Publié sur Voix Arabes

Comment survivre à la révolution et s’épanouir… à terme

ANSA Conférence à Rabat - Photo : Arne HoelPour les citoyens du monde arabe - et sans doute surtout pour les jeunes -, l’après-révolution s’apparente à une douche froide. Les difficultés sont impressionnantes, l’excitation née du réveil populaire est retombée et certains en viennent même se demander si la révolution a vraiment eu lieu… Dans ce contexte, des voix venues d’ailleurs peuvent ressusciter la confiance. C’est le cas de celle de Dewi Fortuna Anwar, du cabinet de la vice-présidence indonésienne, qui revient sur l’histoire récente de son pays, où se mêlent indépendance, démocratie et dictature.

« Rien ne garantit qu’un pays devenu démocratique le reste », a-t-elle déclaré à Rabat devant un parterre composé d’organisations de la société civile. Les équipes de  équipes égyptiennes, jordaniennes, libanaises, marocaines, palestiniennes, tunisiennes et yéménites représentaient ceux qui se battent pour faire entendre leur voix et leur opinion dans leur pays, un an après le « printemps » arabe et quelle que soit finalement la saison... Certes, Rabat est en pleine floraison mais l’ambiance au Moyen-Orient et en Afrique du Nord (MENA) est nettement plus sombre qu’au début de l’année 2011. Des représentants du secteur privé et quelques responsables gouvernementaux avaient aussi fait le déplacement à l’occasion de cette conférence de quatre jours pour tenter de comprendre comment on peut améliorer l’interaction des citoyens avec l’État et de combler les immenses failles qui ont provoqué la chute de plusieurs régimes dernièrement.

Qui mieux que Dewi Fortuna Anwar aurait pu nous guider ?

Elle a rappelé trois enseignements fondamentaux : « Il faut un environnement international et régional propice ; il faut une réelle volonté politique à l’échelle du pays pour réunir les conditions favorables ; et il faut que les citoyens veuillent et puissent s’engager ». C’est ce dernier point qui nous intéresse avant tout ici : comment construire, développer et informer cette citoyenneté.

Dewi Fortuna Anwar a souligné les causes de l’échec de la démocratie naissante en Indonésie dans les années 1950, où, en dépit de l’engagement des citoyens, les profondes divisions de la société avaient ouvert un boulevard à la junte militaire. Puis, de succès économique en succès économique, le pays est devenu l’un des tigres d’Asie. Mais, comme aucune force politique et sociale ne venait contrebalancer cette expansion, l’État a perdu toute sa légitimité lorsque la crise financière de 1997 a fait voler en éclats le pilier économique.

La démocratie, comme l’a rappelé Dewi Fortuna Anwar, ne se résume pas à des élections libres ni à savoir « qui est redevable de quoi ». Pour elle, l’énergie des jeunes manifestants de son pays ou le mouvement Pouvoir du peuple aux Philippines sont les moteurs qui ont permis d’ouvrir les portes. « C’est bien beau d’entrer, mais vous faites quoi, ensuite ? ».

Une question brûlante pour ce public originaire des pays de la région du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord : beaucoup sont en effet dans la place désormais… Et ensuite ? D’où cette rencontre à Rabat, organisée par la Banque mondiale et CARE Égypte en tant qu’hôte officiel du Réseau affilié pour la responsabilité sociale (ANSA) dans le monde arabe. L’idée est d’apprendre aux citoyens à entretenir la flamme de leur action, à tenir leurs dirigeants comptables de leurs actes, à mieux comprendre leur rôle et leurs droits et à s’organiser pour que chaque pays ait une meilleure appréhension des relations gouvernants/gouvernés. Il ne s’agit pas d’organiser d’autres manifestations mais bien de mettre en place les conditions d’un nouveau contrat social durable.

Roberto Saba, professeur de droit venu d’Argentine et ancien militant des droits civils, a fait part de la longue et tortueuse expérience de son pays en la matière. « Les régimes militaires savent très bien détruire le tissu social. Il nous a fallu dix ans pour construire dans la douleur une société civile digne de ce nom, débusquer la corruption et constituer une coalition en faveur de la transparence. Au début des années 2000, lorsque la crise a frappé, les organisations de la société civile étaient plus avancées et mieux préparées. Quand M. Kirchner a été élu président sans bénéficier d’un réel soutien, il s’est tourné vers la société civile et nous a demandé ce que nous voulions. Si nous n’avions pas été prêts, nous aurions raté cette occasion », conclut Roberto Saba.

Il aura fallu dix ans pour parvenir à ce résultat. La région MENA vient à peine de s’y mettre, et la route sera longue.


Auteurs

Mariana Felicio

Spécialiste du développement social pour la Région Moyen-Orient et Afrique du Nord

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