à revenu comparable. Peu d’entreprises investissent et innovent. Les marchés enregistrent peu d’entrées et peu de sorties (figure 3).

En outre, le fossé reste important entre un secteur privé formel peu développé et une vaste économie informelle. Malgré une scolarisation accrue — les taux d’achèvement du premier cycle de l’enseignement secondaire atteignent en moyenne près de 70 % —, la région se caractérise par une sous-utilisation de son capital humain. Les femmes sont pour l’essentiel exclues du marché du travail.

Pour toutes ces raisons, le secteur privé de la région MENA est mal préparé à absorber des chocs tels que ceux provoqués par les conflits et les phénomènes météorologiques extrêmes, même si certains signes montrent que les entreprises parviennent à s’adapter à l’adversité.

Figure 3: Productivity, investment and formal training

Panneau A. Croissance des ventes par travailleur dans la région MENA et dans les groupes de revenu

MENA : -8, Intermédiaire inf. : -0,4, Intermédiaire sup. : 0,4, Élevé : 2,4

Panneau B. Proportion d’entreprises investissant dans le capital physique

MENA : 21,7, Intermédiaire inf. : 36,7, Intermédiaire sup. : 39,6, Élevé : 50,7

Panneau C. Peu d’entreprises de la région MENA offrent une formation structurée

MENA : 14,5, Intermédiaire inf. : 30,1, Intermédiaire sup. : 34,3, Élevé : 41,1

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Source : Calculs des services de la Banque mondiale, à partir de données des Enquêtes auprès des entreprises de la Banque mondiale.

Pour stimuler la performance du secteur privé, les États de la région devront probablement redéfinir leur rôle. Les pouvoirs publics interagissent avec les marchés de plusieurs manières : ils emploient de la main-d’œuvre, détiennent des entreprises, définissent l’environnement des affaires et pilotent la politique industrielle. Le fait d’encourager la concurrence sur les marchés, d’uniformiser les règles du jeu pour les entreprises privées et affiliées à l’État et de faciliter la mise en place d’un environnement favorable aux entreprises pourrait contribuer grandement à libérer le potentiel de croissance de la région.

Le libre accès aux données et l’élaboration de politiques fondées sur des données probantes pourraient éclairer la voie à suivre, y compris l’évaluation constante de la politique industrielle, un sujet qui retient l’attention des responsables de l’action publique et des économistes du monde entier. 

Parallèlement, les entreprises peuvent renforcer leurs capacités en mobilisant les talents. Au niveau de la marge intensive, l’amélioration des pratiques de gestion — qui représentent approximativement un tiers de l’écart de productivité globale des facteurs entre l’économie la plus performante et les autres pays — peut ouvrir la voie à encore plus d’innovation et de croissance. Au niveau de la marge extensive, les entreprises peuvent dénicher plus de talents en attirant des femmes à des fonctions de direction, qui à leur tour embaucheront davantage de femmes.

La région MENA a le taux d’activité féminine le plus bas au monde — 19 %, bien loin de la moyenne mondiale (49 % en 2023). Des travaux de recherche indiquent que la réduction des disparités entre les hommes et les femmes en matière d’emploi pourrait augmenter le revenu par habitant de 50 % environ dans l’économie type de la région.

De nouvelles données indiquent également que le fait de promouvoir un plus grand nombre de femmes à des fonctions de direction pourrait amener davantage de femmes à intégrer la population active. Dans la région MENA, en moyenne, la proportion d'employées féminines est presque deux fois plus élevée dans des entreprises dirigées par des femmes, quel que ce soit le secteur d’activité (figure 4).

Toutefois, les pays de la région MENA comptent moins d’entreprises ayant des femmes à des fonctions de haute direction que les pays à revenu comparable d’autres régions. Même en Arabie saoudite, où des réformes importantes qui ont augmenté la participation des femmes au marché du travail ont été mises en œuvre, seules 2,95 % des entreprises ont une femme à leur tête, beaucoup moins que la moyenne de 18,7 % dans les pays à revenu élevé.

Figure 4 : Les femmes à des postes de direction sont rares, mais elles recrutent davantage de femmes

Panneau A. Pourcentage d'employées féminines selon que l’entreprise est dirigée par un homme ou par une femme Panneau B. Pourcentage d’entreprises dont la direction est assurée par une femme
The World Bank The World Bank

 

Source : Calculs des services de la Banque mondiale, à partir de données des Enquêtes auprès des entreprises de la Banque mondiale.

Des interventions publiques seront nécessaires pour accroître la présence des femmes aux postes de direction dans les pays où il est peu probable que les hommes acceptent de travailler aux côtés de femmes, et encore moins d’être encadrés par elles. Au cours des cinq dernières décennies, la région MENA a régulièrement obtenu le score le plus bas dans l’indice WBL (Les femmes, l’Entreprise et le Droit), preuve que malgré des évolutions récentes dans la bonne direction, il subsiste de nombreuses lois qui favorisent les hommes par rapport aux femmes.

Des politiques publiques visant à remédier à certains des problèmes structurels auxquels les femmes sont confrontées, telles que la réforme des lois discriminatoires, pourraient contribuer à augmenter le nombre d’entreprises dirigées par des femmes.

En résumé, le secteur privé représente une source majeure de croissance de la productivité, d’innovation et d’emplois dans le monde entier. Or, dans la région MENA, le secteur privé manque de dynamisme. En raison d’une productivité limitée et de marchés segmentés, les entreprises de la région MENA sont mal préparées à absorber des chocs tels que ceux provoqués par les conflits et les phénomènes météorologiques extrêmes. Un avenir meilleur est cependant à portée de main, à condition que les États redéfinissent leur rôle et que les entreprises de la région exploitent efficacement les talents.

 

Cet article a été publié en mai 2025 par l’Economic Research Forum (ERF). Il est disponible dans sa version originale à l’adresse suivante :

https://theforum.erf.org.eg/2025/05/27/shifting-gears-how-the-private-sector-can-be-an-engine-of-growth-in-mena/

 

Roberta Gatti

Économiste en chef, Moyen-Orient et Afrique du Nord

Asif Islam

Économiste principal

Jesica Torres

Senior Economist with the Chief Economist Office for MENA, World Bank

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